« Je peux être tué à tout instant » : les activistes sahraouis face aux violences de la police marocaine
Dans les heures précédant le match de la Coupe arabe de la FIFA entre l’Algérie et le Maroc samedi, Laâyoune était mortellement calme.
Les autorités marocaines avaient décrété un couvre-feu dans la plus grande ville du Sahara occidental ; les cafés, restaurants et tout autre lieu susceptible de diffuser le match de football avaient été fermés.
Puis l’Algérie, acclamée par les Sahraouis en raison de son soutien à un Sahara occidental indépendant, a battu le Maroc, considéré comme la puissance occupante. Les gens sont descendus dans la rue pour célébrer cette victoire.
Mais, comme l’ont rapporté des journalistes et défenseurs des droits de l’homme à Middle East Eye, les forces de sécurité et de police marocaines les attendaient : elles s’en sont prises à certains Sahraouis et en ont arrêté et frappé d’autres au siège de la police.
Traduction : « Les forces d’occupation marocaines ont arrêté de nombreux Sahraouis dans les rues de Laâyoune occupée, à la suite de la célébration de la victoire de l’Algérie contre le Maroc en Coupe arabe. Des voitures de police ont renversé des manifestants. »
Pour Lwali Lahmad, directeur de la Fondation Nushatta, organisation à but non lucratif fondée en 2013, le harcèlement et l’intimidation n’ont rien d’inhabituels vu son travail.
Journaliste et militant des médias, Lahmad et son collègue Mansour Mohammed Moloud (27 ans) veulent « fournir une petite fenêtre sur le Sahara occidental occupé », qualifié de « trou noir de l’information » et de « zone interdite aux journalistes » par Reporters sans frontières.
Le soir du match de football, raconte Lahmad à MEE, huit voitures et trois motos sont venues encercler sa maison, où certains membres de la fondation regardaient le match.
Les véhicules stationnés appartenaient à différents services de sécurité, dont la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), l’agence de renseignements intérieurs du Maroc. Ils étaient dirigés par Younes Fadel, un officier très craint surnommé localement « Wald Atohima », en référence à un célèbre bourreau marocain.
Le petit frère de Lahmad venait regarder le match. Mais en chemin, il a été arrêté par les agents, qui lui ont demandé une pièce d’identité. Lahmad et son père sont allés à la rencontre des forces de sécurité, qui lui ont dit qu’il était recherché en vue de son arrestation.
Les officiers en civil, qui portaient des masques, ont demandé à Lahmad s’il soutenait l’autodétermination du Sahara occidental, s’il soutenait le Front Polisario, qui se bat pour un Sahara occidental indépendant, et s’il travaillait toujours comme journaliste. Sa réponse à toutes ces questions a été « oui ».
Battu au quartier général de la police
Lahmad, ses collègues et d’autres journalistes sahraouis rapportent à MEE qu’il a ensuite été contraint de monter à l’arrière de l’un des véhicules de police, aux côtés de quatre policiers marocains. Il était 19 h.
Les yeux bandés et menotté, Lahmad dit avoir été battu dans la voiture avec une barre de fer alors qu’il était conduit au siège de la police, qui se trouve à seulement quelques kilomètres du bureau de la MINURSO, la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental.
Dans la voiture, le jeune homme de 26 ans avait la tête placée entre les sièges avant afin que le conducteur de la voiture, connu sous le nom d’« Esargini », puisse lui donner un coup de coude au visage et à la tête tandis que ceux qui étaient sur les sièges arrière continuaient à le frapper. « Je me suis à moitié évanoui », confie Lahmad à MEE depuis son domicile à Laâyoune.
Dans le sous-sol du quartier général, Lahmad a été frappé avec une batte de baseball (des photos envoyées à Middle East Eye attestent du niveau de violence infligée car des cicatrices sont visibles sur tout son corps) et on lui a dit que s’il ne mettait pas un terme à son activisme, il serait tué ou violé la prochaine fois.
La police a ciblé les jambes de Lahmad jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se tenir debout, puis il a été traîné dans les escaliers pour être interrogé par des agents de sécurité, qui l’ont questionné sur ses opinions politiques, ses collègues et son travail.
Les autorités marocaines affirment que la Fondation Nushatta est financée par l’Algérie et le Polisario, accusations que nient ses fondateurs. « Nous nous autofinançons. Nous vivons avec nos parents », explique Moloud. « Parfois, nous recevons une petite subvention d’une autre ONG. »
Libéré du quartier général de la police à 2 h 30, Lahmad est rentré chez lui, où il se trouve depuis. Il est toujours sous surveillance et n’a pas encore pu voir de médecin.
Le journaliste sahraoui affirme qu’aucun mandat d’arrêt délivré par un tribunal n’a été produit et qu’aucun motif justifiant sa détention ne lui a été fourni. Il ajoute qu’à aucun moment il n’a eu l’occasion de parler à un avocat.
« Ils l’ont torturé systématiquement pendant des heures », déclare Moloud, ami et collègue de Lahmad. « Il a été soumis à des tortures physiques et psychologiques en représailles pour son activisme médiatique et son rôle de premier plan au sein de notre fondation. »
Ni le ministère marocain des Affaires étrangères ni l’ambassade du Maroc à Londres n’ont répondu aux sollicitations de Middle East Eye sur cette affaire.
