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L’autre Benyamin : qui est Benny Gantz, le rival de Netanyahou ?

Après le renoncement de Benyamin Netanyahou lundi, Benny Gantz a été nommé pour tenter de former une coalition gouvernementale. Une mission difficile, voire impossible, pour cet ancien chef de l’armée dont les objectifs sont difficiles à cerner
Beaucoup d’Israéliens ont vu en Benny Gantz un recours pour mettre fin au règne de Benyamin Netanyahou, au pouvoir depuis plus de dix. Mais ce novice en politique est-il si différent de celui qu’il cherche à remplacer ? (Reuters)

« Bibi » contre « Benny » : ces derniers mois, la politique israélienne s’est résumée à un duel au sommet entre deux Benyamin. D’un côté, Benyamin Netanyahou, le vieux briscard surnommé Bibi par ses supporters, qui détient le record de longévité pour un Premier ministre en Israël ; de l’autre, le novice Benyamin Gantz, dit Benny, un ancien militaire qui s’est lancé en politique il y a moins d’un an.

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Après deux élections en moins de six mois – en avril dernier et en septembre –, le pays est dans l’impasse politique. Ni vainqueur, ni vaincu : en soi, pour Netanyahou, qui a dominé l’arène politique ces dix dernières années, c’est déjà une défaite. Lundi soir, il a même semblé vaciller : incapable de réunir un gouvernement, le Premier ministre sortant a redonné son mandat au président israélien.

Pour la première fois depuis 2009, c’est un autre, Benny Gantz, qui va tenter de former une coalition pour prendre sa place. Il a 28 jours. Mission impossible, diagnostiquent la plupart des observateurs.

Comment ce grand Ashkénaze au regard azur a-t-il réussi à faire trébucher Netanyahou, là où tant de politiciens expérimentés se sont auparavant cassé les dents ? Certainement pas grâce à son expérience politique : il n’en a aucune.

Son CV ? Celui d’un militaire qui a gravi un à un les échelons. Engagé dans l’armée en 1977, ce fils d’une survivante de la Shoah devient parachutiste, participe à l’opération « Salomon » en 1991, qui exfiltre 14 0000 juifs depuis l’Éthiopie vers Israël en 48 heures, se bat au Liban en 2000 et devient finalement chef de l’armée israélienne de 2011 à 2015.

Fascination militaire

Gantz laisse une empreinte sanglante : sous son mandat, Israël et le Hamas, à Gaza, se livrent deux guerres. En 2012, l’offensive israélienne fait 163 morts dans l’enclave. En 2014, pendant plus d’un mois et demi, un déluge de feu s’abat sur l’étroite bande de terre et 2 220 Palestiniens sont tués, dont plus de 1 500 civils (550 enfants).

« [Les Israéliens] ont beaucoup de respect pour les généraux, parce qu’il y a aussi cet environnement un peu macho, une certaine masculinité toxique et que les généraux sont donc perçus comme étant forts »

- Yara Hawari, Al-Shabaka

En 2015, un rapport de l’ONU affirme avoir recueilli « des informations substantielles mettant en évidence de possibles crimes de guerre commis à la fois par Israël et par les groupes armés palestiniens ». Il reproche notamment à l’armée israélienne l’« usage intensif d’armes conçues pour tuer et blesser sur un large périmètre ».

Plutôt que de cacher ce désastreux bilan, l’ancien chef d’état-major en a joué pour lancer sa campagne. Avec une série de clips chocs, le discret Gantz s’est mué en faucon, vantant les faits d’armes sanglants de l’armée israélienne sous sa direction à Gaza en 2014, qui ont ramené, selon lui, certaines parties de l’enclave « à l’âge de pierre ».

Un décompte macabre sur des images de funérailles de Palestiniens conclut sur ce slogan : « Seuls les forts survivent ».

Cet imaginaire parle au public juif en Israël : c’est « une société très militarisée », explique Yara Hawari, analyste politique au sein d’Al-Shabaka, un centre de réflexion palestinien. Les Israéliens ont « beaucoup de respect pour les généraux, parce qu’il y a aussi cet environnement un peu macho, une certaine masculinité toxique et que les généraux sont donc perçus comme étant forts ».

