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Netanyahou et Abbas font des promesses qu’ils espèrent rompre

Le Premier ministre israélien promet l’annexion et le président palestinien s’engage à cesser la coordination en matière de sécurité. Mais aucun ne désire véritablement que cela se concrétise
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (à droite) et le président palestinien Mahmoud Abbas discutent pendant un événement en lien avec les négociations de paix au Moyen-Orient en 2010 (Reuters)

Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas prétendent être sur des lignes parallèles qui ne se rencontreront jamais. Avec leurs doléances, leur méfiance mutuelle, leurs différences idéologiques et politiques, le Premier ministre israélien et le président palestinien semblent être à des années-lumière l’un de l’autre.

Ils ne dialoguent plus. Ils se sont rencontrés quelques minutes en 2016 lorsque Abbas s’est rendu à Jérusalem pour assister aux funérailles de Shimon Peres, l’ancien président israélien. Leur dernière rencontre sérieuse a eu lieu en 2010, époque à laquelle Netanyahou évoquait encore la solution à deux États.

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Néanmoins, tous deux ont des traits communs, qu’ils n’admettront jamais mais qui les lient. Ils menacent tous deux de prendre des mesures auxquelles ils s’opposent en réalité. Ils font des promesses qu’ils espèrent ne jamais voir se concrétiser.

Netanyahou déclare depuis dix-huit mois qu’il va annexer des régions de Cisjordanie occupée – ou, selon ses mots, qu’il va « appliquer la loi israélienne ».

Abbas a juré à maintes reprises que si Israël annexait le moindre centimètre de la Cisjordanie (dont des pans significatifs sont déjà parsemés de colonies juives), il résilierait les accords d’Oslo signés avec Israël au début des années 1990.

Premier pas dans la concrétisation de ses menaces, Abbas a déclaré la semaine dernière qu’il avait ordonné la cessation de la coordination en matière de sécurité entre ses forces des renseignements et de police et leurs homologues israéliens, le Shin Bet (service de sécurité intérieure) et l’armée israélienne.

Jeudi dernier, il a été dit que l’Autorité palestinienne avait déjà précisé ses intentions à la CIA, l’agence américaine de renseignements, qui garantit officieusement la coopération en matière de sécurité.

Risques majeurs

Toutefois, les deux dirigeants ne pensent pas réellement ce qu’ils disent.

Netanyahou, connaissant le prix de l’annexion pour Israël, le monde arabe et la communauté internationale, ne la souhaite pas vraiment.

Quant à Abbas, il connait également parfaitement les risques d’un désengagement en matière de sécurité. Il est conscient que le Hamas et d’autres rivaux tireront profit d’une telle initiative et resserreront leur emprise sur la Cisjordanie aux dépends de l’Autorité palestinienne (AP) qu’il dirige.

Pourtant, ces deux dirigeants et leurs pays pourraient se retrouver par inadvertance sur une trajectoire menant à la collision, ce qui pourrait aboutir à une nouvelle guerre entre Israël et la Palestine, ainsi qu’à des troubles et des violences dans le monde arabe – ce qui profiterait au final à l’Iran.

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Depuis déjà quatorze ans au pouvoir, Netanyahou est le Premier ministre israélien avec la plus grande longévité – devant David Ben Gourion (treize ans), le fondateur et premier dirigeant d’Israël. Sur le plan idéologique, il croit en la notion de Grand Israël, qui conçoit Israël comme la seule patrie du peuple juif existant entre les frontières que sont la mer Méditerranée et le Jourdain.

Mais tout au long de ses années au pouvoir, Netanyahou a toujours évité d’utiliser son pouvoir pour encourager une telle initiative. En outre, jusqu’à ce que Donald Trump fasse son entrée à la Maison-Blanche en 2017, Netanyahou adhérait publiquement à la solution à deux États. Même au cours des deux premières années de l’administration Trump, le Premier ministre israélien n’a présenté aucun signe indiquant un changement de sa politique. Ce n’est que ces dix-huit derniers mois qu’il a commencé à plaider ouvertement en faveur de l’idée d’une annexion.

