Massacres au Mali : comment la « guerre contre le terrorisme » alimente les violences tribales au Sahel
Un bilan officiel estimé à 35 morts, des maisons incendiées, des animaux abattus : dans la nuit de dimanche à lundi, une attaque a ravagé un village dogon du centre du Mali où le cycle d’atrocités entre communautés désormais antagonistes menace l’existence même du pays, a affirmé lundi le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Cette attaque contre un village de la zone de Bandiagara, à l’est de Mopti, fait suite à un autre massacre, le 23 mars à Ogassogou, de quelque 160 Peuls attribuée à des chasseurs dogons dans cette région, proche de la frontière avec le Burkina Faso, devenue la plus violente du pays.
Un bébé de dix jours tué avec sa mère. Des gens jetés dans un fossé d’huile en feu avant d’être abattus. Un chef de village capturé et exécuté sommairement devant sa propre mère. Après le massacre d’Ogassogou, Hamadoun Dicko, un dirigeant peul du Mali, avait raconté à Middle East Eye la dernière attaque dévastatrice sur des membres de son groupe ethnique, qui compte près de trois millions de personnes dans cet État africain.
« Un génocide est en cours contre la communauté peule au Mali »
- Hamadoun Dicko, dirigeant peul du Mali
Après avoir perdu neuf membres de sa famille aux mains de la milice Dan Na Ambassagou, il avait confié ne plus pouvoir retourner dans son village par crainte de mourir.
À l’époque, Ravina Shamdasani, porte-parole du bureau des droits de l’homme des Nations unies, avait qualifié les attaques d’« horribles ».
Depuis l’apparition en 2015 dans la région du groupe islamiste armé du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l’agriculture, qui ont créé leurs « groupes d’autodéfense ».
« Les Peuls pourraient être massacrés partout au Mali », assure Dicko, porte-parole de la section malienne de Tabital Pulaaku, qui représente les Peuls dans le monde entier. « Un génocide est en cours contre la communauté peule au Mali. La nation malienne est en danger et il est fort probable que les Peuls soient massacrés partout. Ils ne sont plus en sécurité. »
Cette violence intervient alors que la campagne militaire du Mali contre les groupes islamistes armés, soutenue par la communauté internationale, se transforme progressivement en guerre contre les Peuls, selon certains analystes.
La gravité de la situation est mise en évidence par une multitude de groupes liés à al-Qaïda en quête d’influence, des milices soutenues par l’armée avec des comptes à régler avec les tribus, et par une lutte désespérée pour l’eau et les terres dans un climat de catastrophe climatique imminente.
Tribus du Sahel
Environ 40 millions de Peuls vivent dans toute l’Afrique, principalement dans le Sahel, un paysage semi-aride qui s’étend de l’est à l’ouest de l’Afrique – de la mer Rouge à l’Atlantique – et qui s’étend à l’extrémité sud du désert du Sahara.
Tandis que certains occupent des postes de pouvoir et bénéficient de privilèges, beaucoup sont pauvres et entretiennent une tradition pastorale ancestrale, errant avec des troupeaux de bêtes à cornes à la recherche de pâturages frais et d’eau potable.
Les Dogon, un groupe beaucoup plus petit, sont concentrés dans le centre du Mali, où leurs maisons de boue sont perchées sur un paysage de falaises et de plateaux sablonneux.
Les Peuls sont en majorité musulmans, tandis que les Dogons adhèrent pour la plupart aux systèmes de croyances traditionnels, une minorité significative pratiquant également l’islam.
Ces dernières années, les Dogons ont constitué des milices armées, composées de bandes de chasseurs traditionnels appelés Dozo, pour se protéger des attaques de combattants liés à al-Qaïda, qui ont attiré un grand nombre de Peuls.
Selon Ibrahim Yahaya, de l’International Crisis Group (ICG), les milices Dogons perçoivent désormais les Peuls comme « complices des djihadistes » et ont attaqué leurs villages sans distinction.
