Adnan Oktar : l’ascension et la chute du gourou turc qui a défrayé la chronique pour ses abus sexuels
En fin de compte, ce ne sont pas l’État profond britannique, les darwinistes, les juifs, les francs-maçons ou encore l’une des sinistres cabales contre lesquelles Adnan Oktar n’a eu de cesse de s’insurger qui ont eu raison de lui. C’est le système judiciaire turc.
Le 11 janvier, le prédicateur turc de 64 ans, souvent qualifié de « chef d’une secte sexuelle », a été condamné à 1 075 ans de prison pour agressions sexuelles, abus sexuels contre des mineurs, fraude et tentatives d’espionnage politique et militaire, entre autres crimes.
Ce verdict marque la fin d’une longue et étrange carrière pour celui qui a été à la fois prédicateur, animateur de télévision, auteur et cinéaste.
Adnan Oktar a commencé sa carrière dans les années 1980 en tant qu’orateur porté sur la polémique, s’insurgeant contre les juifs, les francs-maçons et Charles Darwin. Il est ensuite devenu (tristement) célèbre pour ses émissions à la télévision turque, dans lesquelles il discutait des principes islamiques tandis que des femmes légèrement vêtues aux cheveux blonds décolorés dansaient autour de lui sur de la musique pop. Ces femmes qu’Adnan Oktar appelait ses « chatons ».
Il est principalement connu dans le monde pour ses nombreux textes dénonçant l’évolution ainsi que pour avoir été l’un des premiers penseurs musulmans à importer le créationnisme évangélique chrétien dans les milieux islamiques.
Sous le nom de plume de Harun Yahya, il a distribué (sans y être invité) dans le monde entier son Atlas de la création, un ouvrage de 800 pages qui prétend démystifier l’évolution : il est ainsi parvenu à diffuser la pensée créationniste au-delà d’un public fondamentaliste purement chrétien.
Mais derrière le visage public souvent tourné en dérision de l’organisation d’Adnan Oktar se cachait un monde sinistre d’abus sexuels et de coercition pareils aux pratiques d’une secte. Pour sa défense au tribunal, Adnan Oktar a affirmé avoir « près de mille petites amies ». Il a nié avoir abusé d’elles, indiquant plutôt avoir « un débordement d’amour pour les femmes ».
En revanche, l’une des femmes ayant témoigné (de manière anonyme) lors de son procès a déclaré qu’Adnan Oktar l’avait agressée sexuellement ainsi que d’autres femmes et qu’il les forçait souvent à prendre des pilules contraceptives. Environ 69 000 pilules contraceptives ont été retrouvées chez lui. Le prévenu a affirmé au tribunal qu’elles servaient à traiter des problèmes de peau et menstruels.
Son comportement l’a conduit en prison à de nombreuses reprises. Et alors qu’il vient d’être condamné à plus de mille ans de prison, il semblerait que la page Adnan Oktar soit finalement tournée.
Selon Edip Yüksel, un érudit religieux et activiste qui a travaillé avec Adnan Oktar dans les années 1980, son emprisonnement est bien mérité après des décennies de crimes dans le cadre de son « culte fou ».
« C’est une personne malfaisante qui a détruit la vie de nombreux jeunes hommes très brillants et doués d’un grand potentiel », a-t-il déclaré à Middle East Eye.
« Si vous en faisiez un film, on vous dirait que c’est exagéré »
Il y a deux semaines, Ebru Şimşek, une ancienne membre de l’organisation d’Adnan Oktar qui a affirmé avoir été victime d’abus, a déclaré aux médias turcs qu’elle était heureuse que justice ait été faite.
Elle s’est souvenue du moment où Adnan Oktar est venu à sa rencontre pour la première fois après l’avoir vue dans un concours de beauté à la télévision en 1994.
« Adnan Oktar m’a vue à l’écran et il est devenu fou ! Il m’a même dit : “Je t’ai vue dans le journal, à la télévision, j’ai beaucoup aimé, prends ton pyjama et viens vivre avec moi dans ma merveilleuse demeure” », a-t-elle raconté à Posta.
