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Israël-Palestine : le biais honteux de l’Europe

S’ils veulent contribuer à la paix, les gouvernements européens doivent mettre fin au favoritisme envers Israël
En Autriche, la chancellerie fédérale arbore le drapeau israélien en signe de solidarité, le 14 mai 2021 (AFP)

Quand les combats israélo-palestiniens ont éclaté la semaine dernière, les déclarations politiques européennes ont suivi un schéma familier. 

D’un côté, les dirigeants d’Europe centrale (Autriche, République tchèque, Hongrie et Slovénie) ont exprimé sans réserve leur soutien à Israël et rejeté la faute sur le Hamas. De l’autre, les ministres irlandais et belge des Affaires étrangères ont condamné les actes d’Israël comme du Hamas. D’autres ont opté pour la voie du milieu, appelant à la désescalade ou à la protection des civils en ne condamnant que le Hamas.

La tendance générale parmi les responsables européens a consisté à distordre l’enchaînement des événements ayant mené à cette dernière escalade. Ils tendent à omettre ou minimiser la série de provocations israéliennes à Jérusalem-Est occupée qui ont précédé les roquettes du Hamas. Il s’agit notamment des menaces d’expulsion visant des familles palestiniennes par des colons israéliens et de la prise d’assaut de la mosquée al-Aqsa par les forces israéliennes, qui a fait quelque 300 blessés palestiniens. 

Aucune déclaration ne mentionne le problème crucial : les droits et libertés fondamentaux des Palestiniens qui leur sont refusés depuis longtemps

Ensuite, ils font des roquettes le seul élément vraiment injustifiable.

Enfin, ils minimisent à nouveau la « réaction » israélienne, à savoir les frappes aériennes sur Gaza, qui représentent de loin la partie la plus meurtrière de cet enchaînement.

Aucune déclaration ne mentionne le problème crucial : les droits et libertés fondamentaux des Palestiniens qui leur sont refusés sous l’occupation israélienne de la Cisjordanie depuis des décennies, le blocus de Gaza et la conquête ethnoterritoriale (connue sous l’euphémisme d’« expansion des colonies ») en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est.

Ce contexte oppressif et injuste rend quasi inévitables les explosions cycliques de violence – et il faut s’y attaquer avant tout.

Indignation sélective

Les responsables européens condamnent les tirs aveugles de roquettes du Hamas, dont l’impact terrifiant sur les civils israéliens va bien au-delà de la douzaine de personnes tuées et des centaines de blessés.

Mais condamner le Hamas tout en usant de faux-fuyants sur les frappes israéliennes – qui ont tué au moins 243 Palestiniens, dont 66 enfants, et détruit des dizaines de bâtiments civils à Gaza – requiert un sentiment d’indignation très sélectif. Le ciblage délibéré d’objectifs civils et les attaques disproportionnées contre des civils, menées délibérément, sont des crimes de guerre, tout comme les roquettes du Hamas.

Des roquettes sont lancées vers Israël depuis la ville de Gaza, le 18 mai 2021 (AFP)
Des roquettes sont lancées vers Israël depuis la ville de Gaza, le 18 mai 2021 (AFP)

Les perceptions sélectives sont fréquentes dans tous les conflits nationalistes, qui ont tendance à activer un biais cognitif par lequel beaucoup de gens minimisent les méfaits du côté qu’ils privilégient tout en amplifiant les crimes de l’autre. En tant que tel, rien de surprenant à ce que le discours juif israélien blâme principalement les roquettes palestiniennes, alors que de nombreux Palestiniens les considèrent à l’inverse comme une réaction justifiée à l’agression accablante d’Israël.

Ce qui rend ce cas particulier, c’est qu’une part importante des élites politiques occidentales – pour des raisons incluant l’affinité culturelle et les sympathies historiques – penche vers le récit israélien ou y adhère pleinement.

Cette tendance est particulièrement visible chaque fois que le Hamas entre en scène. La plupart des politiciens européens sont en mesure d’admettre les inquiétudes concernant l’occupation israélienne, les colonies et la situation à Gaza. Mais quand les roquettes commencent à voler, ce contexte est soudainement oblitéré, comme si une partie différente et plus tribale du cerveau avait été activée.