« Le fait que ces groupes aient recruté plus de Peuls que toute autre ethnie leur a donné une identité peule », souligne Ibrahim. « Parfois, les djihadistes attaquent des individus dogons et les milices Dogons ripostent en attaquant des villages peuls. »
Bien qu’il y ait eu historiquement des tensions entre les éleveurs, généralement de la tribu des Peuls, et les agriculteurs dogons, les violences étaient rares. La situation a pris un virage marqué avec l’ascension en 2015 de combattants inspirés par les groupes islamistes armés de la région.
Parmi eux, le Front de libération de Macina (FLM), dirigé par Amadou Koufa, un prédicateur local peul qui s’est rendu au Moyen-Orient et en Afghanistan, apparu indemne récemment après avoir été déclaré tué par les forces françaises l’an dernier.
Le FLM tire son nom de l’empire Macina, ancré au centre du Mali, un des nombreux États que le djihad peul cite comme ayant dominé l’Afrique de l’Ouest au XIXe siècle.
Responsable des attaques contre les positions du gouvernement et de l’armée, ainsi que contre les civils de toutes ethnies, le FLM cherche à renverser l’État malien et à instaurer un régime conforme à une interprétation extrême de la loi islamique.
Il combat sous la bannière de Nosrat al-Islam, la branche officielle d’al-Qaïda au Mali, qui regroupe plusieurs groupes combattants aux vues similaires qui opèrent en Afrique de l’Ouest et au Maghreb.
Des groupes liés au groupe État islamique (EI) sont également connus pour opérer dans la région.
« Ils exploitent les griefs »
La rhétorique religieuse figurait peu dans le premier appel aux armes du FLM, diffusé par radio, souvent en langue peule, aux communautés isolées.
Au lieu de cela, Koufa a puisé dans les vieilles revendications des populations locales, dont beaucoup étaient de pauvres éleveurs peuls qui se sentaient marginalisés par un gouvernement qu’ils considéraient comme corrompu et exploiteur.
« Ils exploitent les griefs pour affirmer que le gouvernement est corrompu et que les communautés sont marginalisées », commente Ibrahim. « Une fois qu’ils ont attiré les gens de cette façon, ils passent ensuite à l’aspect religieux. »
Trait d’union entre l’Afrique subsaharienne et le monde arabe, le Mali a longtemps été un carrefour culturel et commercial. Les anciens gisements d’or ont donné naissance à de vastes royaumes. Tombouctou était autrefois une grande ville d’enseignement islamique.
Les principales colonies de peuplement, notamment Bamako et Ségou, chevauchent les rives du Niger, principal fleuve d’Afrique de l’Ouest, qui traverse le pays enclavé, offrant une bouée de sauvetage à des millions de personnes.
Autrefois terre aux richesses légendaires, le pays figure désormais parmi les plus pauvres du monde, au 183e rang sur les 187 pays recensés selon l’indice de développement humain de l’ONU.
Les conditions de vie dans le centre du Mali sont bien inférieures aux moyennes nationales, alimentant les griefs. Le taux de pauvreté y est estimé à environ 60 %, contre 11 % dans la capitale Bamako.
En réponse à l’attaque de Mopti, le gouvernement malien a renvoyé les hauts gradés de l’armée et dissous Dan Na Ambassagou, un ensemble de groupes d’autodéfense dogons composés de chasseurs traditionnels, accusé d’être à l’origine de l’attaque.
Ces groupes ont commencé à apparaître en 2016, lorsque les Dogons ont commencé à s’organiser en réponse aux attaques du FLM.
« Certains Dogons en ont eu assez des Peuls et des milices ont commencé à émerger et à réclamer l’expulsion des Peuls de toute la région », témoigne Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, analyste basé à Paris et enseignant à l’Institut national des langues et civilisations orientales.
La surenchère d’attaques a engendré des dizaines de morts.
Deux combattants peuls présumés ont tué deux hommes soupçonnés d’être des informateurs des forces armées maliennes en 2016. Des attaques de représailles ont fait 30 morts des deux côtés.
En 2017, des assaillants armés peuls présumés ont tué un membre éminent d’une société de chasse dogon, suscitant des attaques de représailles de la part de Dogons armés contre des villages peuls. Trente-cinq personnes sont mortes, entraînant l’évacuation de plusieurs milliers de civils.
