Coronavirus, attaques américaines et chute des prix du pétrole : l’Irak s’en sortira-t-il ?
Les dernières frappes américaines contre des milices irakiennes ont compliqué les choses pour Bagdad, alors que le gouvernement irakien tente de gérer trois défis interdépendants : le coronavirus, la baisse consécutive des prix du pétrole et du tourisme religieux, et un mouvement de protestation qui dure maintenant depuis près de six mois.
Si la crise entre les milices affiliées à l’Iran et les États-Unis s’aggrave, l’Irak court à la catastrophe.
Une tempête parfaite
Alors que l’année 2020 a commencé avec la peur d’une « Troisième Guerre mondiale », à la suite de l’assassinat du général iranien Qasem Soleimani par l’administration Trump, ces craintes ont maintenant été éclipsées par la pandémie de coronavirus. Le territoire irakien a été le théâtre de ces deux risques existentiels.
Si la crise entre les milices affiliées à l’Iran et les États-Unis s’aggrave, l’Irak court à la catastrophe
Dans les médias anglophones, il est fréquent d’écrire que le pays se trouve entre « l’Irak et l’enclume », un jeu de mots basé sur l’expression anglaise « a rock [dont la prononciation ressemble à Irak] and a hard place », entre le marteau et l’enclume.
De fait, les dernières frappes aériennes américaines contre des milices irakiennes la semaine dernière et les tirs de roquettes qui ont suivi samedi et mardi en représailles, combinés aux premiers décès de coronavirus dans le pays, sont le résultat du fait que l’Irak est un voisin de l’Iran et se trouve, en effet, dans un environnement difficile.
La dynamique politique internationale, qui échappe au contrôle de l’État irakien, secoue violemment le pays. Les pèlerins ont amené le COVID-19 d’Iran en Irak, l’intégrant dans une crise environnementale mondiale causée par un agent pathogène biologique qui ne reconnaît ni les frontières ni la souveraineté des nations.
La baisse de la demande chinoise de pétrole a conduit à un désaccord entre Riyad et Moscou sur le prix du brut, entraînant la chute des cours et nuisant aux revenus pétroliers de l’Irak.
Or, ces revenus – dont l’Irak dépend – sont nécessaires à terme pour faire face aux défis de la nation, qui n’a pas de gouvernement stable depuis la démission du Premier ministre Adel Abdel-Mehdi fin novembre, puis de son remplaçant Mohammed Allaoui début mars, et qui n’a pas répondu aux revendications des Irakiens et des Irakiennes qui manifestent dans la rue depuis l’automne dernier.
Il en résulte une véritable tempête de crises que l’État irakien n’a pas la capacité de gérer, que ce soit en raison de son exécutif que de ses infrastructures de santé publique.
Deux ennemis
Les États-Unis ont attaqué les installations de stockage d’armes de la milice irakienne des Kataeb Hezbollah après que celle-ci aurait tiré une trentaine de roquettes Katyusha sur la base d’al-Taji, au nord de Bagdad, tuant deux soldats américains et un médecin britannique la semaine dernière.
La même base a été attaquée par des roquettes samedi dernier. Et mardi, de nouvelles attaques à la roquette ont visé des troupes de la coalition internationale et de l’OTAN au sud de Bagdad et la Zone verte de la capitale.
Le Commandement irakien des opérations conjointes a dénoncé les frappes aériennes américaines comme une violation de la souveraineté nationale de l’Irak et condamné la mort de trois commandos de l’armée irakienne qui ont été tués lors du raid.
Cette condamnation faisait suite au décès, quelques jours plus tôt, de deux soldats des opérations spéciales des États-Unis combattant l’État islamique (EI) dans le nord de l’Irak, une campagne qui dépend de la coopération de l’armée irakienne.
