Terrorisme, un concept vide
Les attaques meurtrières contre deux mosquées de Nouvelle-Zélande, si elles ont été largement condamnées, ont aussi suscité de vives polémiques sur les réseaux sociaux, car certains responsables politiques, médias et intellectuels rechignaient à qualifier Brenton Tarrant, l’auteur de ce massacre, de « terroriste ».
Nombre de commentateurs ont souligné qu’une telle « timidité » n’était jamais de mise quand il s’agissait de qualifier le responsable « musulman » de ce type d’actions sanguinaires.
Pourtant, au-delà de ces reproches justifiés qui pointent l’islamophobie dominante en Occident, il faudrait réfléchir sur le terme de « terrorisme », devenu d’usage si courant que plus personne ne s’interroge vraiment sur sa signification et qui semble utilisé pour discréditer toute violence à caractère politique.
Discréditer les mouvements de libération nationale
Un petit retour sur l’histoire permet pourtant d’éclairer le débat. Le qualificatif de « terroriste » a été appliqué à des groupes de types très différents, dont les idéologies politiques couvrent un large spectre qui va de l’extrême droite à l’extrême gauche : des groupuscules fascistes italiens des années 1970 aux Tigres tamouls, en passant par l’Armée républicaine irlandaise (Irish Republican Army, IRA) ou l’organisation séparatiste basque ETA. Les mettre dans le même sac relève d’une simplification primaire.
Pour comprendre les raisons de leur action, il faut étudier concrètement la situation dans laquelle ils se sont développés ; aucun ne se réclame du « terrorisme » ou ne fait du « terrorisme » son objectif – contrairement au communisme, au fascisme, aux nationalismes, qui ont des projets clairement affirmés.
Dans les années 1950-1960, le qualificatif de terroriste a été le plus souvent agité pour dénoncer les mouvements de libération nationale, du Front de libération nationale algérien à l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), en passant par le Congrès national africain (African National Congress, ANC).
Rappelons que ces deux derniers groupes ont été dénoncés comme « terroristes » par Ronald Reagan, Margaret Thatcher et, bien sûr, les dirigeants israéliens, dont le pays collaborait étroitement avec l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Or, tous ces exemples ont prouvé que les terroristes d’hier sont souvent les gouvernants de demain. Les groupes sionistes n’ont-ils pas été qualifiés de « terroristes » par le gouvernement britannique dans les années 1940 avant de créer l’État d’Israël ?
L’arme des faibles
Au mieux, on peut inscrire le terrorisme dans la liste des moyens militaires. Et, le plus souvent, il est l’arme des faibles.
Si le Hamas et ses alliés doivent être considérés comme des « terroristes » pour avoir tué trois civils pendant la guerre de Gaza à l’été 2014, comment faut-il qualifier l’État d’Israël, qui en a massacré entre 800 et 1 000 ?
Figure brillante de la révolution algérienne, arrêté par l’armée française en 1957, Larbi Ben M’hidi, chef de la région autonome d’Alger, fut interrogé sur la raison pour laquelle le FLN déposait des bombes dissimulées au fond de couffins dans les cafés ou dans les lieux publics. « Donnez-nous vos avions, nous vous donnerons nos couffins », rétorqua-t-il à ses tortionnaires, qui allaient l’assassiner froidement quelques jours plus tard.
La disproportion des moyens entre une guérilla et une armée régulière entraîne une disproportion du nombre des victimes.
Si le Hamas et ses alliés doivent être considérés comme des « terroristes » pour avoir tué trois civils pendant la guerre de Gaza à l’été 2014, comment faut-il qualifier l’État d’Israël, qui en a massacré, selon les estimations les plus basses – celles de l’armée israélienne elle-même –, entre 800 et 1 000, dont un grand nombre d’enfants ?
Réduire la lutte à un affrontement entre le Bien et le Mal
L’usage du terme « terroriste » a pris une nouvelle dimension avec le lancement par George W. Bush de « la guerre contre le terrorisme », à la suite du 11 septembre 2001.
