L’UE prépare une candidature conjointe avec l’Égypte pour diriger une instance de lutte contre le terrorisme
L’Union européenne (UE) envisage une candidature conjointe avec l’Égypte pour prendre la tête d’une influente organisation internationale qui façonne les politiques de lutte contre le terrorisme à l’échelle mondiale.
La semaine dernière à Bruxelles, des fonctionnaires européens ont approuvé la candidature commune de l’UE et de l’Égypte afin de coprésider le Forum mondial de lutte contre le terrorisme (GCTF), malgré les preuves étayées d’atteintes aux droits de l’homme et de l’utilisation abusive des pouvoirs de lutte contre le terrorisme dans le pays depuis que le président Abdel Fattah al-Sissi s’est emparé du pouvoir en 2013.
Cette initiative a été proposée par la France, actuellement à la tête de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, le 11 janvier, au lendemain de la fermeture forcée de l’organisation cairote Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme (ANHRI), dans le collimateur du gouvernement.
L’ANHRI, l’une des dernières organisations indépendantes de défense des droits de l’homme travaillant en Égypte, a annoncé suspendre ses activités à cause de « l’absence du minimum vital d’État de droit et de respect des droits de l’homme ».
Elle rapporte que ses employés ont été arrêtés, intimidés et agressés physiquement par les forces de sécurité.
Ahmed Mefreh, avocat égyptien spécialiste des droits de l’homme et directeur de Committee for Justice (basé à Genève), déclare à Middle East Eye que cette candidature semble être une tentative de l’UE « d’aider le régime de Sissi à soigner son image ».
« Nommer l’Égypte à la présidence de tout forum international de lutte contre le terrorisme, c’est se moquer des atteintes aux droits de l’homme commises en Égypte sous couvert de la guerre contre le terrorisme »
- Ahmed Mefreh, avocat égyptien
Selon lui, cela suggère une volonté de la part de certaines institutions européennes de fermer les yeux sur les atteintes aux droits de l’homme malgré les inquiétudes soulevées à l’ONU à propos du recours abusif à la législation de lutte contre le terrorisme par l’Égypte.
« Nommer l’Égypte à la présidence de tout forum international de lutte contre le terrorisme, c’est se moquer des atteintes aux droits de l’homme commises en Égypte sous couvert de la guerre contre le terrorisme », estime Mefreh.
Selon un mémo du Conseil de l’UE daté du 11 janvier et publié par Statewatch, la candidature commune a été proposée par des membres des services diplomatiques de l’UE, le Service européen pour l’action extérieure, lors de réunions d’un groupe de travail européen sur le terrorisme en octobre et novembre.
« Partenaire de longue date »
« En tant que coprésidente du GCTF, l’UE peut contribuer à façonner l’agenda de la politique et des pratiques internationales en matière de lutte contre le terrorisme et promouvoir les valeurs de l’UE dans le domaine de la lutte contre le terrorisme », affirme ce mémo.
Il précise que l’Égypte a exprimé son intérêt pour une candidature commune et est « un partenaire de longue date de l’UE et coprésidente du groupe de travail du GCTF sur le renforcement des capacités en Afrique de l’Est ».
Les responsabilités des coprésidents sont notamment « d’assurer la direction stratégique générale et la gestion des activités du Forum », indique le mémo.
Celui-ci est classé « limite », ce qui signifie que le document est considéré comme sensible et n’est pas destiné à être rendu public.
Cette proposition a été approuvée le 12 janvier par le Comité des représentants permanents des 27 États membres de l’UE.
Peter Stano, un porte-parole de l’UE, a confirmé vendredi à MEE que l’UE et l’Égypte avaient présenté une candidature commune pour coprésider le GCTF. Les candidats potentiels doivent faire part de leur intérêt d’ici la fin de semaine.
Les membres du GCTF choisiront les prochains coprésidents lors d’une réunion en mars et les candidats sélectionnés débuteront leur mandat en septembre. Le Canada et le Maroc sont les actuels coprésidents.
Le GCTF a été créé à New York en septembre 2011 ; les États-Unis et la Turquie en ont inauguré la présidence. L’organisme a joué un rôle majeur pour diriger et développer les stratégies de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme à travers le monde ces dix dernières années.
Parmi ses 30 membres figurent la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, la Jordanie, l’Algérie, le Nigeria, le Pakistan, l’Indonésie et de nombreux États européens.
Le GCTF travaille en étroite collaboration avec l’ONU pour promouvoir la stratégie de lutte contre le terrorisme de l’institution mondiale.
Maître de conférences en droit international des droits de l’homme à la Edinburgh Law School et juriste spécialiste des questions de lutte contre le terrorisme, Gavin Sullivan explique à MEE que le GCTF joue un rôle de plus en plus important dans la manière dont est façonné le droit international touchant à la lutte antiterroriste mais que cela ne s’accompagne d’aucun compte à rendre ni débat.
