Au Liban, les manifestants apprennent à leurs enfants qu’ils ont le pouvoir de changer le système
Pour des centaines de milliers de Libanais, le mouvement de protestation est l’occasion de faire entendre leur voix, d’exiger le changement et de faire preuve de solidarité.
Mais pour de nombreux parents comme Mohamed Hussein, les manifestations sont l’occasion d’apprendre à leurs enfants que la vie au Liban peut et doit changer.
Mohamed emmène ses cinq enfants, habillés en treillis et portant des drapeaux libanais, aux manifestations tous les jours ou presque depuis qu’elles ont éclaté le 17 octobre.
Ce peintre en bâtiment âgé de 38 ans est issu d’un milieu ouvrier et analphabète, ce qui ne fait que nourrir son désir de changement.
« Je veux de meilleures choses pour mes enfants, je veux qu’ils sachent lire et écrire, et qu’ils apprennent ce qui est vraiment important dans cette vie », déclare-t-il à Middle East Eye sur la place Riad al-Solh, dans le centre de Beyrouth.
Divers griefs de longue date – notamment la corruption, le chômage élevé, le manque de services et une dette nationale s’élevant à 86 milliards de dollars – ainsi que les augmentations de taxes récemment suggérées ont poussé des centaines de milliers de Libanais à manifester à travers le pays.
Ils exigent des réformes et le renouvellement de l’ensemble de la classe politique, accusée d’utiliser le système politique confessionnel pour diviser les Libanais.
Ce petit pays méditerranéen a la réputation d’avoir une société divisée le long de lignes de faille confessionnelles, bien que, comme les manifestations l’ont montré, tous les Libanais sont unis dans la souffrance sous l’administration des mêmes dirigeants.
« Je veux de meilleures choses pour mes enfants, je veux qu’ils sachent lire et écrire, et qu’ils apprennent ce qui est vraiment important dans cette vie »
- Mohammed Hussein, peintre
C’est un message que Mohammed veut faire passer à ses enfants.
« Je leur parle des différentes confessions lors des manifestations. Je suis sunnite de Beyrouth et partisan du Courant du futur [de Saad Hariri], mais je leur dis qu’il y a des chiites qui manifestent à nos côtés pour les mêmes choses », explique-t-il.
Selon lui, la première fois qu’il a emmené ses enfants aux manifestations, sa fille de 9 ans craignait que des manifestants chiites ne les attaquent.
« Ils apprennent ce type de raisonnement dans les rues et les médias, alors j’ai fait en sorte de dire bonjour à un ami chiite, et il lui a dit que nous étions tous ici parce que nous voulions vivre et être heureux », rapporte le père de famille.
Une génération née pendant la guerre civile
À 43 ans, Mazen Barazi est lui aussi issu d’une génération née pendant la guerre civile libanaise (1975-1990) et a grandi avec les fantômes d’un conflit confessionnel qui hante encore la société.
« Mes enfants ont l’impression que le Liban est leur pays une fois par an, pendant le Jour de l’indépendance », déclare-t-il. Ce père de famille emmène ses garçons de 7 et 6 ans aux manifestations chaque fois qu’il le peut.
« Pendant des décennies, les gens ont été plus attachés à leurs partis politiques qu’à leur pays. Moi, je veux que mes enfants se sentent patriotes. »
Au cours des manifestations, les plus importantes depuis des années, les protestataires ont fait des efforts pour paraître unis contre le cadre politique qui gouverne sur la base d’une répartition confessionnelle du pouvoir depuis la fin de la guerre.
« Que cela nous plaise ou non, notre génération a hérité des penchants politiques de nos parents, mais la génération de nos enfants est différente », déclare une autre manifestante, Rania Garro, alors qu’elle quitte un rassemblement dans le centre-ville de Beyrouth, où quelques heures plus tôt elle offrait gratuitement de la nourriture faite maison aux protestataires.
« Nous avons vu que nous pouvions être unis en tant que peuple, et nous voulons que nos enfants aient ce sens du patriotisme. »
Une de ses amies, Carine Assaa, avocate, indique que sa fille de 9 ans se rend avec elle aux manifestations tous les jours.
« Ils doivent savoir ce qui se passe. Il faut qu’ils sachent qu’il y a des gens au pouvoir qui nous volent », lance-t-elle.
Carine Assaa raconte à MEE comment dans sa jeunesse, ses parents lui faisaient manquer l’école pour aller à des rassemblements de soutien à Michel Aoun, le général qui a fui le Liban à la fin de la guerre et est revenu en 2005 pour diriger le Courant patriotique libre, avant de devenir président en 2016.
« Il faut qu’ils sachent qu’il y a des gens au pouvoir qui nous volent »
- Carine Assaa, avocate
Mais les choix politiques de l’octogénaire et la détérioration constante de l’économie l’ont conduite à descendre dans la rue. « À l’école, nous avions la mentalité Beyrouth-Ouest vs. Beyrouth-Est », explique-t-elle, faisant référence à la ligne de front qui divisait la capitale entre musulmans et chrétiens pendant la guerre civile.
« Nous étions séparés des musulmans. Mais aujourd’hui, ma fille va dans une école mixte où les enfants fréquentent et se lient d’amitié avec des enfants des autres confessions. Ils n’ont pas cette mentalité et ils ne s’en soucient pas. »
Carine Assaa et Rania Garro estiment qu’il est important pour elles d’enseigner à leurs enfants qu’ils ne peuvent pas changer les choses sans lutter d’une certaine façon contre le système, et que la lutte actuelle est contre la corruption et pour leur propre avenir.
« Nos parents ont vécu la guerre civile et nous l’avons vécue – et ses conséquences – avec eux par défaut, sans vraiment comprendre ce qui se passait », observe pour sa part Mazen Barazi. Pour lui et son épouse, il est donc essentiel d’expliquer la crise actuelle à leurs enfants, dans l’espoir qu’ils seront toujours conscients qu’ils méritent plus que ce que le gouvernement actuel donne au peuple.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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