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La Syrie est de retour à la Ligue arabe. Et maintenant ?

Bien que le retour de la Syrie ait suscité un certain optimisme de reprise économique, selon les experts, les retombées positives à l’heure actuelle pour Damas sont purement politiques
Le président syrien Bachar al-Assad est invité, par le biais de l’ambassadeur saoudien en Jordanie Naif ben Bandar al-Sudairi, au sommet de la Ligue arabe, à Damas, le 10 mai (Reuters)

Après onze ans de suspension, la Syrie revient finalement dans le giron régional : les ministres des Affaires étrangères des pays de la Ligue arabe ont adopté une motion réadmettant dans leurs rangs ce pays ravagé par la guerre.

Les efforts de normalisation menés par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite se sont considérablement accélérés ces derniers mois, avec une activité diplomatique foisonnante.

Lundi, des responsables syriens ont participé à leur premier événement de la Ligue arabe en dix ans, en préparation d’un sommet à Djeddah en Arabie saoudite.

 « Je profite de cette occasion pour accueillir la République arabe syrienne à la Ligue des États arabes », a déclaré le ministre saoudien des Finances Mohammed al-Jadaan lors de cette rencontre.

Cette réintégration marque la fin d’une époque, étant donné qu’il y a à peine dix ans, le leader de l’opposition syrienne Moaz al-Khatib s’était adressé au monde depuis le siège suspendu de la Syrie à la Ligue arabe, réclamant le soutien des Occidentaux dans la lutte contre le gouvernement alors chancelant du président Bachar al-Assad.

Ces développements sont particulièrement satisfaisants pour le gouvernement de Damas, lequel est lourdement sanctionné et préside un pays appauvri et divisé. Un responsable syrien au fait des discussions relatives à la normalisation rapporte qu’elles ont également été porteuses d’espoir.

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« Le retour officiel de la Syrie dans le giron arabe a été stimulé et soutenu par le réchauffement des relations avec l’Arabie saoudite », indique ce responsable, s’exprimant sous couvert d’anonymat. Riyad, observe-t-il, avait joué un « rôle décisif » dans l’exclusion initiale de la Syrie.

« Cet événement hautement symbolique ne marque pas que le début d’une période de relations syro-arabe plus fortes, cela montre que la Syrie reprend sa place légitime dans la région. »

Le symbolisme est indéniable. Mais l’accord comporte certaines réserves : la Syrie doit s’attaquer au trafic de drogue et travailler à une amnistie politique qui pourrait aider à tirer un trait sur le conflit et à la ramener dans la communauté internationale.

Reste à savoir si les Syriens en ressentiront les bénéfices à court et moyen terme.

Les Syriens espèrent un mieux

Le double tremblement de terre en Turquie en février a dévasté une grande partie du nord de la Syrie. La Banque mondiale avait estimé que la catastrophe avait provoqué 5,1 milliards de dommages matériels directs.

« La valeur courante du capital social détruit et endommagé est estimée à environ 10 % du produit intérieur brut », d’après l’institution.

Néanmoins, les secousses ont également accéléré le processus de normalisation, les États arabes accourant à l’aide et créant un précédent en matière de rapprochement et d’investissements. Nombreux sont les Syriens dans les régions contrôlées par le gouvernement à espérer que ces derniers perdureront.

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Sahar Mesto (22 ans) est étudiante à l’université de Damas. Elle considère cette réadmission comme un stimulus pour ce pays isolé et ravagé par la guerre.

« C’est assurément un pas dans la bonne direction. La Syrie a été ignorée et négligée pendant trop longtemps, la devise va mal et il est difficile de trouver du travail », déclare-t-elle.

« Il y a tellement de gens sans emploi car les salaires ne couvrent même pas le transport, sans parler du coût de la vie. Si les pays arabes commencent [à renouer les relations], cela aidera considérablement la situation économique. »

Sahar Mesto étudie la littérature anglaise, mais se demande avec inquiétude comment trouver un travail bien rémunéré à Damas alors que la livre syrienne continue de chuter. Elle est aujourd’hui à 8 500/1 face au dollar américain, son plus bas niveau historique.

« Nous sommes tous dans le même bateau. Les salaires des fonctionnaires sont stables mais trop faibles, et travailler dans le secteur privé, dans la traduction ou les médias, n’est pas beaucoup mieux », poursuit-elle.

« Beaucoup de mes camarades sont partis pour les Émirats arabes unis et d’autres pays. Mais c’est cher de déménager hors de Syrie, tout le monde n’a pas les moyens financiers de le faire. » 

Du pain sur la planche

Le rédacteur en chef du quotidien pro-gouvernemental Al-Watan a exhorté les Syriens à ne pas se laisser emporter par l’annonce d’un retour dans la Ligue arabe, étant donné que cela prendrait du temps pour restaurer totalement les relations.

« Le retour dans la Ligue arabe ne signifie pas que la guerre est terminée ou que les milliards pour la reconstruction arriveront en quelques semaines. C’est une victoire politique pour le président Assad », a publié Waddah Abd Rabbo sur Facebook.

