Le blocage du canal de Suez : une opportunité pour Israël ?
La crise que traverse l’Égypte suite au blocage du porte-conteneurs géant Ever Given dans le canal de Suez (une perte financière pour le pays estimée entre 12 et 14 millions de dollars par jour de fermeture) profiterait-elle à Israël et aux Émirats arabes unis (EAU) ?
C’est ce que suggèrent plusieurs médias, à l’instar de The Times of Israël, qui rappelle que dix-neuf jours après la signature de l’accord de normalisation en août 2020 entre les deux pays, des tensions sont nées entre Le Caire et les EAU quant à d’éventuels « arrangements préliminaires et consultations » sur une « voie navigable semblable au canal de Suez passant par Eilat [en Israël], reliant la mer Rouge et la Méditerranée ».
Un article d’Al-Araby al-jadid, paru le 2 octobre 2020, rapportait l’existence d’« un état d’indignation généralisé dans les cercles gouvernementaux égyptiens en raison des récentes mesures prises par les Émirats arabes unis et Israël », concernant un projet israélo-émirati concurrent au canal de Suez.
« L’une des principales sources de revenus de l’économie égyptienne pourrait être mise en péril », ont indiqué des sources officielles égyptienne à Al-Araby al-jadid.
Entre 2015 et 2020, le canal de Suez a rapporté 27,2 milliards de dollars à l’Égypte.
Les mêmes sources ont expliqué que ce projet était devenu possible « après la cession par l’Égypte de l’île de Tiran à l’Arabie saoudite ».
« L’Égypte n’a plus d’autorité sur le passage maritime entre le détroit de Tiran et la côte égyptienne car celui-ci est devenu une route maritime internationale après l’accord controversé avec Riyad », ajoute le journal.
« Nous considérons que la réponse initiale d’Abou Dabi à ce plan est un coup de poignard dans le dos », ont déclaré des officiels égyptiens à ce média.
Avantages politique et financier pour Israël
Mais ce plan est-il réalisable ?
Selon The Times of Israël, « Israël, comme l’Égypte, dispose d’un avantage géographique favorable à la construction d’une voie navigable concurrente. La distance entre le golfe d’Aqaba et la côte ouest d’Israël n’est que légèrement supérieure à celle entre le golfe de Suez et la Méditerranée. Mais Israël peut en annuler les effets en offrant des prix plus bas et un meilleur service ».
« Les avantages [financiers] d’un canal israélien ne profiteront pas seulement à Israël – le monde entier y gagnera. Ces derniers mois, des rapports ont fait état de navires évitant le canal de Suez et faisant le tour de l’Afrique australe, choisissant un temps de trajet plus long, à cause des péages égyptiens qui avoisinent jusqu’à 700 000 dollars », précise The Times of Israël.
Au-delà de l’intérêt financier, le même journal souligne que cette voie navigable offrirait une garantie : les autres États auraient un intérêt rationnel à sauvegarder la sécurité israélienne, car une menace pour Israël menacerait le canal et, par conséquent, le commerce mondial. « Ils auront donc intérêt à travailler contre les forces anti-israéliennes. »
Un projet aussi pharaonique est-il possible du point de vue technique ?
Probablement, à en croire les révélations du site américain Business Insider qui publie les détails d’un mémorandum déclassifié en 1996 : « Les États-Unis ont envisagé d’utiliser 520 bombes nucléaires pour créer une alternative au canal de Suez via Israël dans les années 1960. »
Ce mémorandum datant de 1963, intitulé « Utilisation d’explosifs nucléaires pour l’excavation du canal de la mer Morte à travers le désert du Néguev », a suggéré qu’une « application intéressante de l’excavation nucléaire serait un canal au niveau de la mer de 160 miles [257 km] de long à travers Israël ».
Traduction : « Rapport Livermore de 1963 sur la faisabilité de l’excavation d’un canal à travers Israël avec deux mégatonnes d’engins nucléaires, soit quatre engins par mile pour 130 miles = 520 bombes atomiques = 1,04 gigatonne d’explosifs ! Un autre problème qui n’a pas été considéré est celui de la faisabilité politique », écrit l’historien Alex Wellerstein.
Mais ce mémorandum, élaboré par le laboratoire national Lawrence Livermore, soutenu par le département américain de l’Énergie, a néanmoins prévenu d’un obstacle de taille : « Il est probable que les pays arabes entourant Israël s’opposeraient fermement à la construction d’un tel canal. »
L’autre obstacle est que ce programme de creusement à l’aide d’explosions atomiques, prévu à l’époque pour ouvrir un canal en Amérique centrale (en renfort du canal de Panama), a été abandonné face aux risques de radiations.
Business Insider rappelle aussi que le mémorandum de 1963 s’inscrit sept après la crise de Suez, « un conflit pour le contrôle de la voie navigable stratégique qui était un événement déterminant dans la guerre froide ».
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