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France : des ONG musulmanes dans le viseur du gouvernement

La loi « contre le séparatisme » a durci le contrôle de l’État sur les associations, entraînant plusieurs fermetures d’ONG musulmanes, mais aussi de mosquées. « Une laïcité sécuritaire » qui ouvre droit à « l’arbitraire administratif », selon des défenseurs des droits
Le ministre français de l’Intérieur Gérald Darmanin (g.), la ministre déléguée à la citoyenneté Marlène Schiappa et le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti se rendent à une conférence de presse après les discussions du gouvernement sur le projet de loi « confortant les principes de la République », à l’Élysée, le 9 décembre 2020 (AFP/Charles Platiau)

L’organisation bruxelloise FEMYSO (Forum of European Muslim Youth and Student Organisations) a choisi le 12 décembre dernier, date de célébration de la journée internationale des droits de l’homme, pour répondre aux accusation sur sa supposée proximité avec l’idéologie de l’organisation des Frères musulmans.

« En tant que voix de la jeunesse musulmane en Europe, nous trouvons les attaques contre les défenseurs des droits humains profondément troublantes. Au lieu de louer et de fournir des ressources supplémentaires à ces héros intrépides, certains gouvernements ont choisi de répéter des allégations diffamatoires, leur reprochant de légitimer et d’exporter le racisme », a déploré sur Twitter sa présidente, Hande Taner.

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Sa mise au point se destine principalement à la France. Le 22 novembre dernier, dans une interview, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté, s’est insurgée contre la réception à Bruxelles quelques jours plutôt par la commissaire européenne à l’Égalité Helena Dalli d’une délégation de FEMYSO et l’implication de l’association dans une campagne du Conseil de l’Europe visant à lutter contre les discours de haine antimusulmans, intitulée « Mon voile, mon choix ».  

« Un petit tour sur les réseaux sociaux de cette organisation permet de voir à quel point ils tiennent des propos agressifs vis-à-vis de la France et de la culture française en la blâmant et l’accablant de tous les maux », a accusé la ministre française, en précisant ensuite que « le président Macron a[vait] décidé de travailler sur le terreau du terrorisme et sur le séparatisme en nommant l’islamisme, en luttant contre ces associations qui sont le faux-nez de l’islamisme ».

« L’Europe doit faire ce travail. Je m’interroge de voir des associations que nous voulons faire dissoudre ou qui sont dissoutes en France, qui vont taper à la porte des bureaux européens pour recevoir de l’argent et des subventions », a déploré Schiappa.

Parmi ces structures dissoutes, Nawa, une maison d’édition musulmane située dans l’Ariège dont la dissolution a été décidée en Conseil des ministres le 29 septembre, qualifiée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin d’« organe de propagande islamiste qui incite à la haine et à la violence ».

Flou législatif

Avant même la promulgation, le 24 août 2021, de la loi « confortant le respect des principes de la République », dite contre le séparatisme, qui durcit le contrôle sur les associations, le gouvernement français est passé à l’action en dissolvant deux organisations : Baraka City (qui se définissait comme une association humanitaire de bienfaisance) et le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF).

Ces décisions, annoncées à la suite de l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty le 16 octobre 2020, ont été validées dans un arrêté du Conseil d’État le 24 septembre dernier.  

« [La dissolution du CCIF] fait fi des valeurs fondamentales de l’État de droit. Conjuguée avec la promulgation de la loi ‘’confortant le respect des principes de la République’’, elle place l’ensemble du monde associatif sous la coupe du ministre de l’Intérieur et donne au gouvernement le pouvoir de museler la société civile »

- Ligue des droits de l’homme

Selon le ministre de l’Intérieur, Baraka City « incitait à la haine, entretenait des relations au sein de la mouvance islamiste radicale, se complaisant à justifier des actes terroristes ».

Il a déclaré par ailleurs que le CCIF était « une officine islamiste œuvrant contre la République », sans en apporter les preuves.

La loi confortant le respect des principes de la République n’est pas très explicite non plus sur les termes du contrat d’engagement républicain auquel les associations doivent désormais souscrire pour bénéficier de fonds et poursuivre leurs activités.

L’article 12 se contente d’évoquer des généralités comme le respect de la laïcité et la devise de la République (liberté, égalité, fraternité) et l’interdiction d’actions portant atteinte à l’ordre public.

Ce flou législatif a alerté la Ligue des droits de l’homme (LDH), qui a dénoncé avec d’autres associations la confirmation par le Conseil d’État de la dissolution du CCIF.

« Cette décision fait fi des valeurs fondamentales de l’État de droit. Conjuguée avec la promulgation de la loi ‘’confortant le respect des principes de la République’’, elle place l’ensemble du monde associatif sous la coupe du ministre de l’Intérieur et donne au gouvernement le pouvoir de museler la société civile », a fait savoir la LDH.