« Des femmes enceintes et des personnes âgées ont été tuées, ils ont tranché la gorge de certaines personnes et d’autres ont été brûlées vives »
- Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, analyste peul
En 2018, la violence s’est intensifiée. Human Rights Watch a recensé 42 incidents de violences communautaires à Mopti l’année dernière. Au total, 202 civils ont été tués, dont 156 Peuls.
Des villages ont été réduits en cendres, et les mains, pieds et organes génitaux coupés font désormais partie d’un cycle de violences gratuites qui ont atteint un sommet avec l’attaque d’Ogossagou, décrite par Ba-Konaré comme « la plus importante et la plus abominable ».
« Des femmes enceintes et des personnes âgées ont été tuées, ils ont tranché la gorge de certaines personnes et d’autres ont été brûlées vives. C’est déchirant, On peut voir des personnes changées en pierre en raison de la façon dont elles ont été brûlées. Ils ont brûlé tous les animaux dans ce village. »
Un groupe affilié al-Qaïda basé au Mali avait revendiqué la responsabilité d’une attaque contre une base militaire le 17 mars, laquelle a coûté la vie à plus de 20 soldats.
Le groupe a déclaré qu’il s’agissait d’une vengeance pour des attaques contre des éleveurs peuls.
Un habitant d’Ogossagou a déclaré à l’agence de presse Reuters que les violences du 23 mars semblaient constituer des représailles de l’attaque contre les soldats.
Et ainsi de suite. Depuis, 62 personnes ont été tuées début avril lors d’attaques suivies d'affrontements intercommunautaires dans la commune d’Arbinda (nord du Burkina Faso), frontalière du Mali. Cinq membres d’une milice de chasseurs traditionnels dogons du centre du Mali ont été tués début mai selon leur association, elle-même accusée mercredi d’avoir tué dix Peuls et d’en avoir enlevé dix. Plus de dix civils peuls ont encore été tués le 13 mai dans la région de Ségou (centre du Mali).
Armes lourdes
Selon Ba-Konaré, les violences ont été alimentées par une surabondance d’armes que les milices dogons ont reçues de leur tribu en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso voisins.
« Ils possèdent des armes lourdes, des lance-roquettes, des grenades, des gilets pare-balles. C’est différent de la technologie de guerre que l’on pouvait trouver dans la région ces deux dernières années », note-t-il.
Le pays dans son ensemble s’est militarisé au fur et à mesure que des acteurs internationaux s’y établissent, cherchant à enrayer le flux de migrants vers l’Europe, alors que grandit la peur des attaques de combattants.
Les Nations unies gardent environ 15 000 Casques bleus au Mali, ce qui en fait la mission de maintien de la paix la plus dangereuse. Le pays accueille deux missions de maintien de la paix de l’Union européenne, lesquelles fournissent un entraînement militaire aux forces maliennes.
Le G5 Sahel – un partenariat entre le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Tchad et le Niger – a lancé une force commune en 2017 pour « lutter contre l’extrémisme violent ».
Le général Thomas Waldhauser, commandant des forces américaines en Afrique, a décrit le G5 comme « un mouvement dirigé par l’Afrique, avec l’assistance de la France et le soutien des États-unis ».
Les Français ont également déployé 3 000 hommes répartis dans les pays du G5, ses anciennes colonies, dans le cadre de l’opération Barkhane, une opération de contre-insurrection.
Drones américains
Des drones américains armés, basés sur une base tentaculaire au Niger, devraient bientôt survoler le Sahel, dans le cadre d’une guerre secrète menée par les États-unis contre des combattants présumés de tout le continent.
L’afflux de troupes régionales survient dans un contexte de rivalité acharnée pour les matières premières, notamment l’or et l’uranium, suscitant l’intérêt de pays comme la Russie et la Chine.
Toutefois, ces missions sont souvent « fortement axées sur la sécurité » et ne traitent pas les causes profondes de la violence, selon Nadia Ahidjo de l’Open Society Initiative for West Africa (OSIWA), l’une des fondations de l’Open Society fondée par l’investisseur américano-hongrois George Soros.
