« Sauver notre pays de l’ennemi » : des Irakiens défendent l’attaque contre le consulat iranien
Dimanche soir, les forces de sécurité irakiennes ont tiré des grenades lacrymogènes et à balles réelles contre des centaines de manifestants qui tentaient d’incendier le consulat iranien dans la ville sainte de Kerbala.
Des témoins ont rapporté que les protestataires ont escaladé les murs d’enceinte du bâtiment, mettant à bas un drapeau iranien et le remplaçant par un drapeau irakien.
Au moins trois personnes ont été tuées et douze blessées, selon la commission des droits de l’homme du Parlement irakien.
Lundi, le ministère irakien des Affaires étrangères a publié un communiqué condamnant l’attaque et soulignant que la sécurité des missions et des consulats était une limite à ne pas franchir et qu’il ne laisserait pas faire.
Aux premières heures mardi matin, internet était coupé à travers le pays pour tenter de réfréner les protestataires et les empêcher de documenter les exactions des forces de sécurité et anti-émeutes à leur encontre.
Des Irakiens ont confié à Middle East Eye que cette attaque était le signe d’une colère croissante vis-à-vis de ce qui est perçu comme une ingérence iranienne dans la politique irakienne – de son influence sur les politiciens à son soutien aux milices irakiennes.
« L’Iran n’a jamais aidé l’Irak à être un pays fort »
« Depuis 2003 [suite à l’invasion américaine], l’Iran s’est intégré dans le processus de décision du gouvernement irakien », déclare Hassan Ali, un habitant de Kerbala.
« Je sais que l’Iran est notre voisin et borde l’Irak mais nous ne voyons rien de bon dans ce qu’il a à offrir à l’Irak, et il n’a jamais aidé l’Irak à être un pays fort. L’Iran a armé les jeunes irakiens pour étendre ses ailes armées. »
« S’attaquer au consulat iranien, c’est le cri des Irakiens contre la profonde ingérence iranienne en Irak »
- Ghanim Abed, analyste politique
« Je ne souhaite pas l’ouverture d’un quelconque consulat ou ambassade où que ce soit [en Irak] », poursuit l’homme âgé de 35 ans. « L’Irak intervient-il dans les problèmes de l’Iran ? Bien sûr que non, alors pourquoi l’Iran intervient-il dans les affaires intérieures de l’Irak ? »
Salam Abdulridha, qui a demandé à ce que son vrai nom ne soit pas utilisé pour des raisons de sécurité, a été témoin des événements à Kerbala.
« Avant que les manifestants ne se dirigent vers le consulat iranien, ils s’étaient rassemblés sur une place du centre de Kerbala lorsqu’un religieux professant sa fidélité à l’Iran est arrivé et leur a dit de ne pas scander de slogans contre l’Iran », raconte-t-il à MEE.
« Les manifestants portaient des affiches contre l’Iran et scandaient : ‘’L’Iran dehors, dehors ! Kerbala reste libre’’.
« Le religieux était tellement en colère de voir les manifestants crier contre l’Iran qu’il leur a demandé de cesser leurs slogans et a détruit leurs affiches. À la suite de son acte, les manifestants se sont rendus au consulat d’Iran, l’ont partiellement incendié et ont jeté des pierres dessus. »
« Personnellement, je suis contre l’incendie d’un consulat ou de tout lieu diplomatique, mais je suis également contre l’Iran qui s’en prend à la souveraineté de l’Irak et nous tue avec ses militants. »
Abdulridha déclare que le bilan de trois morts lors de l’attaque du consulat n’est pas exact et que plus de neuf personnes ont été tuées, et des dizaines d’autres blessées.
« Le peuple est la source de tout pouvoir »
Pour Haider Laith, un chômeur de la ville de Bassorah, dans le sud du pays, l’incendie du consulat iranien à Kerbala est une bonne nouvelle, marquant le début d’une éradication de l’influence de Téhéran en Irak.
« En l’incendiant, il y a un message que nous avons voulu transmettre au gouvernement, lui disant que nous ne voulons plus de la présence [iranienne] en Irak, mais aussi de cesser les activités de ses milices dans notre pays », déclare-t-il à MEE.
« Je pense que nous avons remporté une victoire sur l’Iran, malgré le fait que le gouvernement irakien était mécontent des actes des manifestants. Le consulat a été pris d’assaut par le peuple et, conformément à la Constitution irakienne, le peuple est la source de tout pouvoir.
« Je comprends tout à fait que la Constitution irakienne ne permette pas d’incendier, mais au moins elle nous ordonne de sauver notre pays de tout “ennemi”, c’est-à-dire l’Iran. »
Mohammed Qassim, également de Bassorah, est du même avis : « Le religieux chiite irakien Ali al-Sistani a publié un communiqué déclarant qu’aucun pays n’avait le droit d’intervenir dans les affaires irakiennes. C’est cette déclaration qui a incité les manifestants en colère à Kerbala à se rendre au consulat pour exprimer leur refus du rôle négatif de l’Iran en Irak.
« Bien que l’ambassade d’Iran soit une zone diplomatique, nous n’apprécions pas cette ambassade chez nous. Nous voulons vivre dans un pays libre de toute influence extérieure et être amis avec tous les pays. »
« Réaction normale »
Pour Ghanim Abed, un analyste politique irakien, cette réaction des manifestants n’est pas inattendue. « Ce n’est pas la première fois que les Irakiens incendient des consulats iraniens. Ils ont incendié le consulat d’Iran il y a deux ans à Bassorah », rappelle-t-il à MEE. « C’est la réaction normale des Irakiens contre un pays qui, selon eux, est la principale cause de tous les problèmes de l’Irak. »
Selon l’analyse, Téhéran a usé de son influence auprès du gouvernement irakien pour favoriser les intérêts économiques iraniens aux dépens de ceux de l’Irak.
« L’Iran a dominé l’économie irakienne et volé la richesse du pays. Il protège les milices et est à l’origine des décisions politiques et militaires irakiennes », affirme-t-il.
« S’attaquer au consulat iranien, c’est le cri des Irakiens contre la profonde ingérence iranienne en Irak. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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