Les Gardiens de la révolution désignés comme « terroristes » : comment cela affectera-t-il l’Iran ?
Dans un geste sans précédent, l’administration du président américain Donald Trump a ajouté le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) iranien – une force estimée à 125 000 hommes – à la liste des organisations terroristes étrangères du département d’État.
C’est la première fois que les États-Unis désignent officiellement l’armée d’un autre État comme un groupe terroriste. Dotée de ses propres unités aériennes, terrestres et navales, le CGRI constitue la plus puissante composante des forces armées iraniennes.
Cette décision, qui visait en partie à renforcer la popularité nationale de Trump auprès de son important électorat de droite et pro-israélien, rendra également plus difficile le dialogue avec l’Iran pour des acteurs tels que l’Union européenne – et augmentera les coûts politiques liés au maintien de l’accord sur le nucléaire de 2015 pour le gouvernement « centriste » du président Hassan Rohani.
Cible militaire mondiale
Trump avait évoqué l’inscription du CGRI sur la liste noire dans un discours majeur en 2017, dans lequel il réclamait des « sanctions sévères » contre l’ensemble de l’organisation. Le département du Trésor américain a identifié le CGRI comme un groupe terroriste, toute transaction avec lui est donc soumise à des sanctions secondaires.
Telle quelle, la désignation en tant qu’organisation terroriste étrangère n’aura pas d’impact économique substantiel sur le CGRI ou, par extension, sur l’Iran. Cependant, cette étiquette fait du Corps et de tous ses membres une cible militaire mondiale légitime, au même titre que le groupe al-Qaïda et le groupe État islamique (EI).
Les radicaux iraniens qui ont toujours critiqué l’accord sur le nucléaire trouveront de nouvelles munitions pour faire pression en faveur du retrait
Cela maximisera probablement la pression politique exercée sur les grandes puissances européennes – la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne – pour qu’elles y réfléchissent à deux fois avant de collaborer avec l’Iran sur diverses questions politiques. La même pression s’applique à l’Irak et au Liban, deux acteurs régionaux influents proches de Téhéran.
La volonté européenne de nouer des relations diplomatiques avec l’Iran est en partie liée à l’objectif de maintenir en vie l’accord sur le nucléaire, qui avait été durement affecté en mai dernier, lorsque Trump s’est retiré unilatéralement de l’accord multilatéral et a rétabli les sanctions globales contre Téhéran.
L’UE a sanctionné le CGRI en 2010 en rapport avec les activités nucléaires et antimissiles de l’Iran, mais avec cette nouvelle désignation américaine et le départ prochain de la Grande-Bretagne de l’UE, un soutien durable à l’accord nucléaire deviendra plus difficile et plus coûteux sur le plan politique. Cette nouvelle étiquette facilite les poursuites en justice contre les personnes et entités internationales faisant affaire avec l’Iran.
Abandonner l’accord sur le nucléaire
Les radicaux iraniens qui ont toujours critiqué l’accord sur le nucléaire trouveront de nouvelles munitions pour faire pression en faveur du retrait. L’opinion selon laquelle adhérer à l’accord n’a plus de sens se répand rapidement, même parmi les factions politiques qui ont soutenu l’accord.
« Il n’y a plus d’accord duquel l’Iran se retire », a déclaré à MEE Hamze Ghalebi, personnalité réformiste iranienne et ancien directeur du quartier général de la jeunesse de la campagne électorale du leader du mouvement vert, Mir Hossein Moussavi.
En fait, qualifier le CGRI de « terroriste » donne plus de poids à l’argument des radicaux selon lequel Téhéran devrait abandonner l’accord et reprendre les travaux nucléaires à un niveau plus avancé que par le passé, fondé sur ses intérêts fondamentaux en matière de sécurité nationale.
La principale raison pour laquelle l’Iran s’est retenu jusqu’ici est d’éviter de paver la voie à la formation d’une coalition mondiale, comprenant la Russie et la Chine, contre elle.