« C’est une réponse militaire à un problème qui n’est pas un problème militaire »
- Nadia Ahidjo, Open Society Initiative for West Africa
« Bon nombre de ces groupes sont en réalité constitués pour lutter contre le terrorisme et ne considèrent donc pas les conflits communautaires ou la cohésion sociale comme un problème qu’ils devraient viser. »
« Leur mission est fortement axée sur la sécurité. C’est une réponse militaire à un problème qui n’est pas un problème militaire. »
Ba-Konaré souligne que les forces de lutte contre le terrorisme ont pour mandat de ne rechercher que les « groupes terroristes djihadistes », permettant ainsi aux milices ethniques d’agir en toute impunité contre les Peuls.
« À mon avis, les milices sont aussi des terroristes. Par leur manière de combattre et de susciter la peur, elles constituent un groupe terroriste, mais personne ne les traite comme telles. »
Selon des groupes de défense des droits de l’homme, l’armée malienne est impliquée dans une série de violations des droits de l’homme (notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des actes de torture) dans sa traque des combattants présumés.
Selon Ibrahim, l’armée a mené des opérations antiterroristes aux côtés d’éléments des milices Dozo et a fermé les yeux sur leurs attaques contre les communautés peules.
Cela n’a fait que renforcer les griefs des Peuls et les arguments antigouvernementaux de combattants inspirés par le djihad qui cherchent à les recruter.
« La violence de l’armée malienne a renforcé la position djihadiste selon laquelle ce sont eux qui protègent les Peuls. »
Selon Ba-Konaré, l’armée malienne a arrêté des centaines d’innocents et a commis des exécutions extrajudiciaires en cherchant à prouver ses compétences dans le cadre d’une « guerre contre le terrorisme ».
« Au nom de la guerre contre le terrorisme, ils essaient de se montrer très forts », souligne-t-il.
« Vous avez donc un environnement où tout peut être justifié au nom de la guerre contre le terrorisme, alors qu’en fait les milices ont tué plus de gens que les djihadistes, beaucoup plus. »
L’ONU, un témoin des massacres
L’ONU a rapidement réagi aux attaques : l’UNICEF a fourni des médicaments et des fournitures de premiers secours ; l’agence pour les réfugiés, le HCR, a distribué des « kits de dignité » ; des lits et des articles d’assainissement ont été offerts par le Programme alimentaire mondial (PAM). Une équipe de la propre police de l’ONU a été envoyée pour enquêter sur l’attaque.
Début mai, la mission de l’ONU a estimé que cette « attaque planifiée, organisée, et coordonnée » pouvait être qualifiée de « crime contre l’humanité ». Selon le rapport, les chasseurs dozos ont tué « de manière indiscriminée hommes, femmes et enfants, incendiant les maisons à l’aide de torches et autres combustibles ». Les enquêteurs ont « pu localiser et confirmer l’existence d’au moins trois fosses communes contenant au moins 40 corps dans chacune des deux premières, et au moins 70 corps dans la troisième ».
Malgré cette vaste réponse de l’ONU, des groupes maliens de défense des droits de l’homme affirment qu’elle ne protège pas les civils.
« Les forces internationales échouent dans leur mission première, qui est de protéger les populations civiles »
- Drissa Traore, coordinateur national de l’Association malienne des droits de l’homme
« Ils assistent impuissants à tous ces massacres », relève Drissa Traoré, coordinateur national de l’Association malienne des droits de l’homme, un groupe qui documente les abus. « Les forces internationales échouent dans leur mission première, qui est de protéger les populations civiles. »
Hamadoun Dicko, qui a raconté l’attaque sur Ogossagou, raconte que les peuls ont tenté de soulever le problème de la violence intercommunautaire avant de se voir répondre par l’ONU qu’elle n’avait pas le mandat pour agir.
