Biden et le Moyen-Orient : défis du dossier sur le nucléaire iranien
Biden hérite d’une situation particulièrement tendue et minée au Moyen-Orient, secoué par de multiples crises et des tensions anciennes exacerbées par une politique étrangère transgressive de l’administration Trump en faveur des alliés de Washington.
Celle-ci a consisté principalement en la sortie de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015, associée à une connivence absolue avec les alliés traditionnels des États-Unis – Arabie saoudite et Israël – , au soutien à la guerre au Yémen que mène la coalition arabe contre les Houthis et au déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem (présentant de facto Jérusalem comme la capitale d’Israël) que viennent renforcer de fortes pressions exercées sur les pays musulmans en vue de normaliser leurs relations avec Israël.
Le dossier nucléaire iranien constitue le plus grand chantier de la nouvelle administration. Biden s’est engagé à renouer les négociations avec l’Iran afin de sauver l’accord signé en 2015 entre l’Iran, les 5+1 (5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne), sous la présidence Obama, qui entendait limiter le programme nucléaire iranien à l’usage civil en échange de la levée des sanctions économiques, sous condition de contrôles réguliers de l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA).
Biden porte une responsabilité morale dans son engagement à réhabiliter un accord auquel il avait personnellement contribué en tant que vice-président d’Obama.
Le grand défi consiste à trouver le juste équilibre entre adopter une politique d’apaisement envers l’Iran préalable à un retour à la table des négociations et ménager ses alliés dans la région.
Un signal fort
Quelques semaines après son investiture, Biden affiche déjà un changement de cap en rupture avec la politique moyen-orientale de son prédécesseur. Ce n’est pas un hasard si le nouveau locataire de la Maison-Blanche cible d’abord l’allié américain, l’Arabie saoudite.
Début février, Biden met fin au soutien militaire dont bénéficiait la coalition arabe dans sa guerre contre les Houthis au Yémen, en sortant ces derniers de la liste noire.
Trois semaines plus tard, le président américain déclassifie le rapport de la CIA accusant le prince héritier, Mohamed ben Salmane, de l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul en 2018.
L’administration Biden vise à « recalibrer » les relations avec l’Arabie saoudite, selon le secrétaire d’État Anthony Blinken. La Maison-Blanche envoie ainsi un signal fort en faisant comprendre à Riyad que Washington sera le seul maître du jeu sur le dossier iranien, en prévision de toute pression venant des alliés américains.
De telles mesures visent aussi à afficher aux yeux des Iraniens la bonne foi de Washington en faveur d’un retour au dialogue. Cela laisse entrevoir un changement de stratégie vers un équilibre des puissances régionales, nécessaire aux yeux de Washington pour contrer l’influence des puissances russes et chinoise dans la région : une forme de stratégie de « pivot » revisitée.
D’autre part, Washington mène le 25 février des frappes visant des infrastructures de milices pro-iraniennes en Syrie en représailles d’une série d’attaques contre les intérêts américains en Irak. Une opération « proportionnée » visant à envoyer un avertissement à Téhéran sans pour autant provoquer une nouvelle escalade.
Ces frappes affichent une politique de fermeté envers l’Iran qui devrait surtout rassurer tant les alliés américains dans la région que les Républicains au Congrès, et faire taire ainsi d’éventuelles critiques l’accusant de mollesse envers la République islamique.
Conscient de la complexité du dossier, Biden s’est entouré de diplomates chevronnés et très bons connaisseurs du Moyen-Orient, comme Jake Sullivan, nommé à la tête du Conseil de sécurité nationale, et le président de l’International Crisis Group, Robert Malley, nommé émissaire pour l’Iran, tous deux hommes clés de la politique moyen-orientale d’Obama et Clinton et de l’accord sur le nucléaire iranien. Vont-ils relever le défi sur un terrain miné, marqué par une nouvelle configuration régionale ?
D’une part, la Maison-Blanche souhaite imposer à Téhéran une renégociation de l’accord incluant le programme balistique et son influence régionale : une exigence que les Iraniens ne seraient pas prêts à accepter.
Au contraire, Téhéran fait monter la pression sur Washington lorsque Ali Khamenei annonce la reprise de l’enrichissement de l’uranium à hauteur de 20 % et la capacité de son pays d’atteindre 60 % si besoin. Téhéran exige, à son tour, la levée des sanctions américaines comme condition sine qua non à un retour à la table des négociations.
Si la rivalité entre les États-Unis et l’Iran est ancienne, l’expérience de la présidence Trump a renforcé la méfiance entre les deux pays. De plus, Téhéran a fait preuve de résilience sur le plan diplomatique face à la « pression maximale » exercée par Trump : malgré l’asphyxie économique que lui imposent les sanctions américaines, l’Iran a su renforcer son influence régionale.
D’autre part, Biden doit redoubler d’efforts pour convaincre des alliés comme Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis de la nécessité d’un retour à l’accord avec l’Iran qui est, selon lui et son équipe, le seul moyen de stopper ce pays dans ses ambitions de détenir l’arme nucléaire.
L’Iran représente une menace existentielle aux yeux des alliés américains dans la région et ils voient d’un mauvais œil tout fléchissement des sanctions américaines. Ils seraient encore moins favorables à une normalisation des relations avec Téhéran.
Car si ces États s’inquiètent de l’accroissement de la capacité militaire de l’Iran, ils ne seront pas moins rassurés par un éventuel retour de Téhéran sur le marché économique régional et international après la levée des sanctions : une situation qui permettrait à Téhéran, selon eux, de renforcer son hégémonie régionale grâce notamment à la rente pétrolière.
Une opinion publique très hostile à l’Iran
Sur le plan intérieur, Biden fait face à une opinion publique très hostile à l’Iran, son image étant ternie depuis la Révolution islamique de 1979, marquée par le traumatisme de la prise d’otage du personnel de l’ambassade américaine à Téhéran pendant 444 jours, suscitant l’hostilité des Américains, cultivée par la suite par des intellectuels et lobbies anti-iraniens, comme ceux des néoconservateurs.
Biden pourrait également subir des tensions internes au sein de son équipe entre ceux qui défendent coûte que coûte le retour à l’accord sur le nucléaire iranien et ceux, comme son secrétaire d’État, Anthony Blinken, intransigeants sur la sécurité d’Israël.
En somme, Joe Biden fait face à une équation géopolitique complexe qui consiste à renouer le dialogue difficile avec un régime iranien déterminé à défendre ses intérêts et sa sécurité, ceci afin de limiter le risque du scénario d’un Iran nucléarisé et contenir l’influence des puissances russe et chinoise dans la région.
Il lui faudra, pour réussir, convaincre ses alliés traditionnels très hostiles à l’Iran et leur offrir des garanties quant à leur sécurité face à la menace iranienne, d’autant que le front anti-iranien s’est renforcé à la suite de la normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes de la région.
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