« Certains réformistes, qui faisaient partie des fondateurs ou des membres éminents des gardiens de la révolution à leurs débuts, pensent, de manière assez simpliste, qu’avec des réformes suffisantes, ils peuvent maintenir le CGRI comme un atout national », explique à MEE Masoud Bastani, journaliste pro-réformiste et ancien prisonnier politique.
Ces mêmes personnalités prétendent que le programme de missiles et les opérations à l’étranger du CGRI, « qui contribuent à étendre son influence belliciste dans la région, servent de bouclier défensif », affirme-t-il.
Cette interdiction générale devrait changer le discours critique dominant sur le CGRI et consolider cette conviction. Il n’est donc guère étonnant que nombre de politiques et de militants qui critiquent en temps normal ce groupe d’élite se soient immédiatement précipités pour manifester leur soutien sur les réseaux sociaux, les députés se présentant le lendemain au Parlement en tenue officielle du CGRI.
En effet, cette mesure punitive semble avoir suscité un rassemblement nationaliste autour du drapeau dans certaines franges de la société et du régime iraniens.
Implications à long terme
En plus de renforcer le bagage pro-israélien de Trump sur le plan national et d’aider à faciliter une autre victoire électorale pour le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, cette désignation a des implications à long terme qui affecteront les futurs dirigeants américains.
Cela va probablement lier les mains du prochain président lorsqu’il s’agira de ramener les États-Unis dans l’accord sur le nucléaire et, plus largement, de rechercher un rapprochement avec l’Iran, en rendant le dialogue et la diplomatie coûteux sur le plan politique. Après tout, comment Washington peut-il légitimement négocier avec les demandes d’un État dont l’armée est officiellement désignée organisation terroriste ou y répondre ?
La liste noire sert à enraciner et à institutionnaliser les hostilités américano-iraniennes, les plaçant sur une trajectoire de collision. C’est peut-être la raison pour laquelle les hauts responsables militaires américains s’opposent depuis longtemps à cette désignation, s’inquiétant de ses répercussions.
Quelques heures après l’annonce de la décision de la Maison-Blanche, le Conseil suprême de la sécurité nationale iranien a inscrit le Commandement central américain – responsable des opérations militaires au Moyen-Orient et en Asie centrale – sur la liste noire des organisations « terroristes », tandis que le Parlement a présenté une motion désignant l’ensemble de l’armée américaine en tant qu’entité terroriste.
Cependant, malgré les tensions déjà accrues entre Washington et Téhéran, les chances pour que le CGRI prenne directement des mesures de représailles contre les forces américaines sont « quasi nulles », tempère Sajad Abedi, analyste principal du think-tank iranien sur la défense et la sécurité nationales, étroitement lié au bureau du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei.
Une présence américaine atténuée
Dans le même temps, les Gardiens de la révolution pourraient s’appuyer sur des « forces grises » – opposées aux ennemis de l’Iran mais pas nécessairement alliées à Téhéran – pour atténuer la présence militaire américaine dans la région, selon un analyste de la sécurité affilié au CGRI qui s’est entretenu avec MEEsous couvert d’anonymat.
Par coïncidence, trois soldats américains et un sous-traitant militaire ont été tués près de la base aérienne de Bagram en Afghanistan dans une explosion au bord de la route revendiquée par les talibans le 8 avril, le jour même où l’administration Trump a annoncé la nouvelle désignation du CGRI. Deux jours plus tard, des sources locales afghanes ont rapporté que le groupe avait abattu un avion de guerre américain survolant la province de Helmand, dans le sud-ouest du pays, à quelques heures de la frontière iranienne, la crédibilité de ces informations n’ayant toutefois pas été vérifiée.
Ces incidents sont curieux et donnent à réfléchir, compte tenu des négociations de paix en cours entre les talibans et les États-Unis à Doha.
« L’absence de réaction de la part de Téhéran pourrait renforcer la position [agressive] des faucons américains et affaiblir les opposants à la guerre qui ont mis en garde contre les coûts énormes d’une action militaire contre l’Iran », estime Ghalebi. « En fait, ne pas réagir au comportement [agressif] des États-Unis revient à intégrer et à encourager les partisans de la guerre contre l’Iran à Washington. »
Traduit de l'anglais (original).
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