Le véritable problème des campus américains, c’est l’antipalestinianisme
Bon nombre d’entre nous ont hâte de retourner sur les campus à l’automne, anticipant avec impatience les interactions en personne dans les classes, les bibliothèques, les cafétérias et lors des événements sur les campus. La vie n’a jamais eu vocation à se dérouler sur Zoom.
Ce qu’on attend en revanche avec beaucoup moins d’impatience, ce sont les attaques renouvelées contre l’activisme pour la Palestine sur les campus. Mais nous devons toutefois nous y préparer une fois de plus.
Dans un article alarmiste publié en juillet, Jeffrey Herbst, président de l’université juive américaine de Los Angeles, affirme que l’enseignement supérieur n’est pas préparé à « la possibilité d’une explosion de l’antisémitisme sur les campus à l’automne ».
Citant un sondage de l’Anti-Defamation League (ADL), Herbst observe que 41 % des juifs américains craignent pour leur sécurité après la récente flambée des violences en Israël-Palestine.
Dans le sondage de l’ADL cité par Herbst, les juifs américains sondés étaient interrogés à propos des événements qu’ils jugeaient antisémites.
Je ne le cite que pour mettre en avant comment les sondés perçoivent l’antisémitisme, à savoir : « Deux tiers ou plus des juifs américains considèrent les actes suivants comme absolument ou probablement antisémites : dire qu’Israël ne devrait pas exister en tant qu’État juif (75 %) ; comparer les actes d’Israël à ceux des nazis (70 %) ou manifester contre les actes d’Israël devant une synagogue américaine (67 %).
Victimes du harcèlement et de l’intimidation sioniste
L’ADL, bien entendu, est dénoncée pour son « passif et son schéma actuel d’attaques ciblant les mouvements de justice sociale menés par les communautés de couleur, les queers, les immigrants, les musulmans, les Arabes et autres groupes marginalisés, tout en s’alignant avec la police, les dirigeants de droite et les auteurs de violence étatique ».
Néanmoins, elle est toujours malheureusement considérée comme une source fiable pour les administrateurs des universités.
« Qualifier le sionisme de raciste (61 %) ; appeler des entreprises et organisations à boycotter, désinvestir et sanctionner Israël (56 %) ; ou qualifier Israël d’État d’apartheid (55 %) sont également considérés par la majorité des juifs comme étant absolument ou probablement de l’antisémitisme. »
Bien évidemment, c’est parce qu’ils mettent sur un pied d’égalité Israël et judaïsme, et donc que la critique d’Israël est assimilée à l’antisémitisme, que les sionistes redoutent une « explosion de l’antisémitisme » sur les campus cet automne.
Dans le même temps, les attaques impitoyables contre les défenseurs de la Palestine sont peu, voire pas dénoncées en règle générale, bien que nous sachions que censure, intimidation, doxxing [forme de piratage consistant à collecter des informations personnelles sur quelqu’un pour ensuite les publier sur internet] et agression sont le lot quotidien des lobbyistes pour la justice en Palestine – en particulier, mais pas exclusivement, des jeunes lobbyistes palestiniens.
Ces attaques ne sont pas juste perçues comme antipalestiniennes ; elles sont véritablement antipalestiniennes, visant un individu parce qu’il soutient les droits des Palestiniens.
Ces dernières années, des organisations telles que Palestine Legal ont mené la charge en défendant ceux qui se sont manifestés pour décrire comment ils sont devenus victimes du harcèlement et de l’intimidation sioniste. En 2015, avec le centre pour les droits constitutionnels, il a publié un rapport, intitulé « The Palestine Exception to Free Speech » qui recense certains des cas de censure, de sanctions ou d’autres fardeau accompagnant la défense des droits des Palestiniens.
Si la censure et la calomnie tendent à prendre pour cible les étudiants et le corps professoral, les sionistes visent également les professionnels et lobbyistes affichés qui critiquent Israël
« L’immense majorité des cas [89 % en 2014 et 80 % au premier semestre 2015] concernait des étudiants et des universitaires, une réaction au rôle de plus en plus central joué par les universités dans le mouvement pour les droits des Palestiniens. »
Récemment, Ahmad Daraldik, étudiant à l’université d’État de Floride a fait l’objet d’une attaque islamophobe, raciste et virulente prolongée pour avoir posté sur les réseaux sociaux des publications racontant comment il avait grandi en Cisjordanie sous occupation israélienne.
