Nicolas Cadène : « La laïcité ne doit pas être un outil politicien »
La fin de l’Observatoire de la laïcité a été annoncée le 4 juin. Cette instance consultative créée en 2013, qui réunissait des responsables des administrations des ministères, des experts et des parlementaires de tous bords, était notamment chargée de conseiller le gouvernement et de faire de la pédagogie auprès des écoles, entreprises et administrations sur les principes de la laïcité. Administrativement rattachée au Premier ministre, elle était autonome dans ses travaux.
Sous le feu des critiques depuis la vague d’attentats qui a frappé la France en 2015, l’Observatoire sera donc remplacé par un « comité interministériel de la laïcité », composé exclusivement de ministres et de membres invités du gouvernement, sous la présidence du Premier ministre. Le secrétariat sera assuré par le ministère de l’Intérieur.
Les détracteurs de l’Observatoire de la laïcité, qui défendent une conception plus « offensive » de la laïcité, lui reprochaient d’adopter des positions laxistes, en particulier sur les sujets liés à la montée de l’islam politique en France.
Dans un long entretien réalisé le 9 avril, son rapporteur général depuis 2013, Nicolas Cadène, revient pour Middle East Eye sur l’histoire de la laïcité en France et les crispations qui l’entourent.
Middle East Eye : Qu’est-ce que la laïcité et, en particulier, la laïcité à la française ?
Nicolas Cadène : La laïcité à la française, c’est le principe qui, vis-à-vis des convictions et des croyances, va permettre la garantie des trois valeurs républicaines : la liberté absolue de conscience, l’égalité de tous et toutes devant la loi, égalité de traitement donc de tous et toutes qui sera garantie par la neutralité de l’État et de l’administration publique. Cette neutralité découle du principe de la séparation des organisations religieuses et de l’État.
La troisième valeur est la fraternité, qui va garantir le respect de l’autre dans sa croyance ou sa conviction, l’égalité de tous les concitoyens dans les droits et les devoirs.
Il y a plusieurs types de laïcité dans le monde, certains sont très loin de cette laïcité à la française, d’autres sont très proches. Par exemple, la laïcité turque est différente de celle de la France. Quand Mustafa Kemal [Atatürk, fondateur et premier président de la république turque de 1923 à 1938] a introduit la laïcité en Turquie, il ne l’a pas voulue séparatiste (pas de séparation entre l’État et les religions). Aujourd’hui, c’est la Diyanet (ministère des Affaires religieuses) qui contrôle le culte, ce qui n’est pas possible en France.
Après, il y a des laïcités comme en Belgique, où le mot laïcité va renvoyer à une conviction de libre-pensée très différente de ce qu’on a en France, puisqu’il ne s’agit pas d’une conviction mais d’un cadre commun à tous et toutes, qui est davantage un principe d’organisation.
Il y a des laïcités proches de la France en théorie mais beaucoup moins en pratique. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, vous avez ce principe de séparation, ce principe de liberté de conscience, mais vous n’aurez pas dans la pratique une parfaite neutralité de l’administration publique ou de l’État, du fait d’une religiosité très forte et donc d’une influence considérable de la religion sur les affaires publiques et sur les droits.
C’est un peu pareil au Brésil, avec d’ailleurs une volonté de revenir en arrière de la part du président Jair Bolsonaro, qui n’aime pas vraiment la laïcité, pour faire plaisir à des courants très conservateurs chrétiens et plus particulièrement évangéliques.
Vous avez aussi le cas de l’Inde, qui était un État laïc et qui l’est de moins en moins. L’Inde était un État qui reconnaissait des droits distincts selon la religion de ses citoyens ; désormais, sous l’influence du gouvernement ultra-nationaliste hindou, il y a la prise en compte de critères religieux pour l’obtention d’une nationalité, ce qui s’oppose complètement au principe de la laïcité en France.
Vous avez enfin des États qui ont une laïcité proche de celle de la France sans qu’il ne soit dit qu’ils ont un système laïc, comme le Japon par exemple. […]
Les pays que j’ai cités sont des sociétés très différentes, vous en avez qui ont une majorité musulmane, d’autres une majorité chrétienne. Le système de la laïcité peut s’appliquer donc partout mais la pratique sera différente si le pays est peu ou beaucoup sécularisé et là, on pourrait parler du cas américain.
