Une fois encore, l’Europe capitule devant Israël
Le discours prononcé par la présidente du Parlement européen Roberta Metsola devant la Knesset israélienne fin mai est peut-être l’un des discours les moins responsables que j’aie jamais entendus de la part d’un dirigeant étranger à l’égard d’Israël.
On aurait pu s’attendre à ce que cette dirigeante originaire de Malte, un pays traditionnellement solidaire du peuple palestinien et qui représente un bloc favorable à une politique étrangère fondée sur des valeurs, l’État de droit et la responsabilité, parle sans détours aux puissants.
Au lieu de cela, nous avons entendu tout l’inverse : une capitulation de l’Europe face aux politiques d’annexion et d’apartheid d’Israël que dénoncent Amnesty International et Human Rights Watch. Le soutien de façade apporté à la solution à deux États à la fin de son discours ne change rien au fait que la dirigeante n’a pas mentionné les mots « occupation », « colonisation » ou « annexion », pas plus qu’elle n’a évoqué les droits des Palestiniens, le droit international ou les résolutions de l’ONU.
Roberta Metsola n’a manqué aucune occasion de réaffirmer sa position, ignorant qu’Israël n’est pas un pays uniquement réservé aux juifs, mais un pays où 20 % de la population est composée de citoyens palestiniens.
Elle a fait part de sa grande admiration pour l’ancienne Première ministre israélienne Golda Meir, tristement célèbre pour avoir déclaré que « les Palestiniens n’exist[aient] pas ».
Elle n’a même pas mentionné Shireen Abu Akleh
Elle s’est également gardée d’aborder les plus de 65 lois israéliennes discriminatoires à l’égard des citoyens palestiniens d’Israël, notamment la mesure raciste consistant à interdire les regroupements familiaux pour les Palestiniens, approuvée en mars.
Son message était limpide : les relations entre l’Europe et Israël ne seront pas affectées par les crimes et les violations des droits de l’homme commis systématiquement par Israël à l’encontre des Palestiniens.
Chaque fois que l’Union européenne met en œuvre une quelconque forme de mécanisme de responsabilité dans le contexte du conflit israélo-palestinien, c’est toujours le peuple palestinien qui est lésé
Elle a complètement adopté le discours sioniste israélien – chose que j’aurais attendue d’un responsable israélien dans un discours devant le Parlement européen, et non l’inverse.
Elle n’a même pas mentionné Shireen Abu Akleh, la journaliste d’Al Jazeera abattue par les forces israéliennes le mois dernier, et n’a lancé aucun appel public à la justice. Son discours visait à rassurer Israël quant au fait que l’apartheid ne nuira pas aux relations bilatérales.
Roberta Metsola a également évoqué des valeurs communes ainsi que le lien profond unissant l’Europe et l’État d’Israël.
A-t-elle seulement pensé à ce que les Palestiniens ressentiraient à ce sujet ? Quelles sont ces valeurs partagées ? La négation des droits ? La colonisation ? L’opposition à l’égalité ? La démolition de maisons ? La séparation de familles ? Si elle voulait parler de justice et d’égalité, alors elle connaît très peu de choses sur Israël.
Elle n’est hélas pas la seule à adopter cette position. Chaque fois que l’Union européenne (UE) met en œuvre une quelconque forme de mécanisme de responsabilité dans le contexte du conflit israélo-palestinien, c’est toujours le peuple palestinien qui est lésé.
Olivér Várhelyi, membre hongrois de la Commission européenne, fustige le contenu des manuels scolaires palestiniens et défend un gel de l’aide européenne allouée à la Palestine. Il ne s’agit pas d’une voix anti-palestinienne isolée au sein de l’UE.
La question des manuels scolaires palestiniens est un sujet de discussion politique employé par ceux qui s’opposent à l’existence même de la Palestine.
Quelle crédibilité ?
En revanche, en tant que législateur israélien, je n’ai jamais entendu de demande européenne de révision des manuels scolaires israéliens qui nient systématiquement l’existence du peuple palestinien et la Nakba.
Lorsqu’il est question d’Israël, la parole des think tanks de droite et même des colons semble avoir plus de poids à Bruxelles que les rapports des groupes internationaux de défense des droits de l’homme sur l’apartheid israélien.
Si l’Europe continue d’éviter de demander des comptes à Israël pour ses crimes et violations systématiques, le statu quo de l’apartheid restera intact
Même l’arrêt de la Cour de justice de l’UE sur l’étiquetage des produits issus des colonies n’est pas appliqué. Quelle crédibilité l’Europe peut-elle donc avoir lorsqu’il s’agit de prendre position sur la solution à deux États ?
Pour la plupart des pays européens, l’attaque sauvage des forces israéliennes lors des funérailles de Shireen Abu Akleh ne peut être justifiée, et beaucoup ont sûrement été choqués de voir des milliers de juifs israéliens scander « Mort aux Arabes ! » lors de la récente « marche des drapeaux » de Jérusalem.
De telles scènes ne peuvent être séparées des réalités quotidiennes de l’occupation et des lois qui favorisent un système de suprématie juive des deux côtés de la frontière de 1967.
L’Europe, principal partenaire commercial d’Israël, possède suffisamment d’outils pour faire évoluer la situation, notamment l’application de l’article 2 de l’accord commercial UE-Israël, qui conditionne sa mise en œuvre au respect des droits de l’homme.
Mais ce mardi 14 juin, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en visite en Israël, a déclaré que l’Union européenne voulait « renforcer » sa coopération énergétique avec Israël en réponse au « chantage » de la Russie.
« Nous explorons actuellement des voies pour renforcer notre coopération énergétique avec Israël », a-t-elle expliqué, en citant en exemple un projet de câble électrique sous-marin reliant Israël, Chypre et la Grèce et un « pipeline » en Méditerranée orientale.
La paix est une construction fondée sur la justice. Si l’Europe continue d’éviter de demander des comptes à Israël pour ses crimes et violations systématiques, le statu quo de l’apartheid restera intact. Ce ne sont pas les valeurs que l’Europe est censée défendre.
- Sami Abu Shehadeh est député de la Liste unifiée à la Knesset israélienne.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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