« “Viens, je t’offrirai les meilleures conditions de vie, tu porteras les plus grandes marques, tu vivras dans le luxe.” J’avais l’impression qu’ils n’avaient rien à voir avec la religion. »
Après avoir quitté son groupe, elle a fait l’objet de plus de 300 actions en justice pour diffamation intentées par Adnan Oktar, qui était selon elle « obsédée » par elle. Les pressions subies par Ebru Şimşek, qui ont perturbé sa vie professionnelle et sociale, sont finalement devenues telles qu’elle est partie aux États-Unis pour échapper au harcèlement.
« Si vous en faisiez un film, on vous dirait que c’est exagéré et on ne le regarderait même pas », a-t-elle confié pour résumer son calvaire.
D’après The Mahdi Wears Armani, peut-être le seul ouvrage universitaire majeur consacré à Adnan Oktar et à son mouvement à ce jour, l’homme a grandi dans une famille laïque relativement aisée dans les années 1970 et ne s’est réellement impliqué dans l’activisme religieux qu’après être parti à Istanbul en 1979 pour étudier au sein de ce qui était alors l’Académie des beaux-arts.
Au cours des années 80, il a construit un cercle de dévots connu sous le nom d’Adnancılar (« adnanistes »), qui étaient des disciples de l’influent érudit kurde musulman Saïd Nursi. Prônant le mariage des croyances islamiques traditionnelles et des idées scientifiques, Nursi allait finalement devenir l’une des principales figures du mouvement de renouveau islamique de la République de Turquie.
« C’était une secte complète, tous les critères d’une secte telle que vous la définiriez aujourd’hui étaient là : l’isolement, le contrôle total de la vie des membres »
– Edip Yüksel, ancien associé d’Adnan Oktar
Le disciple de loin le plus influent de Saïd Nursi a été le religieux Fethullah Gülen, dont le propre mouvement islamique « moderniste » allait devenir l’un des plus importants au monde avant d’être complètement écrasé après sa brouille avec le gouvernement turc en 2013, puis tenu responsable d’une tentative de coup d’État en 2016. Parmi les accusations portées contre Adnan Oktar lors de son procès figuraient les liens présumés avec le mouvement de Fethullah Gülen, qu’il a démentis.
« Oktar a été influencé par le modernisme islamique de l’érudit turc Saïd Nursi et le cite souvent dans ses écrits, mais sa pensée n’a jamais été officiellement adoptée, ni par le mouvement néo-nurcu de Gülen, ni par les groupes nurcu plus traditionnels de Turquie », indique à MEE Anne Ross Solberg, auteure de The Mahdi Wears Armani.
« Adnan Oktar a toujours prétendu représenter l’islam sunnite traditionnel, mais n’a jamais été accepté en tant qu’autorité islamique en Turquie – il est décorateur d’intérieur et n’a pas de formation religieuse officielle. »
En 1986, Adnan Oktar a été arrêté pour « propagande visant à affaiblir ou à détruire le sentiment national » et s’est retrouvé dans le service réservé aux criminels de l’hôpital Bakırköy, où on lui a diagnostiqué une schizophrénie paranoïde.
Edip Yüksel a rencontré Adnan Oktar pour la première fois cette même année. Il explique qu’à cette époque, il avait commencé à formuler nombre de ses idées autour de ce que l’on identifie désormais communément sous le nom de coranisme – un courant de pensée islamique qui rejette à la fois l’islam sunnite et l’islam chiite et ne cite que le Coran comme source de doctrine religieuse.
Edip Yüksel affirme avoir servi de « mentor » à Adnan Oktar, qu’il considérait comme une âme sœur.
« J’ai été intéressé par certains entretiens avec lui et je lui ai dit : “J’aimerais te rencontrer.” Je voulais le convertir à ma position actuelle sur le monothéisme, qui rejette les religions sunnite et chiite », raconte-t-il.