Les États-Unis sont en théorie assez proches de la laïcité française. C’est un État séparatiste, avant même la France, depuis le premier amendement de 1791. La France a été séparatiste en 1795.
Effectivement, l’État américain est très séparatiste. Jusqu’à présent, il est impossible de subventionner une école confessionnelle aux États-Unis alors que la France le permet.
Mais la logique de cette séparation n’a pas été la même en France et aux États-Unis. En France, il s’agissait d’abord de se libérer d’une tutelle forte de l’église catholique sur la vie sociale et politique, qui menait à des discriminations et même à des persécutions des minorités religieuses, alors qu’aux États-Unis, il s’agissait pour les personnes qui justement fuyaient les persécutions de construire un État qui ne les enquiquine pas sur leur pratique religieuse.
La logique est différente entre les deux pays : aux États-Unis, c’est d’abord la liberté religieuse qui est mise en avant, tandis qu’en France, c’est [l’idée d’un] État indépendant vis-à-vis du collectif et de la religion. Mais le résultat est à peu près le même, avec la volonté d’assurer la liberté de conscience pour tous les concitoyens et l’indépendance entre les deux sphères – politique et religieuse.
Aujourd’hui, on voit cette logique se traduire dans des faits très différents puisque les États-Unis restent un pays très largement religieux, alors que la France est l’un des pays les plus sécularisé au monde. La religiosité aux États-Unis a une influence sur le politique, contrairement à la France.
Enfin, le modèle de la laïcité le plus répandu dans le monde n’est pas celui de la France ou d’un autre pays, c’est plus un modèle collaboratif avec un État qui va reconnaître les principaux cultes dans son pays, permettant ainsi de les subventionner, mais ce modèle présente un défaut concernant les cultes minoritaires, qui seront désavantagés par rapport à ces cultes reconnus.
MEE : Quand la laïcité a-t-elle été introduite dans le droit français ? Pouvez-vous nous expliquer l’importance de la loi de 1905 ?
NC : La première introduction en droit de la laïcité date de la révolution française [1789] même si le mot laïcité n’existait pas encore. Il y a eu, à partir de la révolution française, la laïcisation des registres comme les mariages, les états civils, qui n’étaient dès lors plus liés à la disposition de l’Église catholique mais bien de l’administration publique.
L’État n’a malheureusement pas appliqué la laïcité – alors que c’était prévu dans la loi – dans le département algérien parce qu’il voulait contrôler le culte musulman pour éviter toute velléité indépendantiste
Il y a eu aussi la séparation dont j’ai évoqué la date en 1795, première séparation qui n’a pas duré longtemps, puisque Napoléon Bonaparte est revenu dessus en 1801 avec le concordat [traité de 1801 qui reconnaît et organise les cultes et permet à l’État de salarier les ministres de ces cultes ; il s’applique aujourd’hui encore en Alsace-Lorraine] et les Articles organiques [qui organisent la vie de l’Église catholique et des cultes protestants et juifs].
Il y a eu ensuite et surtout la reconnaissance absolue de la liberté de conscience et l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen [1789], qui assure la liberté de culte, la liberté d’exprimer des opinions quelles qu’elles soient, même religieuses, dès lors qu’on ne trouble pas l’ordre public.
Cet équilibre entre d’un côté, la garantie des libertés individuelles – notamment la liberté de religion – et, de l’autre, le respect du cadre collectif est toujours le même aujourd’hui. […]
En 1905, on réaffirme cette séparation, qui est définitive entre l’État et les religions. De cette séparation découlera la neutralité tant dans le comportement que l’apparence des fonctionnaires (ceux qui exercent une mission de service public).
La loi de 1905 est une loi fondamentale [qui] a été écrite pour être adaptée à n’importe quelle évolution sociétale de la France. D’ailleurs, cette loi devait déjà, à l’époque, s’appliquer dans des départements très différents puisqu’elle devait s’appliquer aussi dans le département algérien, qui était très majoritairement de confession musulmane, à l’époque où l’Algérie était française.