« Permettre à l’Égypte d’assumer la direction du GCTF est une décision politique très risquée et dangereuse. Cela permettrait à un État qui a un passif avéré d’utilisation abusive de sa propre législation antiterroriste de façonner le droit mondial », regrette-t-il.
En septembre, Human Rights Watch affirmait que le gouvernement de Sissi se servait du prétexte de la lutte contre le terrorisme pour donner aux forces de sécurité « les mains libres pour éliminer toute opposition »
« Cela laisse entendre que l’UE place sa coopération en matière de sécurité avec un régime autoritaire qui présente un intérêt géopolitique dans la guerre contre le terrorisme avant le respect des normes internationales en matière de droits de l’homme et l’État de droit – lesquels sont des valeurs clés de la Constitution européenne. »
L’Égypte et l’Union européenne coprésident actuellement un groupe de travail du GCTF sur le renforcement des capacités en Afrique de l’Est dont le travail comprend « l’encouragement de la mise en œuvre de bonnes pratiques pour une lutte contre le terrorisme efficace dans le secteur de la justice pénale ».
L’Égypte a également coprésidé précédemment avec les États-Unis un groupe de travail sur la justice pénale et l’État de droit.
Lors d’une réunion du GCTF en octobre, Mohamed Fouad Ahmed, directeur de l’unité égyptienne de lutte contre le terrorisme, déclarait : « L’Égypte croit résolument que, pour que nos efforts de lutte contre le terrorisme soient fructueux, nous devons avoir une approche holistique s’intéressant aux racines du terrorisme et de l’extrémisme violent qui conduisent au terrorisme.
« Cela ne se limite pas aux mesures de sécurité, mais s’étend également au développement socio-économique et la réfutation des idéologies déviantes des groupes terroristes », a-t-il poursuivi.
« Mains libres pour éliminer l’opposition »
Cependant, l’utilisation par le gouvernement égyptien des lois de lutte contre le terrorisme pour étouffer la dissension sous le régime de Sissi est largement critiquée.
L’Égypte est citée dans le dernier rapport sur le terrorisme du département d’État américain parmi les pays où « d’importants problèmes de droits de l’homme ont influencé l’activité terroriste dans le pays et pourraient avoir entravé l’efficacité des politiques de lutte contre le terrorisme ».
En septembre, Human Rights Watch affirmait que le gouvernement de Sissi se servait du prétexte de la lutte contre le terrorisme pour donner aux forces de sécurité « les mains libres pour éliminer toute opposition, y compris la dissension pacifique, avec une impunité quasi totale pour les graves abus ».
Les dissidents égyptiens qui vivent en Europe se sont également plaints d’être menacés et espionnés par les renseignements égyptiens.
Certains d’entre eux, vivant en Allemagne, ont signalé à MEE le mois dernier que leur situation avait empiré depuis que le gouvernement allemand avait signé un pacte de sécurité avec l’Égypte en 2017.
« Le régime de Sissi est connu pour ses atteintes aux droits humains. La collaboration avec le meneur du coup d’État et oligarque Sissi trahit tous ceux qui se battent pour les droits sociaux et la démocratie en Égypte »
- Özlem Demirel, membre du Parlement européen
En décembre 2020, le Parlement européen a adopté une résolution appelant à un « examen approfondi et global » des relations de l’UE avec l’Égypte et déploré le détournement par les autorités égyptiennes de la législation de lutte contre le terrorisme contre les défenseurs des droits de l’homme et les opposants politiques de Sissi.
Özlem Demirel, membre du Parlement européen appartenant au parti allemand de gauche, a dénoncé cette candidature conjointe pour la présidence du GCTF.
Elle a cité le récent cas de l’activiste égyptien Hossam Menoufi Mahmoud Sallam, interpellé après que l’avion dans lequel il voyageait entre le Soudan et Istanbul a été contraint de procéder à un atterrissage d’urgence à Louxor.
« Le régime de Sissi est connu pour ses atteintes aux droits humains. La collaboration avec le meneur du coup d’État et oligarque Sissi trahit tous ceux qui se battent pour les droits sociaux et la démocratie en Égypte », a-t-elle assuré à MEE.
Peter Stano, porte-parole de l’UE, déclare quant à lui : « L’UE accorde une grande importance à l’action multilatérale pour lutter contre le terrorisme. Cette initiative se base sur les précédentes coopérations de l’UE avec l’Égypte au sein du GCTF en tant que coprésidents du groupe de travail sur le renforcement des capacités en Afrique de l’Est ces quatre dernières années. »
Avant de poursuivre : « Le terrorisme est un défi pour les deux côtés de la Méditerranée. Combattre cette menace avec le respect dû aux droits de l’homme et au droit international est un engagement commun inscrit dans les priorités de partenariat entre l’UE et l’Égypte. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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