« C’est une transgression envers le passé et l’ouverture d’une nouvelle page dans les relations bilatérales entre la Syrie et un certain nombre de pays arabes. C’est le début de la fin de la guerre, pas sa fin elle-même. Toute la population syrienne peut être optimiste, des jours meilleurs s’annoncent. »

Il y a néanmoins encore du pain sur la planche avec plusieurs pays arabes.

« Le retour dans la Ligue arabe ne signifie pas que la guerre est terminée ou que les milliards pour la reconstruction arriveront en quelques semaines »

- Waddah Abd Rabbo, rédacteur en chef d’Al-Watan

Bien que l’Arabie saoudite ait annoncé reprendre sans délai sa présence diplomatique en Syrie et invité Assad au sommet de la Ligue arabe à Djeddah qui se tient ce vendredi avec la bénédiction du secrétaire général de l’organisation Ahmed Aboul Gheit, d’autres ont fait preuve de plus de circonspection.

Le Qatar, opposant résolu à la réadmission de la Syrie, a refusé la normalisation sans solution politique générale au conflit et n’a pas envoyé son ministre des Affaires étrangères au rassemblement de la semaine dernière.

La position américaine est tout aussi ferme. « Nous ne pensons pas que la Syrie mérite d’être réadmise au sein de la Ligue arabe à ce stade », a déclaré un porte-parole, ajoutant que les sanctions américaines resteraient en vigueur.

Pendant ce temps, l’opposition syrienne dit avoir été totalement mise de côté. « C’est un choc pour le peuple syrien qui se bat pour la liberté, la démocratie et la justice. Nous n’avons pas été consultés là-dessus et il apparaît que c’est un mépris évident pour les demandes du peuple syrien », a affirmé Bader Jamoussi, grande personnalité de l’opposition.

Le problème des stupéfiants

L’une des questions centrales abordées lors de la rencontre des ministres des Affaires étrangères de la Ligue arabe était le trafic très problématique de stupéfiants par la Syrie – en particulier le captagon, célèbre amphétamine qui s’est exportée en masse dans les pays voisins ces dernières années.

Une commission composée de l’Arabie saoudite et des voisins de la Syrie que sont le Liban, la Jordanie et l’Irak a été formée pour suivre la mise en œuvre des points clés convenus en échange du retour de la Syrie, y compris les amnisties, la facilitation du retour des déplacés, la fin du trafic de drogue et la mise au pas des soutiens d’Assad, la Russie et l’Iran.  

Pour les pays voisins tels que la Jordanie, la question du trafic transfrontalier de stupéfiants est capitale. La réadmission de la Syrie survient après une initiative d’Amman esquissant une feuille de route pour mettre fin au conflit en Syrie.

La Syrie a promis de coopérer avec la Jordanie pour identifier et éradiquer le trafic de drogue, alors même que l’entourage proche du gouvernement syrien est accusé d’être à la tête de ce trafic extrêmement lucratif. Des responsables syriens et des proches d’Assad ont été sanctionnés à cause des stupéfiants, bien qu’ils nient toute implication.

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Quelques jours après l’accord, la Jordanie a mené des frappes en Syrie pour tuer un grand baron de la drogue, Marai al-Ramthan, causant aussi la mort de ses six enfants et de sa femme, à Soueïda, dans l’est. Amman ne s’est pas prononcé publiquement sur le sujet – peut-être parce que l’attaque a eu lieu sur le sol étranger.

L’Arabie saoudite éprouve, de même, un vif désir de mettre fin à l’afflux de captagon. Riyad aurait offert à la Syrie 4 milliards de dollars pour compenser la perte de revenus issus du trafic, bien qu’il nie.

Quoi qu’il en soit, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane est « désireux de mettre un terme à l’instabilité aux frontières de son royaume et d’ouvrir la voie à la prospérité », indique Kamal Alam, chercheur non-résident à l’Atlantic Council.

« Il est de notoriété publique que cette étape est un come-back pour Assad. En réalité, il n’est jamais parti. Officieusement, il y a toujours eu des relations personnelles entre Riyad et Damas via des intermédiaires aux plus hauts échelons », indique Alam à Middle East Eye, affirmant que ces contacts n’ont fait que croître lorsque Mohamed ben Salmane est devenu prince héritier en 2017.

« De même, la communauté des affaires de Damas, Homs et Alep a d’anciens liens commerciaux et familiaux avec divers gestionnaires de patrimoine saoudiens. »

Mohammed ben Salmane, d’après Kamal Alam, ne veut « pas de problèmes » à ses frontières susceptibles de perturber ses projets pour son programme de diversification économique, Vision 2030.

« Il veut un Liban et un Irak stables, et même dans un État syrien affaibli, le président Assad et son réseau ont la capacité de contrôler le Liban et d’influencer l’Irak tout comme ils l’ont fait après que le défunt roi Abdallah eut brisé la glace à la suite de l’assassinat de [Rafiq] Hariri [en 2005] », poursuit Alam.

« Alors avec Damas, les Saoudiens obtiennent bien plus que la Syrie uniquement. Ils bénéficient d’un package régional, comprenant les Palestiniens. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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