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Guideon Saar : l’homme de droite qui pourrait prendre la place de Netanyahou et transformer Israël

Il est en faveur des colons, contre un État palestinien et prend pour cible les demandeurs d’asile. Mais centristes et gauchistes se rangent derrière cet homme qui pourrait devenir le premier prochain Premier ministre d’Israël
Guideon Saar s’exprime lors d’un rassemblement de lancement de sa campagne pour la direction du Likoud à Or Yehuda en 2019 (AFP)
Par Meron Rapoport à TEL AVIV, Israël

Comme prévu, le Parlement israélien n’a pas repoussé l’échéance pour l’adoption par le gouvernement de son prochain budget, engendrant automatiquement sa dissolution. À la fin du mois de mars, les Israéliens retourneront aux urnes pour la quatrième élection législative en deux ans.

De nombreux facteurs expliquent ce manque de stabilité politique : plus particulièrement le « déficit démocratique » d’Israël, c’est-à-dire le fait que le pays n’arrive pas à accepter sa minorité de citoyens palestiniens en tant que composante légitime de son entité politique, son régime politique.

La politique israélienne repose sur des bases ethniques (juives) plutôt que sur l’ensemble des citoyens (demos).

C’est la principale raison pour laquelle l’opposition a été incapable de former un gouvernement lorsque la droite du Premier ministre Benyamin Netanyahou a échoué à rassembler une majorité lors des trois élections tenues entre avril 2019 et mars 2020.

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Pour faire le parallèle avec les États-Unis, ce serait comme si Donald Trump perdait mais que Joe Biden n’arrivait pas à se faire élire. Et cela, avant même de commencer à parler des Palestiniens qui vivent sous occupation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Mais la raison de ces élections anticipées est le fait que de grande partie du public israélien ne considère plus Netanyahou comme un dirigeant légitime. Les mises en examen dont il fait l’objet constituent un facteur majeur, auquel s’ajoutent ses attaques globales contre les institutions du gouvernement et sa gestion problématique de la crise du COVID-19.

La longue série de manifestations contre Netanyahou, qui a commencé il y a six mois et perdure, n’a fait que renforcer son illégitimité. Sans ces manifestations, le chef de Bleu Blanc et ministre de la Défense Benny Gantz aurait sans doute pu continuer à soutenir Netanyahou même si ce dernier a humilié le parti à plusieurs reprises.

Les manifestations répétées ont réduit la marge de manœuvre de Gantz, et ont finalement abouti à la chute du gouvernement.

Et pourtant, si on en croit les derniers sondages, le centre-gauche ne retirera encore une fois rien de l’échec de Netanyahou à préserver son gouvernement. Au contraire, les partis de droite ou qui lui sont associés devraient remporter 75 à 80 des 120 sièges du Parlement israélien (la Knesset) – un résultat sans précédent.

Le principal bénéficiaire de cette tournure des événements est Guideon Saar, député du Likoud qui a quitté le parti début décembre et annoncé la formation de son parti, baptisé Nouvel Espoir (Tikva Hadasha).

Bien que l’animosité entre Saar et Netanyahou soit de notoriété publique, on ne s’attendait pas à son départ du Likoud et à son engagement public à ne pas siéger dans un gouvernement dirigé par le Premier ministre. Les récents sondages attribuent à son parti une vingtaine de sièges, ce qui signifie que si Saar tient sa promesse de ne pas collaborer avec Netanyahou, les chances de ce dernier de former un nouveau gouvernement sont extrêmement minces.

Une politique radicale

Bien qu’il soit relativement peu connu sur la scène internationale, Saar est un personnage familier dans la politique israélienne, bien qu’il soit relativement jeune (54 ans).

Il a mûri au sein de Tehiya (« Renouveau »), un parti d’extrême droite qui est né de l’opposition au retrait d’Israël de la péninsule du Sinaï en vertu de l’accord de paix signé par le gouvernement de Menahem Begin avec le président égyptien Anouar al-Sadate en 1979.

Saar est ensuite devenu journaliste politique, le seul journaliste de droite ou presque dans des journaux à tendance de gauche, avant de faire un stage en tant qu’assistant du procureur de l’État puis d’entrer en politique. Netanyahou, lors de son premier mandat en tant que Premier ministre en 1999, a fait de Saar son secrétaire du gouvernement, un poste ayant une influence substantielle sur les rouages quotidiens de l’administration.