Sauf que, de tous les militaires qui ont percé en politique, Benny Gantz est le moins expérimenté. « Ehud Barak était un ancien chef d’état-major qui est devenu Premier ministre, mais il dirigeait le parti travailliste depuis presque deux ans. Ariel Sharon, tout le monde l’oublie, mais il a été en politique pendant près de 30 ans avant de devenir Premier ministre », rappelle Dahlia Scheindlin, conseillère politique qui a aidé à élaborer sept campagnes pour le compte de différents partis israéliens, dont la dernière avec le parti de gauche Union démocratique.

Benny Gantz, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, aux côtés du Premier ministre Benyamin Netanyahou lors d’une cérémonie à Haïfa, en septembre 2011 (AFP)
Benny Gantz, alors chef d’état-major de l’armée israélienne, aux côtés du Premier ministre Benyamin Netanyahou lors d’une cérémonie à Haïfa, en septembre 2011 (AFP)

Bien qu’il soit le fils d’un responsable local du parti travailliste dans la communauté où il est né, Kfar Ahim – construite sur les ruines du village palestinien de Qastina –, Gantz, à 60 ans, a découvert le jeu politique en décembre dernier, lorsqu’il a lancé son parti, Hosen L’Yisrael – Résilience pour Israël.

Au départ, la formation ressemble à une « petite équipe de potes qui ont pris des congés sabbatiques et de professionnels de la campagne politique recrutés à la dernière minute », raille le quotidien de gauche israélien Haaretz. Bref, tout sauf un parti de militants engagés.

Mais le rigide militaire, un peu austère, trouve les partenaires idéaux : un ex-ministre, Yaïr Lapid, et deux anciens chefs d’état-major, Gabi Ashkenazi et Moshe Ya’alon, ce dernier ayant lui aussi une expérience gouvernementale. De quoi renforcer son assise politique : voilà comment naît, début 2019, la coalition Bleu Blanc, aux couleurs du drapeau israélien.

Présentée comme centriste, la liste dans « d’autres endroits dans le monde serait qualifiée de droite », remarque Yara Hawari, qui note le déplacement de l’échiquier politique israélien vers l’extrême droite.

Uni contre les Palestiniens

Désormais entouré de « partenaires politiques et conseillers », Gantz a « mené deux campagnes politiques » qui l’ont fait mûrir progressivement, rappelle Ofer Zalzberg, analyste Moyen-Orient à l’International Crisis Group (ICG). Mais sur le terrain politique, avec plus de trente ans de carrière, « Netanyahou a un énorme avantage ».

 « Les Européens [voient dans Gantz] quelqu’un à qui ils peuvent parler, ils l’appellent un partenaire pour la paix, ce qui est risible. Je pense que ça, c’est dangereux »

- Yara Hawari, Al-Shabaka

Le militaire, en comparaison, bataille encore, peu présent sur les réseaux sociaux, pas toujours à l’aise, ambigu dans sa ligne politique. « C’est très compliqué de savoir qui est Benny Gantz et ce pour quoi il se bat », constate Dalhia Scheindlin.

Sauf sur la politique étrangère et le dossier palestinien. Benny ou Bibi, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, remarque Yara Hawari : les deux appliqueront la même politique « violente d’occupation et de colonisation » dans les territoires palestiniens, selon elle.

« Ce qui va changer, c’est le discours, la rhétorique utilisée par Israël. [Gantz et ses alliés] emploieront un langage plus sympathique afin de perpétuer le projet colonial et ils continueront l’annexion de facto » de la Cisjordanie, territoire sous le contrôle d’Israël depuis 52 ans.

Quant à la perspective de négociations avec l’Autorité palestinienne, cela reviendra à « négocier les termes de notre emprisonnement, pas les termes de la libération » des Palestiniens, souligne la chercheuse.

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Avec un langage plus policé, plus diplomatique, Gantz « va essayer de regagner les alliés internationaux » délaissés par Netanyahou, qui se suffisait du soutien sans faille que lui octroie le président américain Donald Trump, au mépris du droit international.