Selon Palestine Legal, les administrateurs de l’université ont été informés du climat extrêmement hostile auquel il a été soumis, mais non seulement l’université « n’a pas pris en compte le climat hostile pour Ahmad sur le campus mais a pris des mesures scandaleuses de son côté pour jeter du sel sur les blessures ».
Les administrateurs de l’université ont également sanctionné et interdit les sections Students for Justice in Palestine, ont annulé des cours sur la Palestine d’un point de vue antisioniste et ont limogé des intervenants, y compris des professeurs titulaires, pour leur plaidoyer en faveur de la Palestine.
Si la censure et la calomnie tendent à prendre pour cible les étudiants et le corps professoral, les sionistes visent également les professionnels et lobbyistes affichés qui critiquent Israël. Cet été par exemple, Fidaa Wishah a été renvoyée de son poste en tant que radiologue à l’hôpital pour enfants de Phoenix à cause d’une publication critiquant Israël.
Une définition de l’antipalestinianisme
Les sionistes prétendent qu’ils ne pouvaient pas avoir confiance en elle pour traiter des enfants juifs. Toutefois, comme l’explique le Conseil des relations américano-islamiques : « Sa publication est sur sa page Facebook personnelle, et si elle critique le gouvernement israélien, elle a été intentionnellement sortie de son contexte pour présenter le Dr Wishah comme antisémite plutôt que ce pourquoi elle a été connue pendant toute sa carrière, une défenseure des droits civiques. »
La liste des lobbyistes et activistes faisant l’objet d’attaques virulentes pour leur défense de la Palestine est longue et rassemble toutes les franges de la société américaine
En mai, Rasha Mubarak, une lobbyiste de Floride, a subi des calomnies racistes, sexistes et islamophobes en raison de son rôle prépondérant dans la défense de la Palestine.
Un député de Floride, Randy Fine, a quant à lui assimilé Palestiniens à Gaza et « terroristes », puis a encouragé l’armée israélienne à « les exploser » (#BlowThemUp). Le fait qu’un politicien démocratiquement élu puisse énoncer de telles déclarations montre l’acceptation généralisée du discours antipalestinien.
En acceptant l’assimilation d’Israël à tous les juifs, et en défendant ainsi ce que les sionistes « jugent antisémites », les administrateurs des campus font de l’antipalestinianisme, défini par l’historienne de Cambridge Mezna Qato comme : « les préjugés, l’hostilité ou la discrimination à l’égard des Palestiniens. Le déni de la Nakba [déplacement forcé des Palestiniens en 1948]. L’accusation d’un Palestinien de racisme “latent” sans cause réelle. Permettre une exception palestinienne en ce qui concerne toutes les autres valeurs/politiques de gauche ou progressistes. »
Pendant l’année académique à venir, alors que nous poursuivons nos efforts pour encourager les administrateurs d’université à faire la distinction entre antisionisme et antisémitisme, nous devons consacrer nos efforts à dénoncer l’antipalestinianisme qui est passé quasiment inaperçu jusqu’à présent – non pas parce qu’il est rare mais précisément parce qu’il est si omniprésent qu’il n’est pas reconnu comme mauvais.
En effet, la liste des lobbyistes et activistes faisant l’objet d’attaques virulentes pour leur défense de la Palestine est longue et rassemble toutes les franges de la société américaine.
Alors que l’une après l’autre, ces campagnes de diffamation ne révèlent aucun « antisémitisme », mais plutôt une amertume envers Israël en tant qu’oppresseur, nous devons demander aux administrateurs de croire les victimes de ces attaques plutôt que leurs accusateurs.
- Nada Elia enseigne dans le cadre du programme d’études culturelles américaines à la Western Washington University et travaille à un ouvrage sur l’activisme de la diaspora palestinienne.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].