Il explique qu’Adnan Oktar a été au départ « très réceptif » à ses idées et qu’après plusieurs discussions, il lui a indiqué qu’il était d’accord avec ses idées coranistes et le rejet des deux principaux courants islamiques.
Mais au bout d’un certain temps, Edip Yüksel a commencé à douter de la sincérité d’Adnan Oktar et à se méfier du « culte » qui se développait autour de lui, dans le cadre duquel Adnan Oktar faisait passer de nombreuses idées d’Edip Yüksel pour les siennes.
D’anciens membres du groupe d’Adnan Oktar se sont rapprochés plus tard d’Edip Yüksel pour parler de la vie au sein de l’organisation.
« Ils étaient en contact avec moi et parlaient des crimes qu’il commettait, beaucoup de crimes sexuels. Bien sûr, c’était une secte complète, tous les critères d’une secte telle que vous la définiriez aujourd’hui étaient là : l’isolement, le contrôle total de la vie des membres », affirme-t-il.
L’Atlas de la création
Dans les années 1990, le groupe d’Adnan Oktar a officialisé ses activités en créant la Fondation pour la recherche scientifique (BAV).
Ses membres ont troqué leurs vêtements ouvertement islamiques contre des pièces de créateurs et se sont proclamés partisans des idéaux de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur laïc de la Turquie moderne.
Ils se sont également concentrés sur un nouvel ennemi : Charles Darwin.
En 2007, Adnan Oktar a touché un public mondial avec la publication de l’Atlas de la création, qui vise à démystifier scientifiquement la théorie de l’évolution du naturaliste anglais.
Adnan Oktar a distribué des dizaines de milliers d’exemplaires du livre auprès d’écoles, de chercheurs et d’universités en Europe et aux États-Unis. D’après le New York Times, l’ouvrage a fait « sensation » en France, où la littérature créationniste était jusqu’alors assez rare.
Un exemplaire du livre s’est même retrouvé dans la bibliothèque de la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde :
Traduction : « Trouvez la chouette. »
Nombreux sont ceux qui ont fait remarquer que l’Atlas de la création ne satisfaisait même pas l’examen scientifique le plus élémentaire.
Adam Rutherford, généticien et auteur, a écrit en 2009 que le livre, qui prétend prouver qu’aucune espèce vivante sur Terre aujourd’hui n’a subi de mutagenèse, reflète une « stupidité d’une tout autre saveur ».
« La page 244 contient l’image d’un trichoptère, avec une légende qui affirme – comme presque toutes les pages – que la bête en question a toujours existé sous sa forme actuelle comme le démontre un fossile d’apparence vaguement similaire et que l’évolution est donc une aberration », a-t-il écrit.
« Sauf que ce n’est pas un trichoptère mais un leurre de pêche, magnifiquement conçu par le maître Graham Owen, avec un hameçon bien visible qui perce l’abdomen artificiel. L’Atlas comporte d’autres exemples exquis de l’œuvre d’Owen. »
Adnan Oktar a plus tard promis une récompense de 10 000 milliards de livres turques (6 600 milliards de dollars à l’époque) à quiconque se montrerait capable de réfuter le postulat du livre. Jusqu’à présent, il n’a pas encore versé de récompense.
Ses « chatons »
En 2011, Adnan Oktar a fondé une chaîne de télévision, A9 TV, disponible à la fois sur internet et sur les réseaux câblés turcs.
En plus de proposer un certain nombre de documentaires basés sur ses travaux, la chaîne est devenue la principale tribune du prédicateur pour diffuser sa forme unique de télévangélisme.
Les télévangélistes musulmans existaient depuis de nombreuses années et n’étaient pas un phénomène nouveau, mais la méthode de présentation d’Adnan Oktar l’était certainement.
Dans ses émissions, il accueillait une foule de jeunes femmes qui discutaient avec lui de sujets d’actualité et de questions religieuses et qui dansaient sur de la musique pop entre les séquences. Cette approche était certainement sans précédent dans le monde du télévangélisme islamique.