Ariel Sharon l’a désigné à ce même poste lorsque le Likoud est revenu au pouvoir en 2001. Saar a été élu pour la première fois au Parlement israélien en 2003. Après le retour au pouvoir de Netanyahou en 2009, celui-ci a désigné Saar à deux postes clés dans ses administrations ultérieures : ministre de l’Éducation et ministre de l’Intérieur.

Ariel Sharon (au centre), Shimon Peres (à gauche) et Guideon Saar observent une minute de silence pour les victimes des attentats du 11 septembre 2001 (AFP)
Ariel Sharon (au centre), Shimon Peres (à gauche) et Guideon Saar observent une minute de silence pour les victimes des attentats du 11 septembre 2001 (AFP)

Tout au long de sa carrière politique, Saar a été identifié comme l’aile droite du Likoud.

Lorsque Sharon a annoncé un plan de retrait de la bande de Gaza en 2005 – synonyme d’évacuation des colonies israéliennes –, Saar faisait partie des figures de proue de l’opposition et a voté contre à la Knesset.

Lorsque Netanyahou a évoqué pour la première fois la possibilité d’un État palestinien dans son « discours de Bar-Ilan » en 2009, Saar s’est montré franc dans ses critiques. De même, Saar s’est opposé à l’« accord du siècle » de Trump parce que celui-ci comprenait l’établissement d’un État palestinien, bien que dans des conditions très strictes et sans continuité territoriale ou contrôle sur ses frontières externes.

Les avertissements de nombreux membres de la gauche radicale exhortent toutefois à la prudence en ce qui concerne l’image de modéré entretenue par Saar. Pour eux, c’est une illusion et une fois au pouvoir, il s’avérera bien pire que Netanyahou

En tant que ministre de l’Éducation, Saar a lancé une initiative pour envoyer les lycéens des écoles publiques laïques visiter la ville cisjordanienne de Hébron, où des colons israéliens se sont installés illégalement sous bonne garde militaire.

Il fut également le fer de lance de la reconnaissance de l’Ariel College en tant qu’université, bien qu’elle soit située dans une colonie au cœur de la Cisjordanie. Il n’a pas vacillé lorsque le Conseil israélien de l’enseignement supérieur s’est opposé à cette initiative par crainte des répercussions politiques qu’il y aurait à conférer une légitimité à une université située dans les territoires occupés, disposant en plus de références académiques peu impressionnantes.

Au ministère de l’Intérieur, Saar a institué une politique radicale à l’égard des demandeurs d’asile originaires d’Afrique. Des milliers d’entre eux ont été envoyés dans un centre de rétention isolé nouvellement construit dans le sud d’Israël.

Après que la Cour suprême a par deux fois invalidé la loi permettant l’incarcération sans procès des demandeurs d’asile, estimant qu’il s’agissait d’une atteinte aux droits de l’homme fondamentaux, Saar a fait pression en faveur d’une nouvelle loi permettant au Parlement israélien de court-circuiter ces décisions.

Un typique homme de droite

L’exigence de « réformer » le système judiciaire – un euphémisme pour la dilution des pouvoirs des juges et le renforcement de celui des politiques – figure parmi les principes de base du parti de Saar, avec l’objectif de « réaliser les droits historiques et naturels du peuple juif en Israël » et d’encourager les colonies en Cisjordanie.

En d’autres termes, si les positions de Netanyahou n’ont cessé d’évoluer, Saar a été et demeure un homme de droite typique.

Aussi inflexible soit-il, il bénéficie du soutien des électeurs centristes et même de la gauche juive, électorat pour lequel Netanyahou est devenu un paria.

Des sondages révèlent qu’au moins la moitié des électeurs de Saar soutenait avant Bleu Blanc ou des partis du centre-gauche. En outre, il vit à Tel Aviv, depuis longtemps bastion du centre-gauche, tandis que Netanyahou vit à Jérusalem, qui penche à droite. Saar entretient également d’excellentes relations avec des journalistes haut placés, tandis que les relations de Netanyahou avec les médias ont toujours été épineuses.

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Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Si, ces dernières années, Netanyahou s’en est vivement pris à l’« État profond » à la manière de Trump, Saar a toujours préservé la dignité des institutions gouvernementales et a critiqué les attaques de Netanyahou contre le système judiciaire. Il se présente comme un démocrate conservateur, davantage aligné sur le Parti républicain précédant l’ère Trump qu’avec le style extravagant du président sortant américain.