Le recours à la force militaire contre les milices chiites compromet la lutte contre l’EI
Les pertes américaines pendant la bataille contre les derniers membres de l’EI réfugiés dans le complexe de grottes de Makhmur, au sud-ouest d’Erbil, montrent que l’administration Trump combat essentiellement deux ennemis en Irak : les milices chiites, un acteur quasi étatique, et les combattants de l’EI, un acteur non étatique.
Le recours à la force militaire contre les premiers compromet la lutte contre les seconds. L’armée américaine mène cette campagne de lutte contre le terrorisme aux côtés des combattants irakiens pendant que l’EI reconstitue ses forces.
Alors que les récentes frappes américaines risquent de renforcer les partis parlementaires irakiens qui appellent à l’expulsion des quelque 5 200 soldats américains du pays, des dirigeants comme Moqtada al-Sadr ont pragmatiquement appelé à la retenue face aux « catastrophes massives », comme la pandémie de coronavirus.
Néanmoins, le message de Sadr est resté lettre morte alors que la base d’al-Taji a de nouveau été attaquée. L’armée irakienne, qui a condamné la première attaque perpétrée par les milices irakiennes, a déclaré que la suivante ne devait pas être utilisée par les États-Unis comme prétexte à toute action qui n’obtiendrait pas l’approbation de l’État irakien.
Un secteur de la santé affaibli
Le coronavirus a frappé l’économie irakienne et mis à rude épreuve une infrastructure médicale déjà sous pression. Le secteur de la santé publique de l’Irak a été durement touché par les sanctions qui ont commencé après 1991 et par les effets de l’uranium appauvri utilisé contre les civils durant les guerres de 1991 et 2003.
Le coronavirus a frappé l’économie irakienne et mis à rude épreuve une infrastructure médicale déjà sous pression
L’effondrement de l’État en 2003 a exacerbé le déclin du secteur de la santé, déjà éviscéré par les sanctions imposées par l’ONU. Par la suite, l’Irak a souffert pendant des années de la fuite de sa classe moyenne professionnelle instruite, en particulier des médecins, qui ont principalement émigré en Europe et aux États-Unis.
La fuite des cerveaux a des ramifications désastreuses : le Croissant-Rouge irakien estime qu’environ 50 % des médecins et 70 % des spécialistes médicaux irakiens ont quitté le pays lors de cet exode. Les hôpitaux et cliniques ont en outre été dégradés par la guerre et la violence.
À l’heure actuelle, le Croissant-Rouge irakien travaille avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour limiter la propagation du virus, notamment en fournissant au ministère irakien de la Santé des kits de détection du virus.
Le défi le plus grand
Le gouvernement irakien a fermé la frontière aux ressortissants iraniens et suspendu les vols à destination de l’Iran à la suite de l’introduction du virus en Irak depuis la République islamique, perdant ainsi les revenus représentés par les millions d’Iraniens qui se rendent habituellement en Irak pour visiter les villes sanctuaires chiites.
Outre les pèlerins, l’Irak importe des milliards de dollars de marchandises d’Iran, y compris des produits alimentaires de base. La baisse des revenus du pétrole et du tourisme religieux ajoutent donc aux problèmes politiques une crise économique.
Un autre élément ne manquera pas d’aggraver les choses : le secteur de la santé iranien étant relativement plus développé que celui de l’Irak, les Irakiens sont, en temps normal, nombreux à franchir la frontière pour obtenir des soins en République islamique. Ce ne sera plus une option désormais, les hôpitaux iraniens étant débordés et les frontières fermées.
Entre les frappes aériennes américaines et la crise liée au virus, le gouvernement irakien, que le président Barham Saleh a chargé mardi l’ex-gouverneur de la ville sainte chiite de Nadjaf, Adnane Zorfi, de former, pourrait se trouver confronté à son plus grand défi depuis l’invasion de l’EI en 2014.
- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’Université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent Iraq’s Armed Forces: An Analytical History (2008), The Modern History of Iraq (2017) et A Concise History of the Middle East (2020).
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Traduit de l’anglais (original).
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