C’est la conséquence de plusieurs développements nationaux qui se sont produits dans ce laps de temps.

Tout d’abord, Netanyahou a été inculpé pour corruption et a comparu à son procès qui a débuté le dimanche 24 mai.

Ensuite, il s’est présenté à trois élections nationales aux résultats non concluants, ce qui l’a empêché de former un gouvernement stable.

Enfin, les militants de droite, en particulier les colons juifs de Cisjordanie occupée, ont tiré avantage de l’instabilité politique et ont fait pression sur Netanyahou pour qu’il soutienne l’annexion.

Pour réduire la pression et détourner l’attention de son procès, il a déclaré qu’il annexerait au moins la vallée du Jourdain.

Vecteurs contradictoires

Même maintenant, Netanyahou – qui est parvenu à former un gouvernement d’union nationale – hésite. Il est pris entre deux vecteurs contradictoires.

D’un côté, il veut rester dans les livres d’histoire et laisser son empreinte comme le dirigeant qui a rempli sa promesse et a suivi son idéologie. Mais de l’autre, il sait que les conséquences de son initiative seront désastreuses.

En assénant le coup fatal à la solution à deux États, Israël perdra en l’espace d’une décennie sa nature juive et démocratique. Cela conduira à un État singulier où les Palestiniens seront majoritaires, ou à l’apartheid israélien. 

De nombreux gouvernements arabes, notamment l’Arabie saoudite et l’Égypte, ont déjà exprimé leur inquiétude et leur opposition à l’annexion. Si Netanyahou va de l’avant, la Jordanie, qui est le partenaire stratégique d’Israël, rompra probablement ses relations diplomatiques avec Israël.

Si Netanyahou va de l’avant, la Jordanie, qui est le partenaire stratégique d’Israël, rompra probablement ses relations diplomatiques avec Israël

Même en Israël, des voix s’élèvent vivement contre l’annexion. Non seulement au sein de la coalition – notamment les nouveaux ministres de la Défense et des Affaires étrangères Benny Gantz et Gabi Ashkenazi – mais la plupart des responsables de l’establishment de la sécurité et des renseignements mettent également en garde contre les conséquences et s’inquiètent des futures relations et des traités de paix avec la Jordanie et l’Égypte.

Netanyahou dispose de deux à trois mois de conjoncture favorable pour annoncer l’annexion. Elle doit avoir lieu avant les élections américaines, pendant que Trump est au pouvoir. Le candidat démocrate Joe Biden s’est clairement prononcé contre le projet de Netanyahou.

Au sein même de l’administration Trump, les voix divergent. Le secrétaire d’État Mike Pompeo a déclaré qu’Israël avait le droit de prendre ses propres décisions, mais dans le même temps, les responsables américains exhortent Netanyahou à ne pas prendre de décisions unilatérales et à coordonner ses actions avec les dirigeants de la région. En pratique, le message est le suivant : ne fais pas ça.

Comme dans la plupart des cas et des développements dans le passé, cette décision historique d’annexer ou non la Cisjordanie et d’en faire une région d’Israël ne repose pas entre les mains du dirigeant israélien mais de Washington. Si le président américain demande à Netanyahou de se refréner, l’annexion n’aura pas lieu pour l’instant.

Dans le cas contraire, Netanyahou pourrait procéder à cette initiative fatale avec toutes ses implications historiques pour Israël, le peuple juif, les Palestiniens, le monde arabe et la communauté internationale. Ce sera irréversible.

- Yossi Melman est un commentateur spécialiste de la sécurité et du renseignement israéliens. Il est co-auteur de Spies Against Armageddon.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Yossi Melman is an Israeli security and intelligence commentator and co-author of “Spies Against Armageddon”.
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