L’État n’a malheureusement pas appliqué la laïcité – alors que c’était prévu dans la loi – dans le département algérien parce qu’il voulait contrôler le culte musulman pour éviter toute velléité indépendantiste. […]
MEE : Qu’est-ce que la nouvelle laïcité qu’on voit actuellement en France ? Et en quoi cette nouvelle conception de la laïcité, qui est très présente dans le débat public aujourd’hui, diffère-t-elle de celle de 1905 ?
NC : Il y a toujours eu différentes conceptions intellectuelles de la laïcité et, même en 1905, il y a eu d’autres volontés qui n’ont pas gagné et qui essayent de jouer leur revanche aujourd’hui.
Dans les périodes de crise comme celle qu’on traverse aujourd’hui – une crise économique, sociale, environnementale et maintenant sanitaire –, les replis sont plus forts et les personnes s’inscrivent dans des débats beaucoup plus polarisés.
Pour le moment, le droit français de la laïcité reste équilibré et fidèle à la loi de 1905, mais il y a des offensives y compris au sein du gouvernement
Les débats en France sur l’identité et la laïcité reviennent en force. Les deux tendances ressurgissent : celle, laïcarde, qui veut contrôler et organiser le culte et qui revient donc sur le principe de la séparation. L’autre, laïciste, qui veut invisibiliser la religion dans l’espace public, une tendance extrêmement anti-religieuse. Il y a même une troisième tendance, qui est à la fois laïcarde et laïciste.
Ces tendances ont perdu en 1905 parce qu’Aristide Briand, qui était un brillant homme d’État, considérait que chercher à s’opposer frontalement à la religion et à l’invisibiliser ne pouvait que renforcer le radicalisme religieux, les replis communautaires et les divisions au sein de la population.
Il considérait aussi que contrôler le culte et revenir sur le principe de la séparation ne pouvait que renforcer d’une part les influences religieuses sur la vie politique, d’autre part les influence politiques sur la religion, c’est-à-dire une instrumentalisation politique de la religion.
Pour ces deux raisons, Aristide Briand s’opposait à ces tendances et a réussi à obtenir un vote de la majorité pour une laïcité qui est vraiment à mon sens parfaitement équilibrée. Le problème, c’est que dans le débat public, les tendances dont je vous parle sont très présentes et alimentent des confusions fortes sur ce qui est vraiment la laïcité.
Ces tendances ont même une influence sur le politique. Nous avons vu au Sénat [début avril], dans le cas du projet de loi « séparatisme » et « principes de la République », des amendements scandaleux qui ont été adoptés et qui s’inscrivent dans ces tendances.
À priori, ces amendements ne seront pas retenus en dernière lecture à l’Assemblée par le gouvernement, on le souhaite, mais il y a quand même cette offensive pour changer le droit. Pour le moment, ce n’est pas le cas, le droit français de la laïcité reste équilibré et fidèle à la loi de 1905, mais il y a des offensives y compris au sein du gouvernement.
MEE : Est-ce que prôner la laïcité équivaut à être contre la religion ?
NC : Pas du tout. C’est justement le laïcisme qui voudrait ça, mais pas du tout la laïcité française telle que je l’ai définie, bien au contraire, la laïcité dans son sens originel ne va pas du tout s’inscrire dans une opposition à la religion. C’est un cadre commun à tous, que l’on soit croyant ou indifférent.
L’État laïc se fiche de qui est croyant ou de qu’il ne l’est pas. C’est une garantie d’égalité et aussi une garantie d’exprimer ses convictions, y compris religieuses.
La laïcité dans son sens originel ne va pas du tout s’inscrire dans une opposition à la religion
Historiquement, la laïcité a été pensée en France dès le siècle des Lumières justement pour apaiser une situation extrêmement conflictuelle et pour réussir à imposer la paix civile dans un pays qui a connu des guerres de religion extrêmement violentes. Pendant plus de 250 ans, les minorités religieuses ont été persécutées de manière assez atroce, en particulier les protestants mais aussi les juifs et les libres penseurs.