Adnan Oktar a employé à de nombreuses reprises des justifications islamiques pour expliquer le style vestimentaire inhabituel de ses co-animatrices, qui semblaient davantage être habillées pour aller en boîte de nuit que pour assister à un sermon religieux. Le fait de renoncer à des vêtements « modestes » ne les rendait pas moins musulmanes, affirmait-il.
Edip Yüksel affirme que c’est un des principes qu’Adnan Oktar lui a volés dans les années 1980.
« À l’époque, je lui ai dit que le foulard n’existait pas dans le Coran. J’ai présenté un argument très puissant fondé sur les versets du Coran […] Pour les islamistes en Turquie, la moitié de leur religion concerne les cheveux des femmes », explique-t-il.
« Ensuite, [Adnan Oktar] s’est servi de cet argument, mais en a abusé pour en faire un culte sexuel. Cela a engendré des associations très néfastes à la cause de la réforme. »
Tout au long des émissions, Oktar, qui portait lui-même des vêtements de marque coûteux plutôt qu’une tenue ecclésiastique, complimentait régulièrement les femmes, qu’il appelait ses « chatons ».
La journaliste Meher Ahmad s’est rendue dans le repaire d’Adnan Oktar à Istanbul en 2015 afin de réaliser un film pour VICE après avoir passé plusieurs mois à discuter en ligne avec Ebru Altan, une adepte d’Adnan Oktar.
Comme elle l’explique à MEE, elle avait à l’origine l’intention d’interviewer les femmes du groupe d’Adnan Oktar sur le féminisme dans l’islam, mais quand elle est arrivée, ses interlocuteurs ont souvent refusé de coopérer et l’ont traitée avec suspicion.
« Ils ne nous ont pas laissé utiliser nos caméras, ils ont dit : “Oh, ça c’est non. Vous ne pouvez pas utiliser vos caméras, vous devez utiliser les nôtres” », se souvient-elle. Celles-ci étaient d’une qualité considérablement inférieure à celles de VICE et ont fini par faire passer le film pour « un porno des années 1980 ».
« Ils n’arrêtaient pas de me dire : “Oh, vous parlerez aux femmes plus tard, vous parlerez aux femmes plus tard.” Parce que c’était pour cela que nous étions là, nous étions moins intéressés par l’organisation que par un entretien individuel ou de groupe avec les femmes. »
Son équipe a ensuite visité un certain nombre de propriétés appartenant à l’organisation d’Adnan Oktar. Une maison donnant sur le Bosphore qui ressemblait à un « décor de télé-réalité » était garnie d’oreillers Versace et de draps en satin et ses chambres avaient des miroirs au plafond, raconte-t-elle.
Finalement, après une visite qui comportait des explications sur les théories d’Adnan Oktar sur le créationnisme, Meher Ahmad s’est vu signifier que sa seule occasion de parler aux femmes serait en direct dans son émission.
On peut alors voir Meher Ahmad, visiblement mal à l’aise en petit comité, écouter Adnan Oktar lui expliquer son point de vue sur la position des femmes dans l’islam.
À la moitié de l’émission, les « chatons » qui composent jusque-là l’essentiel de l’assistance dansent sur leur chaise au cours d’une pause au son de « Chandelier » de Sia.
« C’était la première fois que je voyais Ebru en personne, mais c’était un environnement tellement contrôlé parce que nous étions à la télévision, donc je ne pouvais pas simplement me tourner et commencer à leur poser des questions. C’était très inconfortable », confie Meher Ahmad.
Après avoir demandé la permission à Adnan Oktar, elle a pu poser un certain nombre de questions aux femmes, mais seule Ebru Altan a répondu.
« Dès la fin de l’émission, elles sont parties en cortège, je n’ai même pas eu l’occasion de leur serrer la main après… C’était super bizarre et ce fut ma dernière interaction avec elles », se souvient-elle.