« Nous ne savons pas pourquoi l’ONU est ici parce qu’elle ne fait rien et qu’elle n’a pas reçu d’ordre d’agir », déplore-t-il. « Il est étrange de voir à quel point ils sont nombreux ici sans aucune réaction. Ils ne prennent pas notre problème suffisamment au sérieux. »
Pour Abou Dieng, responsable du Bureau du Conseiller spécial des Nations unies pour le Sahel, les causes profondes de la situation doivent être traitées.
« Oui, il y a des groupes qui sont très violents, mais nous devons nous attaquer à la cause profonde de cette crise, liée aux activités économiques, à l’accès à la nourriture et à l’eau ainsi qu’à l’accès à l’éducation. »
Son bureau est chargé de la mise en œuvre du Plan de soutien des Nations unies pour le Sahel, qui traite de la lutte contre le changement climatique, de la coopération transfrontalière et de l’émancipation des jeunes et des femmes pour parvenir à « une prospérité partagée et une paix durable » dans la région.
Il n’était pas en mesure de commenter les préoccupations relatives aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, qui relèvent d’un département différent.
La rareté des ressources due au changement climatique est un facteur sous-jacent au conflit, selon lui. « Les changements climatiques affectent cette partie du monde, c’est pourquoi le Sahel est sujet à une insécurité alimentaire. Il existe à présent des tensions sur la pénurie de ressources. »
Éleveurs et fermiers
Pour Abou Dieng, le conflit entre les éleveurs et les agriculteurs sédentaires est une caractéristique de la région. « Il existe une énorme tension dans le Sahel entre les deux groupes. »
Alors que les ressources diminuent, le Mali continue de connaître une croissance démographique exponentielle. La population du pays a plus que doublé au cours des 30 dernières années pour atteindre 18,5 millions d’habitants et aujourd’hui, près de 50 % des Maliens ont moins de 15 ans.
Les sécheresses, de plus en plus fréquentes et intenses, ont dévasté le pays au cours des dernières décennies, tuant des milliers de personnes et des millions de têtes de bétail.
Cela constitue une source de grave conflit dans un pays où près de 60 % de la population vit en zone rurale.
Nadia Ahidjo explique que les éleveurs peuls ont été entraînés dans une rivalité pour les pâturages et l’eau potable.
« Les Peuls conduisent leur bétail d’un endroit à l’autre en fonction des routes de pâturage et avec le changement climatique, les zones arides se multiplient », explique-t-elle.
À cela s’ajoutent des différends entre agriculteurs sédentaires et éleveurs, des récits contradictoires sur la propriété foncière et des différends qui font référence à des arrangements fonciers passés entre des groupes il y a des siècles.
Séparatistes touaregs
Une rébellion des séparatistes touaregs en 2012 a enflammé les tensions ethniques, poussant les éleveurs peuls entre les mains de groupes extrémistes.
Les dirigeants politiques touaregs (peuple nomade habitant le Sahara) cherchaient depuis longtemps leur propre pays, exempt de marginalisation, au Mali et dans les pays voisins.
En 2011, le renversement en Libye de Mouammar Kadhafi, soutenu par l’Occident, a marqué un tournant. Avec sa disparition, les Touaregs qui s’étaient battus à ses côtés en tant que mercenaires sont rentrés chez eux de l’autre côté du Sahara, apportant avec eux des armes lourdes volées dans les arsenaux libyens.
Un an plus tard, les séparatistes touaregs ont déclaré la guerre au gouvernement malien, s’attachant à obtenir l’indépendance de la région du nord du Mali, connue sous le nom d’Azawad.
Le gouvernement malien a été rapidement renversé par des soldats mutins, contrariés par sa réaction lente.
Ansar Dine, un groupe extrémiste armé, a commencé à faire la guerre aux autorités, s’alliant pendant quelques mois avec les séparatistes dirigés par les Touaregs avant que les deux groupes se retournent l’un contre l’autre.
Ibrahim explique que les éleveurs peuls vivant dans les régions centrales adjacentes au nord ont commencé à se sentir mal à l’aise devant des Touaregs enhardis.