C’est pour permettre à ces minorités d’exprimer leurs convictions et de vivre dans une parfaite égalité avec la majorité qu’a été pensée la laïcité, qui efface donc toute majorité et toute minorité. Aux yeux de l’État laïc, il n’y a que des Français à égalité de droits et de devoirs, qu’importent leurs convictions ou leurs croyances.
MEE : Comment expliquez-vous le fait que l’islam et les musulmans se retrouvent au centre de toutes ces controverses par rapport à la laïcité ?
NC : Selon les périodes, ça aurait pu être une autre religion ; ça été une relation tendue avec l’Église catholique au début du XXe siècle et ça a duré longtemps […]. Mais depuis les années 80, cela se concentre sur l’islam.
Il y a une polarisation de la société en France entre une population qui continue de se séculariser et de s’éloigner toujours plus de la religion et une autre qui s’affirme dans la religion.
Les raisons qui font que les crispations sont plus fortes autour de l’islam sont nombreuses.
D’abord, il y a l’importation dans l’Hexagone de conflits sur lesquels la France a été très impliquée, des conflits au Proche et au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, etc.
Ensuite, il y a le passé colonial français très important et qui a créé une vielle histoire entre la France et l’islam, laquelle a été conflictuelle, complexe. La période coloniale n’a pas été traitée comme il le fallait, en particulier celle de l’Algérie. Le passé colonial français en Algérie est toujours mal traité, même s’il y a eu des avancées avec le rapport de Benjamin Stora [sur la colonisation et la guerre d’Algérie].
Il y a aussi des problèmes sociologiques : il y a une absence ou du moins une bien trop faible mixité sociale dans l’Hexagone, il n’y pas assez de mélange dans la population, avec une population de confession musulmane qui est souvent parmi les classes les plus populaires et souvent dans les catégories socio-professionnelles les plus fragiles, concentrée dans des quartiers assez ségrégués.
Cet absence de mélange crée une absence d’interactions socio-culturelles qui, d’une part, va renforcer d’éventuels replis communautaires dans les quartiers qui seraient majoritairement de confession musulmane et, d’autre part, va alimenter des peurs vis-à-vis de ceux qu’on ne connaît pas – et c’est dans un sens comme dans l’autre.
Beaucoup de personnes qui ne sont pas de confession musulmane ne connaissent pas l’islam et en ont d’office peur par cette insuffisante mixité sociale et ces insuffisantes interactions socio-culturelles
Beaucoup de personnes qui ne sont pas de confession musulmane ne connaissent pas l’islam et en ont d’office peur par cette insuffisante mixité sociale et ces insuffisantes interactions socio-culturelles.
Ensuite, il y a eu une ingérence depuis les années 90 de la part de pays étrangers, en particulier les pays du Golfe, l’Arabie saoudite et le Qatar, qui ont profité d’une certaine fragilité d’un jeune public français de confession musulmane pour diffuser leurs thèses idéologiques, à savoir le wahhabisme et le salafisme, ou ce qu’on appelle l’islam politique.
Ces deux pays ont réussi à diffuser leur idéologie dans certains quartiers ou auprès d’un certain public en fragilité sans que le culte musulman en France ne s’y oppose parce qu’il est peu structuré du fait de l’islam consulaire, c’est-à-dire de l’opposition entre pays d’origine, Algérie, Turquie, Maroc, qui ont des diasporas très importantes en France et qui continuent à vouloir avoir une influence auprès d’elles, ce qui empêche une structuration correcte du culte musulman en France.
Face à certaines ingérences, il n’y a eu aucune réaction correcte de la part du gouvernement français et des autorités publiques, qui, il faut le reconnaître, ont pu laisser faire parce que l’Arabie saoudite et le Qatar sont deux pays qui financent largement certaines économies françaises dans certains secteurs.
Enfin, la raison principale, c’est le contexte des attentats islamistes qui est très fort en France. Ces attentats terroristes créent des peurs considérables mais aussi des confusions douteuses et inquiétantes, mais malheureusement réelles, entre l’islam et l’islamisme radical.