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L’ONG a ajouté qu’il était « légitime de critiquer les interventions du CCIF ou même son positionnement général [… mais qu’il était] en revanche inadmissible qu’une association dont l’objet est d’agir par les moyens légaux contre ce qu’elle considère, à tort ou à raison, comme des discriminations illégales, soit traitée pour cette raison en ennemie de la République et condamnée à la mort civile ».

Jean Bauberot, historien, spécialiste de la sociologie des religions et membre de la Vigie de la laïcité, déplore dans une conversation avec Middle East Eye « la laïcité sécuritaire » de la loi du 24 août 2021, qui ouvre droit selon lui « à un certain arbitraire administratif » avec des « valeurs mal définies » dans le contrat d’engagement républicain.

« Il y a une logique sécuritaire qui renvoie plus au gallicanisme et à sa volonté de contrôler la religion qu’à une véritable séparation des églises et de l’État tel que le prône la loi de 1905 », explique-t-il en dénonçant une politique restrictive des libertés.

« Nous avons l’impression en France que les gens n’ont pas le choix. Ils doivent être des béni-oui-oui, sinon ils sont considérés comme des adversaires », ironise l’historien.

Selon lui, le contrôle des associations, conçu par l’État comme un moyen de lutter contre l’islamisme, est à la fois inefficace, car cette idéologie se déploie selon lui plus sur la Toile, et contre-productif. Il estime en outre qu’il conduira nécessairement à une « sectarisation » plus importante des musulmans.  

Fermetures de mosquées

Outre les associations musulmanes, de nombreuses mosquées sont dans le collimateur du gouvernement français.

Il y a quelques jours, Gilles Leproust, maire d’Allonnes, ville de 11 000 habitants dans La Loire, a révélé dans les médias la grande détresse qui s’était emparée de ses concitoyens de confession musulmane après la fermeture administrative de la mosquée locale en novembre 2021, officiellement pour apologie du terrorisme.

« Nous avons l’impression en France que les gens n’ont pas le choix. Ils doivent être des béni-oui-oui, sinon ils sont considérés comme des adversaires »

- Jean Bauberot, historien

L’édile s’est lui-même dit « étonné », regrettant le manque de transparence dans cette affaire. « Les femmes et les hommes cités dans le dossier, à ma connaissance, n’ont toujours pas été entendus par la police et la justice. Donc, cela nous laisse dans une situation d’interrogation et de sidération », a-t-il soutenu.

À Beauvais, dans le Val-d’Oise, les fidèles sont aussi dans l’expectative après la fermeture de la Grande mosquée mi-décembre, à cause des prêches d’un imam jugés radicaux par les autorités. « On comprend et on respecte la décision de la préfecture. Mais la décision de punir une communauté pour les actes d’une personne persiste », a affirmé Hassan Younes, président du Conseil départemental des associations musulmanes.

Gérald Darmanin a révélé la fermeture de 21 lieux de culte ces derniers mois après le contrôle d’une centaine soupçonnés de « séparatisme ».

Les comptes bancaires de plusieurs associations gestionnaires de mosquées ont également été fermés.

Selon le Conseil français du culte musulman (CFCM), les versements en espèces seraient la cause principale de ces fermetures. Or, pointe-t-il dans un communiqué, « ces versements, qui ne sont pas propres au culte musulman, proviennent des collectes organisées lors notamment de la prière du vendredi et du mois de Ramadan [et] sans ces dons des fidèles, de nombreuses mosquées ne pourraient pas assumer leurs dépenses de fonctionnement ».

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S’élevant contre ce qu’il considère comme des mesures discriminatoires, le CFCM a déclaré avoir interpellé les pouvoirs publics.

Mais il n’est pas sûr qu’il soit entendu, car il est à son tour dans le viseur des autorités. D’après Gérald Darmanin, le CFCM est « mort ». « Pour la République française, il n’existe plus. Il n’est plus l’interlocuteur des pouvoirs publics ».

Le ministre de l’Intérieur accuse l’instance, créée en 2003 par Nicolas Sarkozy pour représenter les musulmans de France auprès des instances étatiques, de promouvoir un islam « consulaire », ciblant notamment deux organisations membres du CFCM, le Comité de coordination des musulmans turcs de France et la Confédération islamique Millî Görüş, qui ont refusé de signer la Charte pour les principes de l’islam de France voulue par Emmanuel Macron.

Dans la foulée, le gouvernement a annoncé la tenue d’« un forum de l’islam de France » en février portant sur la formation des imams, auquel prendront part « 80 à 100 personnes : responsables culturels, imams et membres de la société civile ».

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