Deux poids, deux mesures

Quiconque pense que les déclarations européennes sont raisonnablement objectives devrait imaginer comment l’Europe et les États-Unis réagiraient si la situation était inversée : des Palestiniens occupant, colonisant, bloquant et bombardant des enclaves juives israéliennes, d’où des groupes armés juifs tireraient alors des roquettes vers la Palestine.

Si la situation était inversée, l’Occident condamnerait probablement non seulement les oppresseurs palestiniens, mais imposerait de lourdes sanctions et envisagerait des zones d’exclusion aérienne

Dans un tel scénario, l’Occident condamnerait probablement non seulement les oppresseurs palestiniens, mais imposerait de lourdes sanctions et envisagerait des zones d’exclusion aérienne. 

Ce double standard transparaît également dans l’idée qu’Israël a le « droit de se défendre », présente dans plusieurs communiqués européens. Personne ne précise si les Palestiniens – qui n’ont pas de Dôme de fer pour les protéger – ont également le droit de se défendre contre les attaques israéliennes – ou tout autre droit proportionné.

Les déclarations européennes sélectives sont difficiles à concilier avec les évaluations des derniers cycles de combats entre Israël et le Hamas par les enquêteurs de l’ONU, de la Cour pénale internationale (CPI) et des ONG telles que Human Rights Watch. Ces observateurs suivent généralement les normes universelles et impartiales du droit international et ont généralement la confiance de la politique européenne. Tous ces acteurs ont trouvé de nombreuses preuves d’atteintes graves, qui s’apparentent probablement à des crimes de guerre, tant par Israël que par le Hamas.

Les États membres de l’UE se sont souvent abstenus lors des votes pour lancer des enquêtes de l’ONU sur les violences à Gaza au Conseil des droits de l’homme, tout en votant en faveur d’enquêtes sur d’autres conflits. De même, alors que l’UE soutient collectivement la CPI en tant que pilier de l’État de droit international, plusieurs États européens se sont opposés à l’adhésion de la Palestine à la Cour et à la compétence de la CPI à cet égard.

En plus d’être incohérent, cela contribue à la violence récurrente en donnant tant à Israël qu’au Hamas l’impression qu’ils peuvent éviter de rendre des comptes à la communauté internationale.

Vernis de légitimité

Traditionnellement, le soutien pro-israélien est bien plus fort aux États-Unis qu’en Europe. Mais cela devient de moins en moins marqué.

Au Congrès américain, il y a maintenant une cohorte de démocrates progressistes, comme Bernie Sanders, Ayanna Pressley et Mark Pocan, qui ont été beaucoup plus directs sur les droits des Palestiniens que la candidate écologiste soi-disant progressiste à la chancellerie allemande Annalena Baerbock dans ses tweets super-prudents.

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Même l’un des plus fervents démocrates pro-israéliens, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Robert Menendez, a publié une rare déclaration se disant « profondément troublé par les informations faisant état d’actions militaires israéliennes qui ont entraîné la mort de civils innocents à Gaza ainsi que par le ciblage israélien de bâtiments abritant des médias internationaux ».

Il a ainsi fait preuve de plus de nuance que son homologue au Parlement européen, David McAllister, qui a cosigné une déclaration reprenant en grande partie des mantras pro-israéliens et exprimant sa solidarité seulement « avec le peuple d’Israël » – comme si le peuple palestinien n’était pas aussi digne de solidarité, peu importe qui est responsable des combats.

Mardi, les ministres des Affaires étrangères de l’UE se sont réunis en visioconférence pour discuter de la façon de mettre fin aux violences. Si le haut représentant de l’UE Josep Borrell a appelé en leur nom à une cessation immédiate des violences, les communiqués publiés par de nombreux ministres ces derniers jours ont envoyé le signal contraire : autorisant Israël à poursuivre l’offensive.

S’ils veulent contribuer à la paix, les gouvernements européens doivent mettre fin à leur favoritisme et réorienter leurs politiques pour faire face aux injustices colossales subies par les Palestiniens, lesquelles sont à l’origine du cycle de la violence. Cela enverrait un signal plus fort que les appels téléphoniques diplomatiques à Israël et aux acteurs régionaux.

- Martin Konecny est le directeur du European Middle East Project (EuMEP), une ONG indépendante basée à Bruxelles spécialisée dans les politiques européennes et internationales relatives au conflit israélo-palestinien.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Martin Konecny is running the European Middle East Project (EuMEP), an independent NGO in Brussels specialising in European and international policies on the Israeli-Palestinian conflict.
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