« Nous avons été dupés d’une certaine manière, nous avons accepté ces entretiens avec eux, ils ont dit que c’était bon et ils savaient que nous amenions des gens avec des caméras. Mais quand nous sommes arrivés, c’était comme une cible mouvante : “Oh, vous leur parlerez plus tard, vous ferez ça plus tard.” »
L’organisation d’Adnan Oktar a tenté de présenter les femmes impliquées comme des femmes autonomes et indépendantes, mais l’expérience que Meher Ahmad a vécue laissait entendre que ce n’était pas le cas, indique la journaliste.
« J’y suis allée en pensant qu’il se passait quelque chose de fâcheux et nous avons continué à chercher des occasions de demander aux gens ce qui se passait, mais nous avons été de plus en plus éloignés des femmes. »
Un négationniste devenu partisan du Troisième Temple
Adnan Oktar s’est également essayé au dialogue interconfessionnel. À partir des années 1990, il a cultivé des liens avec les créationnistes chrétiens dans le cadre de sa croisade antidarwiniste. Ceux qu’il a tissés avec des Israéliens de droite au XXIe siècle sont toutefois plus surprenants.
L’une des premières publications de la BAV a été Soykırım Yalanı (« L’imposture de l’Holocauste »), un ouvrage sorti en 1996 qui niait l’existence d’un plan nazi d’extermination massive des juifs et qui était en grande partie le prolongement de sa pensée complotiste antisémite datant des années 1980.
Dix ans plus tard, le ton a complètement changé : en 2006, la BAV a publié un livre intitulé Soykırım Vahseti (« La violence de l’Holocauste »), qui reconnaît le génocide. L’année suivante, il a même nié avoir écrit ce premier livre négationniste.
Loin d’adhérer au point de vue selon lequel les juifs avaient un plan visant à « éroder les valeurs spirituelles, religieuses et morales du peuple turc et les faire ressembler à des animaux », comme il l’affirmait dans Soykırım Yalanı, il assistait désormais à de nombreux événements en Israël, s’affichait aux côtés de sionistes d’extrême droite comme Yehuda Glick et le rabbin Meir Lau, effectuait des apparitions et écrivait des chroniques dans des médias israéliens pour appeler à l’unité.
La principale raison pour laquelle il a pu courtiser ces personnalités a peut-être été son soutien véhément à l’idée de permettre aux juifs de prier dans le complexe d’al-Aqsa, le quartier de la vieille ville de Jérusalem-Est occupée où se seraient trouvés les Premier et Second Temples juifs. Certains colons israéliens d’extrême droite souhaitent remplacer la mosquée al-Aqsa et le sanctuaire du dôme du Rocher par un Troisième Temple sur le site.
L’idée d’autoriser les colons juifs à prier sur l’un des sites les plus sacrés de l’islam, connu des musulmans sous le nom de Haram al-Sharif et conquis par Israël lors de la guerre des Six Jours en 1967, est un anathème pour la plupart des érudits musulmans et des activistes palestiniens.
Cependant, selon Adnan Oktar, « les protestations de certains musulmans contre la présence de fidèles juifs ne sont en aucun cas compatibles avec l’esprit de paix du Coran et de l’islam » et la lutte pour le site ne peut être résolue que par « l’amour, la réconciliation et la construction du Troisième Temple sur un terrain inoccupé du Mont du Temple [le complexe d’al-Aqsa] sans endommager les sites islamiques existants ».
Asaf Ronel, journaliste pour Haaretz, a interviewé Adnan Oktar en 2018 peu de temps après avoir discuté avec un certain nombre d’anciens partisans qui ont raconté le calvaire qu’ils avaient vécu pour s’échapper de sa propriété.
Tout comme Meher Ahmad, Asaf Ronel n’a pu réaliser l’interview d’Adnan Oktar qu’en apparaissant dans son émission de télévision. Au cours de l’émission, contrairement à la journaliste de VICE, il était entouré d’un public de jeunes hommes.