Les « Européens sont prêts à cela », ils voient dans l’ancien militaire « quelqu’un à qui ils peuvent parler, ils l’appellent un partenaire pour la paix, ce qui est risible », poursuit Yara Hawari. « Je pense que ça, c’est dangereux. » 

À moins que les nuances ne soient aussi à déchiffrer entre les lignes. En 2015, peu après avoir quitté l’armée, « Gantz a fait un discours et soutenu la solution à deux États », rappelle Ofer Zalzberg, de l’ICG. Une position qu’il n’exprime plus publiquement, mais s’il réussit à être élu, « il avancera une séparation graduelle entre les deux peuples », juge-t-il.

Reste que l’ancien chef de l’armée n’a jamais plus évoqué un État palestinien lors de sa campagne. Pire, il a clairement réaffirmé la souveraineté israélienne sur la vallée du Jourdain, en Cisjordanie occupée, quand Netanyahou a proposé de l’annexer – une différence sémantique, tout au plus.

Religieux contre laïcs

Ni très avenant, ni très charismatique, Gantz s’est hissé en haut du podium politique israélien grâce à un bon alignement des planètes. Après dix ans de Netanyahou, le paysage politique se recompose, autour notamment de la rupture de la droite, désormais scindée entre religieux et laïcs.

« La division au sein de la droite ne suffit pas à hisser Gantz à la tête d’un gouvernement, c’est juste assez pour empêcher Netanyahou de rester Premier ministre »

- Ofer Zalzberg, International Crisis Group

Le Premier ministre sortant « a été extrêmement généreux avec les partis juifs ultra-orthodoxes, et la droite laïque a été frustrée », analyse Ofer Zalzberg. « Elle ne veut plus siéger avec les religieux. »

Le grand symbole de ce changement ? La rupture, à la fois personnelle et idéologique, entre Avigdor Lieberman, ex-ministre de Netanyahou, et son ancien mentor : c’est lui qui a fait échouer toutes les tentatives du Premier ministre sortant de former un gouvernement après avoir provoqué des élections anticipées en se retirant de la précédente coalition il y a un an.

Des transports publics – limités – pendant le shabbat, le jour de repos hebdomadaire des juifs lors duquel la religion interdit aux fidèles de travailler, la mise en place d’un mariage civil, son extension aux homosexuels… le programme de Benny Gantz sur quelques questions sociétales qui sont devenues de grands enjeux lors des dernières élections tranche avec celui imposé par les alliés ultra-orthodoxes de Netanyahou.

« La division au sein de la droite ne suffit cependant pas à hisser Gantz à la tête d’un gouvernement, c’est juste assez pour empêcher Netanyahou de rester Premier ministre », note Ofer Zalzberg.

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Et c’est là toute la faiblesse de la campagne de Benny Gantz. En quelques mois, le discret militaire a doucement insufflé au public israélien qu’il était l’anti-Bibi. Calme, pragmatique, il met l’accent sur l’unité quand Netanyahou a conduit sa carrière politique sur les polémiques et les incitations à la haine envers les Palestiniens, qu’ils soient ou non citoyens d’Israël.

« On observe deux types de politiciens partout dans le monde aujourd’hui », rappelle Ofer Zalzberg. « Celui d’une sorte de politicien rebelle, qui se présente comme antisystème, et d’autres qui se revendiquent du système et défendent les institutions. [Gantz] fait clairement partie de cette deuxième catégorie », face à un Netanyahou qui conspue médias et institutions comme lui étant hostiles.

Sauf que pour ravir Israël des mains d’un dirigeant aussi rompu au jeu politique que le Premier ministre sortant, dans un pays fragmenté et rongé par les divisions, Benny Gantz ne peut s’appuyer uniquement sur un programme qui prône le statu quo.

Sa campagne n’a pas réussi à lui assurer une majorité ; il a désormais un peu moins d’un mois pour s’immerger dans l’âpre arène politique israélienne afin d’aller chercher les soutiens qui lui manquent encore. Faute de quoi, le pays revotera, pour la troisième fois en moins d’un an...

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