En cette journée des « victimes du terrorisme », fustigeons les véritables terroristes
En 1986, le célèbre écrivain uruguayen Eduardo Galeano avait écrit un essai sur le Nicaragua, dans lequel il soulignait certains paradoxes qu’il avait repérés au sujet du « terrorisme ».
Plus spécifiquement, a écrit Galeano, une certaine nation de premier plan qui affirmait alors que « même les étoiles [devaient] être militarisées […] pour faire face à la menace terroriste » s’est avérée être précisément cette même nation qui s’est livrée simultanément à « des actes terroristes contre le Nicaragua, [à] des pratiques terroristes érigées en droit impérial et […] [à] une exportation du terrorisme d’État, à l’échelle industrielle, sous la marque déposée de la “doctrine de sécurité nationale” ».
La nation en question était bien évidemment les États-Unis, qui s’étaient engagés à punir le Nicaragua pour sa décision de dévier du chemin direct et étroit de l’obséquiosité face aux besoins de la capitale américaine. Les États-Unis ont notamment semé le chaos par le biais de forces par procuration de droite et miné les ports nicaraguayens.
Un terrorisme d’État
Sans l’ombre d’un doute, il vaut la peine de garder ces paradoxes en tête en ce 21 août, à l’occasion de la Journée internationale du souvenir, en hommage aux victimes du terrorisme. Au cours des trois dernières décennies, les paradoxes de ce type n’ont cessé de s’accumuler.
En raison du monopole actuel de l’Occident sur le discours antiterroriste – selon lequel les États-Unis, l’Europe et Israël sont intrinsèquement des victimes plutôt que des auteurs du terrorisme –, une multitude de « victimes » et de « survivants » du terrorisme font continuellement l’objet d’une non-reconnaissance
Selon une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, la journée commémorative a pour objectifs « d’honorer et de soutenir les victimes et les survivants du terrorisme et de promouvoir et protéger le plein exercice de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux ». La résolution réaffirme également la conviction de l’assemblée que « tous les actes de terrorisme sans exception sont criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motivations, le lieu, l’époque et les auteurs ».
Si l’on ne s’attarde pas sur la vacuité typique du langage onusien, il est curieux de constater que l’organisme international a choisi d’axer une journée de commémoration sur le terrorisme sans être parvenu à définir le terrorisme en premier lieu. Comme le précise le site web de l’ONU, « une définition univoque du terrorisme supprimerait la distinction politique que certains établissent entre les agissements de prétendus combattants de la liberté et les agissements de terroristes ».
Certes, mais qu’en est-il quand il y a peu de distinction entre les agissements de gouvernements et les agissements de terroristes ?
En l’occurrence, le Nicaragua n’est que la partie émergée de l’iceberg. En raison du monopole actuel de l’Occident sur le discours antiterroriste – selon lequel les États-Unis, l’Europe et Israël sont intrinsèquement des victimes plutôt que des auteurs du terrorisme, quelles que soient les réalités sur le terrain ou les séquences d’événements pertinents –, une multitude de « victimes » et de « survivants » du terrorisme font continuellement l’objet d’une non-reconnaissance.
Se souvenir des oubliés
En effet, dans divers lexiques, des mots comme « Arabe », « musulman » et « Palestinien » sont considérés comme des synonymes de facto de « terroriste », en dépit de la présence fréquente de ces mêmes catégories d’êtres humains dans la partie qui subit le terrorisme. La Journée internationale du souvenir, en hommage aux victimes du terrorisme est donc peut-être une bonne occasion de se souvenir des oubliés.
L’alibi de la « guerre contre le terrorisme » employé après les attentats du 11 septembre s’est avéré extrêmement utile pour disculper les États-Unis de tout comportement terroriste, que ce soit en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie ou ailleurs
L’Encyclopædia Britannica définit le terrorisme comme « l’usage systématique de la violence pour créer un climat général de peur au sein d’une population et atteindre ainsi un objectif politique particulier ». Et pour résumer ce concept de violence systématique, il ne faut pas chercher plus loin que l’État d’Israël qui, depuis sa création spontanée sur les terres palestiniennes en 1948, consacre son existence à maintenir un climat de peur perpétuel en s’évertuant à effacer l’identité palestinienne ainsi que tout autre obstacle à son entreprise d’usurpation de territoire.
Les options en matière de violence à employer semblent ne pas manquer. Des massacres purs et simples aux bombardements pas si chirurgicaux, en passant par les attaques au phosphore blanc qui incinèrent les corps, les frappes aériennes sur des enfants ou encore les tirs de snipers qui abattent des manifestants pacifiques et des médecins, l’armée israélienne a ce qu’il faut pour tout le monde.
Dans le même temps, au cas où le climat de peur s’apaiserait ne serait-ce qu’un instant, il y a toujours des drones à portée de main, prêts à bourdonner au-dessus des têtes pour garantir que la population palestinienne reste docile et terrorisée. Mais au final, bien évidemment, ce sont les Palestiniens qui sont les terroristes.
Sur le plan de la violence systématique, il est également impossible de surpasser les États-Unis, une nation fondée sur le génocide et l’esclavage. Parmi les représentations plus contemporaines des exploits américains, on peut compter l’anéantissement de portions de populations civiles au Vietnam, au Panama ou encore en Irak.
Les États-Unis disculpés
Pour sûr, l’alibi de la « guerre contre le terrorisme » employé après les attentats du 11 septembre s’est avéré extrêmement utile pour disculper les États-Unis de tout comportement terroriste, que ce soit en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, en Somalie ou ailleurs.
Inutile de dire que si un pays étranger prenait l’habitude de bombarder des mariages aux États-Unis, ce phénomène serait immédiatement décrié et identifié à l’aide du mot qui commence par « T » – et les retombées nécessiteraient un bien plus grand ménage que l’approche américaine emblématique du « Oups, pardon ».
Au Yémen aussi, un climat de peur règne, en grande partie à cause de la poursuite de « terroristes » à laquelle la coalition saoudienne soutenue par les États-Unis se livre avec acharnement. En novembre 2017, le magazine The New Yorker a noté que « les forces armées saoudiennes, soutenues par plus de 40 milliards de dollars d’expéditions d’armes américaines autorisées par les administrations Trump et Obama, [avaient] tué des milliers de civils au cours de frappes aériennes » au Yémen.
Revenons une seconde fois en 1986, lorsque Galeano faisait allusion à la relation entre la « diabolisation » du Nicaragua par les États-Unis et la durabilité de l’industrie américaine de la défense. Certaines choses ne changent jamais, dit-on – comme le recours systématique à la violence.
Aujourd’hui, à la suite de la frappe effectuée ce mois-ci par la coalition saoudienne, qui a massacré plusieurs dizaines d’enfants dans un bus scolaire au Yémen, il est d’autant plus justifié de célébrer la Journée internationale du souvenir, en hommage aux victimes du terrorisme – et, tant que nous y sommes, de fustiger les véritables terroristes.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : des Pakistanais brûlent un drapeau américain pour protester contre une frappe de drone américaine lancée contre un chef taliban, à Peshawar, le 27 mai 2016 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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