Ces peurs créent aussi des crispations face à toute visibilité de cette religion et une concentration en particulier sur le voile.
MEE : Pensez-vous qu’en France, on a une conception de l’immigration qui est plus basée sur l’assimilation que le melting-pot qu’on peut observer dans certains pays ?
NC : Oui mais normalement, la conception française n’est ni l’un ni l’autre. La conception française est l’intégration, que chacun apporte sa culture en plus pour faire du commun.
La conception française originelle, si on remonte à la Révolution française et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, c’est de dire que tout le monde est français dès lors qu’il partage les valeurs communes, qu’importe d’où il vient, qu’importe ce qu’il croit, ce sont les valeurs révolutionnaires qui ont été portées en Europe.
Dans les périodes de crise, il y a une volonté de mettre en avant une tendance qui est souvent la même que la tendance laïciste, une tendance d’« assimilationnisme » : dire que la France est comme ci et vous devez être comme ça
Évidemment, dans les périodes de crise que j’ai évoquées, il y a une volonté de mettre en avant une tendance qui est souvent la même que la tendance laïciste, une tendance d’« assimilationnisme » : dire que la France est comme ci et vous devez être comme ça.
Cette tendance n’a aucun sens. Comment définir une identité figée française ? Alors que la France – et c’est ce qui fait sa richesse – s’est construite à partir d’une multitude de cultures. […]
Cette richesse n’est pas mise en avant, dans les débats publics français, dans notre propre éducation nationale. Cette diversité des mémoires est absente alors qu’il y a des Français de tous horizons qui ont participé à l’histoire de la France, mais finalement on n’en parle que trop peu.
Je parle souvent des personnalités célèbres comme l’émir Abdelkader [chef religieux et militaire algérien qui mena la lutte contre la conquête de l’Algérie par la France au XIXe siècle], comme Sarda-Garriga [nommé commissaire général de la République à La Réunion pour y mettre en application le décret de l’abolition de l’esclavage en 1848], etc., qui sont des personnalités qui ont des confessions différentes, ont des origines géographiques différentes mais qui ont participé à l’histoire de la France et qui ont été décorées par la République laïque.
MEE : Quel est votre point de vue sur la loi « séparatisme » ? Et est-ce que les mesures proposées par cette loi protègent la laïcité ?
NC : Le projet de loi qui a été présenté (avant les amendements au Sénat) est à peu près équilibré dans le sens où il respecte l’équilibre de la loi de 1905.
Il respecte l’esprit de cette loi lorsqu’il demande à ce que toutes les associations qui gèrent le culte soient sous le statut de la loi de 1905 et pas celle de 1901 pour éviter que des associations mélangent activités socio-culturelles et activités religieuses, c’était d’ailleurs une demande de l’Observatoire de la laïcité qui a été reprise par le gouvernement et par le Parlement.
Il y a des amendements qui ne concernent pas directement la laïcité dans ce projet et il y a des points de vigilance qui peuvent nous inquiéter. D’abord, le contrat d’engagement républicain n’est pas un contrat juridiquement parlant. En réalité, c’est un simple rappel des règles de droit par l’État. Heureusement, il a été modifié car au début, il comprenait le respect des valeurs.
Le terme « valeurs » est un terme extrêmement subjectif et il ne fallait pas le garder dans le texte de la loi car on aurait pu alors voir des autorités publiques refuser des subventions publiques ou des agréments à des associations simplement parce que telle autorité publique aurait considéré que telle association ne respecte pas les valeurs telles que les autorités l’entendent.
Ensuite, il y a des articles qui sont à notre sens trop flous et qui peuvent conduire à des sanctions excessives. On a aussi un gros point de vigilance sur l’article 27, qui demande aux associations cultuelles et religieuses de faire reconnaître leur qualité cultuelle par le préfet lui-même avec un dossier à déposer tous les cinq ans pour valider et confirmer cette qualité cultuelle de l’association.
Cette mesure nous paraît excessive […] parce que ce n’est pas au préfet de reconnaître la qualité cultuelle, qui doit être acceptée d’office car le préfet et l’autorité administrative n’ont pas à s’immiscer dans le culte du fait même du principe de séparation.