À un moment donné, Asaf Ronel l’interroge sur sa relation avec les juifs de Turquie. L’intéressé ignore la question et s’en éloigne rapidement, préférant insister sur ses amis juifs en Israël. Plus tard, Ronel l’interroge sur une amende que le RTÜK, l’instance turque de régulation de l’audiovisuel, vient d’infliger à sa chaîne. Adnan Oktar accuse alors Fethullah Gülen, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), l’État islamique, al-Qaïda et les talibans, « qui sont tous des pions de l’État profond britannique », de répandre des calomnies pour lui nuire.
« Je savais qu’il était fou et qu’il dirait que l’État profond britannique essayait de le faire tomber, mais j’ai aussi compris que cette folie n’avait pas vraiment d’importance, elle ne m’était pas destinée. Je n’étais qu’un accessoire dans l’émission qu’il offrait aux gens qui le suivaient », explique Asaf Ronel à MEE.
« Cela servait à montrer qu’il était une personne importante, qu’un journaliste de Haaretz était venu jusqu’à Istanbul… Mais le fait que je le croie ou non avait peu d’importance, je n’étais qu’un accessoire dans sa performance. »
Des pratiques de chantage
En juillet 2018, Adnan Oktar a été arrêté pour un certain nombre d’accusations, notamment la formation d’une organisation criminelle, des abus sexuels commis contre des personnes mineures et des agressions sexuelles.
Selon le bureau du procureur général d’Istanbul, il a été interpellé alors qu’il tentait de fuir les agents venus l’arrêter. Emmené par la police, il a déclaré aux journalistes que les accusations étaient une conspiration de l’État profond britannique.
« Ils envisagent de répandre le christianisme dans toute la région. Ils m’ont pris pour cible parce qu’ils me considéraient comme l’inhibiteur de ce jeu », a-t-il soutenu plus tard devant le tribunal.
Bien que « l’État profond britannique » n’ait pas encore commenté officiellement l’affaire, beaucoup se sont interrogés sur le timing de l’arrestation d’Adnan Oktar, compte tenu du fait que les accusations portées contre lui remontent à plusieurs décennies.
« Je pense qu’il disait seulement ce qui perpétuerait selon lui la foi de ses adeptes, ce qui lui permettrait d’avoir plus d’adeptes et de recevoir l’argent, le pouvoir et les relations sexuelles qu’il voulait »
– Asaf Ronel, journaliste
En 1999, Adnan Oktar et un certain nombre de ses associés ont été arrêtés et accusés d’avoir proféré des menaces à des fins personnelles et d’avoir créé une organisation dans l’intention de commettre un crime. Un procureur turc a répertorié un certain nombre de sociétés liées à la BAV, qui a été accusée de recourir à des pratiques de chantage et à des pièges sexuels pour générer des revenus. La procédure judiciaire contre Adnan Oktar et la BAV a duré deux ans, au cours desquels la majorité des plaignants se sont rétractés.
Dans le dossier de son dernier procès, les procureurs ont présenté une série de photos d’actes sexuels qui impliquaient des membres de l’organisation, prétendument prises en secret dans des propriétés appartenant à Adnan Oktar à des fins de chantage. Le dossier a également révélé des messages WhatsApp dans lesquels des hommes et des femmes du groupe recevaient des instructions pour s’habituer au sexe anal.
Interrogé par MEE, Edip Yüksel affirme connaître un certain nombre de responsables politiques de haut rang qui ont été liés (ou dont des proches ont été liés) à Adnan Oktar et dont l’association avec ce dernier leur a été préjudiciable. Il s’abstient toutefois de donner des noms.
Il est impossible de déterminer avec certitude si Adnan Oktar était un simple escroc ou s’il croyait sincèrement à tout ce qu’il disait – ou à certaines choses.
« Je ne pense pas qu’il croyait à tout ce qu’il disait », estime Asaf Ronel.
« Je pense qu’il disait seulement ce qui perpétuerait selon lui la foi de ses adeptes, ce qui lui permettrait d’avoir plus d’adeptes et de recevoir l’argent, le pouvoir et les relations sexuelles qu’il voulait. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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