« Ils sont devenus vulnérables aux actes des séparatistes touaregs qui venaient piller leurs villages et voler leurs vaches. »
Cherchant à s’entraîner et à obtenir des armes pour protéger leurs villages et leurs troupeaux, certains éleveurs peuls ont rejoint des groupes extrémistes, tels que Ansar Dine, composé principalement d’Arabes et de Touaregs, et se sont battus contre les forces gouvernementales et les séparatistes touaregs, commettant parfois des atrocités.
Les troupes du centre du Mali et d’autres régions se sont précipitées dans le nord pour réprimer la rébellion, laissant une vacance de pouvoir dans leur sillage.
« Les gens ont commencé à s’entretuer »
Selon Ba-Konaré, le centre du Mali a connu un tournant décisif en 2012. La « haine contenue » contre un gouvernement défaillant, des groupes de rebelles en maraude et une armée absente ont finalement débouché sur des violences intercommunautaires.
Les forces maliennes ont pu reprendre pied dans le pays grâce à une intervention menée par la France en 2013, qui a vu les rebelles – inspirés par les séparatistes touaregs et les islamistes armés – expulsés de leurs bastions du nord.
Les séparatistes se sont évanouis dans le désert du Sahara, hors de portée des forces étatiques, explique Ibrahim. Cependant, lorsque les Peuls sont rentrés dans leurs villages du centre du Mali, une armée vengeresse leur a emboîté le pas.
« Lorsque l’armée malienne a commencé à reprendre le contrôle des territoires perdus par les djihadistes, elle a persécuté les Peuls qui avaient rejoint ces groupes », rappelle-t-il.
« Les Peuls avaient initialement rejoint les djihadistes parce qu’ils voulaient protéger leurs communautés. Mais le gouvernement les considérait comme des djihadistes. »
Soucieux d’être à nouveau protégés, certains Peuls du centre du Mali se sont aujourd’hui ralliés à des groupes extrémistes, donnant naissance à des entités telles que le Front de libération de Macina.
Les accords de paix signés en 2015 ont ramené les anciens séparatistes touaregs du côté de l’État, les légitimant en tant qu’alliés de la guerre contre le terrorisme.
Dans le cadre de l’opération Barkhane, sa mission antiterroriste, la France s’est tournée vers ces séparatistes légitimés pour identifier les cibles des missions le long d’une frontière de plus en plus agitée entre le Mali et le Niger.
« Historiquement, il y a de l’animosité entre les groupes touaregs et peuls. Lorsque les Français sont venus, ils se sont alignés sur les Touaregs pour combattre les peuls. Les Touaregs ont profité de cette position pour commettre des actes de violence contre leurs rivaux historiques », a déclaré Ibrahim.
Avertissements et échos du passé
Les dirigeants peuls du Mali craignent désormais que leurs souffrances se soient normalisées face à une puissante alliance de milices bien équipées et de forces gouvernementales, appuyées par des acteurs internationaux, unis au nom de la lutte contre le terrorisme, mais les combattant eux en réalité.
Fary Silate, un universitaire chevronné et président de la section sénégalaise de Tabital Pulaaku, qui encourage la solidarité entre les communautés peules, a averti dans une note vocale publiée dans un groupe de WhatsApp que le génocide rwandais et les conflits de clans en Somalie constituent un exemple éloquent qui montrent où la violence ethnique peut conduire.
« Il est dangereux de désigner une ethnie comme terroriste », a-t-il déclaré. « Le Rwanda et la Somalie sont des exemples qui montrent à quel point ce type de conflit est dangereux. »
Hamadoun Dicko indique que les dirigeants de Dan Na Ambassagou se déplacent librement à travers le pays et apparaissent à la télévision.
« Si personne ne les soutenait, ils ne disparaîtraient pas et ne réapparaîtraient pas comme ils le voudraient et quand ils le voudraient », explique-t-il à MEE. Hamadoun Dicko a demandé que les responsabilités soient établies concernant les attaques et a demandé le soutien de la communauté internationale.
« Tout ce que nous voulons, c’est la justice. La communauté internationale doit savoir que la communauté peule n’est pas en sécurité. »
Traduit de l’anglais (original) et actualisé par VECTranslation.
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