Enfin, les amendements qui ont été adoptés au Sénat sont tout à fait scandaleux et s’ils étaient adoptés en dernière lecture, il y aurait une fracture totale avec l’équilibre laïc et un changement total de ce qu’est notre laïcité.
Ces amendements sont eux-mêmes contraires à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme. Ces amendements sont de la surenchère, qui n’ont aucun sens et qui sont parfois déposés au nom de la laïcité alors qu’ils s’opposent directement à la laïcité. Ce sont des amendements de tendance laïciste.
MEE : Vous pensez à quels amendements en particulier ?
NC : Vous avez les amendements qui visent à interdire aux mamans accompagnatrices de sortie scolaire de porter un foulard. Les exclure est absurde d’un point de vue laïc.
Je pense aussi aux amendements qui visent à interdire à tout mineur de porter un signe religieux ostensible, visible. Si cet amendement était adopté définitivement, vous ne pourriez plus avoir, en France, des personnes de 17 ans qui portent une kippa ou un voile dans la rue. C’est complètement anti-laïc et pourtant c’est dit au nom de la laïcité.
Il y a aussi un autre amendement pour interdire à toutes les sportives de porter le voile. Trop souvent, on a dans notre débat public une obsession sur la visibilité, alors qu’on doit avoir une obsession sur le comportement.
Ce qui pose vraiment problème, c’est le comportement. C’est par exemple chercher à imposer sa conviction religieuse ou sa croyance à autrui, ou porter atteinte à autrui en mettant en avant sa religion. Ce sont de tels fait qui doivent être sanctionnés, pas une simple apparence lorsqu’on n’exerce pas un service public.
MEE : Pouvez-vous nous parler de ce qui se passe actuellement autour de l’Observatoire, dont la fermeture a été annoncée par le gouvernement ?
NC : Je ne sais pas. Je vous avoue, c’est très étonnant parce que tous les acteurs de terrain soutiennent massivement l’Observatoire de la laïcité.
Je crois que cette annonce suit une logique politique ou, je dirais, politicienne […]
Je crois que cette annonce suit une logique politique ou, je dirais, politicienne […] La laïcité n’est pas un principe de la droite ni de la gauche. Il est très dangereux de faire de la laïcité une idéologie partisane
Ce serait créer un haut conseil de la laïcité composé de personnalités médiatiques mais qui serait déconnecté du terrain alors que l’intérêt de l’instance actuelle, c’est qu’elle lie terrain et conseil.
La laïcité ne doit pas être un outil politicien, elle ne doit pas être orientée idéologiquement. La laïcité n’est pas un principe de la droite ni de la gauche. C’est un principe transpartisan, républicain. Il est très dangereux de faire de la laïcité une idéologie partisane.
Une administration n’a pas à être sous tutelle parce que les administrations vont bien sûr décliner les orientations gouvernementales. Or, si on transforme notre administration actuelle, notre fonction, en sous-tutelle idéologique, cela est très dangereux.
MEE : Est-il possible de retrouver une laïcité apaisée ou un dialogue apaisé sur la laïcité aujourd’hui ?
NC : Je pense que si on n’était pas dans une période de crise, cette question ne se poserait pas. Les questions de l’identité seraient moins vives. Si on sort de cette crise globale, je pense que cela ira mieux du point de vue laïc.
Je crois que la vraie urgence pour faire vivre la laïcité est de faire vivre le pacte républicain et de traduire en acte la devise républicaine : Liberté, Égalité, Fraternité.
Dans cette période de crise, il est difficile d’empêcher cette instrumentalisation idéologique et politicienne de la laïcité.
Il faut que nos responsables, quels qu’ils soient, soient responsables et mettent un terme à ces polémiques futiles et mortifères, cela inclut les prescripteurs d’opinion dans les médias, qui jouent un jeu dangereux aujourd’hui pour beaucoup d’entre eux.
Interview réalisée par Chloé Benoist et retranscrite dans son intégralité par Safa Bannani.
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