Même lorsqu’il attaque la gauche, Saar use d’un vocabulaire bien plus modéré que les incitations à la haine de Netanyahou. Vous n’entendrez pas Saar qualifier les manifestants à Jérusalem de « propagateurs de maladie » ou mettre en garde contre des « hordes » de citoyens palestiniens « submergeant les urnes par bus entiers ». Après la folie de Netanyahou, Saar représente une sorte de retour à la normalité.

Les avertissements de nombreux membres de l’extrême gauche de l’échiquier politique israélien exhortent toutefois à la prudence en ce qui concerne l’image de modéré entretenue par Saar. Pour eux, c’est une illusion et une fois au pouvoir, il s’avérera bien pire que Netanyahou, non seulement sur l’occupation et l’annexion, mais également en matière d’État de droit.

Ils affirment que, là où Netanyahou a hésité, craignant de s’engager dans des confrontations militaires majeures, les politiques de Saar seront bien plus violentes. On pourrait alors regretter Netanyahou, prévient l’extrême gauche.

Ce n’est que si Saar parvient vraiment à former un gouvernement que nous découvrirons l’exactitude de ces mises en garde. Mais les choses pourraient s’avérer bien différentes.

S’il tient sa promesse de ne pas rejoindre un gouvernement dirigé par Netanyahou (et jusqu’à présent, il a prouvé qu’il était relativement fiable, pour un politicien), la seule option qui s’offre à lui pour former un gouvernement serait une coalition avec les partis de centre-gauche, peut-être même en y incluant le Meretz, parti de la gauche juive plus radicale.

Sa liberté d’action serait limitée, contrairement à celle du gouvernement que Netanyahou a dirigé avant l’élection de 2019, qui ne comprenait que des partis de droite et a adopté la loi sur l’État-nation et d’autres lois clairement discriminatoires à l’encontre des Palestiniens à la fois en Israël et dans les territoires occupés.

Un changement positif ?

Mais même si Guideon Saar s’en tient à ses positions de droite, il pourrait y avoir un changement positif par rapport à Netanyahou.

Netanyahou est bien plus évasif sur le plan idéologique : un jour, il promeut l’annexion et le lendemain, adhère à la paix avec l’ensemble du Moyen-Orient ; un jour, il prononce le discours de Bar-Ilan et le lendemain, promet que pendant son mandat, aucun État palestinien ne verra le jour ; un jour, il appelle à la haine contre un secteur public « vorace » et le lendemain, distribue des dons avec l’argent du gouvernement pendant la crise du coronavirus.

Tout cela fait qu’il est bien plus compliqué d’avoir un débat idéologique avec Netanyahou. Il fait de tout désaccord avec lui une affaire personnelle. Vous êtes en désaccord avec lui, vous êtes l’ennemi ; vous le soutenez, vous êtes un saint.

Avec l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche, la possibilité d’un retour à de véritables négociations avec les Palestiniens pourrait être à l’ordre du jour

Mener un tel débat serait bien plus facile avec Saar, en particulier en ce qui concerne l’avenir des relations d’Israël avec les Palestiniens. Puisque son opposition à un État palestinien est assez claire, il devrait être possible de revenir à une discussion sur les « grandes » questions du conflit israélo-palestinien, des questions qui ont été étouffées sous Netanyahou précisément parce qu’il transformait tout en affaire personnelle.

Ce changement pourrait devenir pertinent étant donné que, avec l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche, la possibilité d’un retour à de véritables négociations avec les Palestiniens pourrait être à l’ordre du jour.

Il y a également d’autres choses, pas liées directement au résultat des élections.

Les manifestations contre Netanyahou ont attiré des dizaines de milliers de personnes dans les rues de manière répétée depuis des mois. Cela a créé une nouvelle prise de conscience politique parmi de larges pans du centre-gauche juif, notamment une volonté de remettre en question le régime israélien de l’intérieur, d’une façon peut être sans précédent.

Même si la droite remporte les élections en mars, ce qui semble le résultat le plus probable à ce stade, l’opinion publique israélienne pourrait ne pas être aussi indifférente qu’elle l’était lors du long règne de Netanyahou.

Après douze années de Netanyahou, Israël sans lui sera très différent. Les choses allaient mal avec Netanyahou. Il y a vraisemblablement une chance que sans lui, les choses aillent mieux.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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