Les Sahraouies parlent d’un schéma de violences
Pour les journalistes et les militants du Sahara occidental, être ainsi pris pour cible par les autorités marocaines est une réalité de longue date.
En juillet, Mary Lawlor, rapporteuse spéciale de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, a appelé le Maroc à « cesser de cibler les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes qui défendent les questions de droits de l’homme liées au Sahara occidental ».
Dans sa vue d’ensemble du Maroc, Amnesty International note que « des défenseurs sahraouis des droits humains ont été arrêtés ou ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement parce qu’ils avaient exprimé, pourtant pacifiquement, leurs opinions ».
En novembre, l’organisation de défense des droits de l’homme a rapporté que les forces de sécurité marocaines s’étaient introduites par effraction dans la maison de la célèbre militante sahraouie des droits des femmes Sultana Khaya, l’avaient violée et avaient abusé sexuellement de ses sœurs et de sa mère de 80 ans.
Les journalistes et militants sahraouis Salha Boutangiza et Ahmed Ettanji ont, comme Lahmad et ses collègues, été harcelés et passés à tabac par les forces marocaines à plusieurs reprises.
« J’ai été arrêté et menacé plusieurs fois », relate Ettanji, qui documente la vie au Sahara occidental contrôlé par le Maroc. « Je suis sous la surveillance constante de la police et ce harcèlement touche ma famille. Je n’ai pas été autorisé à célébrer mon mariage à cause des attaques de la police contre la mienne et la maison de ma femme. »
Salha Boutangiza (36 ans) révèle à MEE que la nuit du match Algérie-Maroc, elle et un certain nombre d’autres Sahraouies avaient été violentées dans la rue par la police.
« Je suis sortie dans la rue pour célébrer la victoire de l’Algérie avec une amie et défenseure des droits de l’homme », raconte-t-elle. « Trois hommes nous ont sauté dessus, dont un célèbre bourreau marocain. Ils ont mis leurs mains à l’intérieur de son soutien-gorge pour prendre son téléphone, qui y était. Ils nous ont frappées avec des battes et nous ont pelotées. »
La journaliste et militante explique que ce n’était pas la première fois qu’elle et d’autres Sahraouies étaient harcelées et abusées sexuellement par la police marocaine. « C’est répugnant. Cela laisse une cicatrice psychologique profonde. Nous sommes une société conservatrice – nous ne sommes pas traitées de cette façon par les hommes sahraouis. »
Boutangiza et d’autres Sahraouies précisent à MEE que les policiers marocains leur avaient touché les seins avec des trousseaux de clés dans les mains. De cette manière, il est plus difficile de voir les attouchements sur les vidéos.
Elle ajoute que les forces de sécurité marocaines fouillent également les téléphones des Sahraouies, publiant leurs photos privées sur de faux comptes Facebook – comme celui-ci – afin de leur faire honte.
« C’est comme attendre Godot »
Salha Boutangiza indique qu’avec de nombreuses autres militantes, elles avaient été en contact avec des ONG internationales, mais que celles-ci ne « semblaient pas vouloir empêcher le Maroc d’abuser sexuellement des femmes ».
« C’est la réalité. Je peux être tué à tout instant, mais je ne peux pas rester constamment à la maison »
- Lwali Lahmad, journaliste sahraoui
Moloud, collègue de Lahmad et ami de Boutangiza, compare la situation des Sahraouis à la pièce de Samuel Beckett En attendant Godot, dans laquelle deux personnages, Vladimir et Estragon, attendent Godot, le personnage éponyme qui n’arrive jamais.
« Nous attendons que quelqu’un nous sauve », déclare-t-il à MEE. « C’est comme attendre Godot. Nous, en tant que jeunes, incapables de vivre notre vie normalement – d’avoir des petites amies et d’aller dans les bars –, nous devons vivre comme des cibles des autorités marocaines, en espérant que la communauté internationale fera enfin attention à nous. »
Lorsqu’on leur a demandé si les intimidations et les violences subies les empêcheraient de faire leur travail, ces journalistes et activistes sahraouis affirment qu’ils n’ont pas d’autre choix que de continuer.
S’exprimant depuis son domicile, toujours sous surveillance policière, un Lwali Lahmad en convalescence assure à MEE que son calvaire aux mains des forces de sécurité ne l’empêchera pas de se battre pour un Sahara occidental indépendant.
« C’est la réalité. Je peux être tué à tout instant, mais je ne peux pas rester constamment à la maison. Je suis un homme pacifique qui a juste des opinions différentes des autorités marocaines », déclare-t-il.
« Ce à quoi j’ai été soumis est du gâteau par rapport à ce que le Maroc fait, avec le soutien des États-Unis, d’Israël et du Royaume-Uni, aux Sahraouis dans les territoires contrôlés par le Polisario », estime-t-il, faisant référence aux attaques de drones sur le territoire du Polisario au Sahara.
« Nous continuerons à nous battre. Nous continuerons à résister. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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