Dénonçant les responsables des attaques, le président américain déclarait alors devant le Congrès américain : « Ils haïssent ce qu’ils voient dans cette assemblée, un gouvernement démocratiquement élu. Leurs dirigeants se désignent eux-mêmes. Ils haïssent nos libertés : notre liberté religieuse, notre liberté de parole, notre liberté de voter et de nous réunir, d’être en désaccord les uns avec les autres. »
Il s’agissait donc, notamment au Proche-Orient, d’engager une guerre de civilisation contre des groupes qui menaceraient le mode de vie occidentale.
Le problème du concept de « guerre contre le terrorisme » est qu’il dispense de toute analyse politique et réduit la lutte à un affrontement entre le Bien et le Mal. Si les « terroristes » sont mus fondamentalement par leur haine de la liberté occidentale, il est inutile de s’interroger sur les raisons pour lesquelles ces groupes se sont développés, leurs motivations, leurs objectifs.
On peut ainsi mettre dans la même catégorie, le Hamas et al-Qaïda, le Hezbollah et le groupe État islamique (EI). Au risque de quelques contradictions sur lesquelles on ne s’attarde pas : ainsi, les Occidentaux, ont mis le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie sur la liste des organisations terroristes, mais aident militairement les Unités de protection du peuple (YPG), le bras armé de sa branche syrienne, pour s’opposer à l’EI.
Une guerre contreproductive
L’usage du vocable « guerre contre le terrorisme » a permis d’évacuer les conséquences des politiques occidentales en Palestine ou en Irak, qui ont pourtant bien plus fait pour renforcer « le terrorisme » que l’idéologie dite islamiste radicale
Dix-sept ans après le 11 septembre, on peut mesurer l’échec d’une telle guerre contre le terrorisme, sans même parler du coût financier ou du terrible bilan humain.
Engagés en Afghanistan dans le conflit le plus long de toute leur histoire, les États-Unis s’apprêtent à quitter ce pays en cédant le pouvoir aux talibans (pourtant qualifiés de « terroristes »), qu’ils voulaient renverser mais qu’ils préfèrent à l’EI, désormais solidement implanté dans le pays.
En Irak, l’EI a certes été écrasé, mais il n’est pas inutile de rappeler que, au moment de l’invasion américaine en 2003, al-Qaïda n’existait pas en Irak et que l’EI n’aurait jamais vu le jour sans la guerre américaine. Et que, même vaincu militairement, l’EI conserve de fortes bases politiques. Mais surtout, la région n’a jamais été aussi instable, aussi déchirée, aussi violente.
Car l’usage du vocable « guerre contre le terrorisme » a permis d’évacuer toute analyse politique et tentative de comprendre les causes réelles de l’instabilité. Il a permis d’évacuer les conséquences des politiques occidentales en Palestine ou en Irak, qui ont pourtant bien plus fait pour renforcer « le terrorisme » que l’idéologie dite islamiste radicale.
Pense-t-on vraiment que la récente reconnaissance par l’administration Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël et de la souveraineté israélienne sur le Golan syrien contribuera à réduire la violence dans la région ?
Il faut le redire, la résolution des problèmes politiques est seule à même de réduire les tensions et de couper l’herbe sous le pied de groupes dits radicaux.
Mais comment alors qualifier les actes criminels que sont les attaques contre des civils à des fins politiques ? Faut-il les banaliser ? Le droit international contient des concepts de « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité », « génocides » qui permettent de qualifier de telles actions et aussi de faire avancer l’idée d’une justice internationale.
Encore faut-il que l’on soit clair. Si des groupes comme al-Qaïda et l’EI relèvent de la justice internationale, il faudrait aussi pouvoir traîner devant les tribunaux les dirigeants politiques (pas seulement africains) qui sont responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Irak, en Syrie ou en Palestine.
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