Sofreh aqd : à la découverte du mariage iranien
Un grand miroir scintille dans la lumière des candélabres. Les visages du couple se reflètent dans leur lueur. Devant eux, sur une table élégamment dressée, se trouvent des coupes de graines et d’épices – encens, thé, graines de pavot et esfand (rue sauvage) – ainsi que des fruits, comme des pommes et des grenades, placés dans des bols décoratifs.
Le pain ornemental, le fromage et les fines herbes sont reliés entre eux par des fleurs et des rubans. Des pièces d’or, des amandes et des noix, mais aussi des œufs peints, des pâtisseries et de l’eau de rose complètent la somptueuse nappe.
Voici le cœur des rituels nuptiaux iraniens : la « table de l’engagement », connue en iranien sous le nom de sofreh aqd. Les épices et les herbes protègent du mauvais œil. Les œufs et les noix représentent la fertilité et l’abondance, tandis que les pièces symbolisent la prospérité. Les pâtisseries évoquent la douceur d’une vie partagée, quand le miroir et les bougies évoquent un avenir radieux.
Certains musulmans y incluront un Coran. D’autres placeront un livre de poésie mystique persane d’auteurs tels que Hafez ou Rumi. D’autres groupes religieux utilisent leurs propres textes sacrés, comme la Torah, la Bible ou l’Avesta, souvent aux côtés de la poésie persane.
Beaucoup voient dans le sofreh aqd l’incarnation de la poésie persane, où chaque élément symbolise la vie heureuse du couple.
Bien que l’Iran soit un pays diversifié et que chaque famille célèbre les mariages différemment selon son groupe ethnique, culturel et religieux, certains aspects sont communs à toutes les noces.
Dans cet article, Middle East Eye explore l’univers du mariage traditionnel iranien, dans le cadre d’une série sur les traditions nuptiales de toute la région.
Khastegari
Pour la plupart des familles iraniennes, avant que la planification du mariage ne puisse commencer, les familles doivent se rencontrer et le jeune couple être autorisé à se courtiser. Le khastegari (cour) est un processus par lequel une famille recherche un conjoint approprié pour son enfant.
Des rencontres sont organisées entre les familles et les potentiels futurs époux. Lors de la première rencontre, la famille du jeune homme apporte souvent des fleurs ou des bonbons, tandis que l’éventuelle future mariée apparaîtra pour leur servir le thé.
Alors que dans le passé, les époux potentiels n’avaient pas ou peu leur mot à dire, aujourd’hui, les Iraniens peuvent rencontrer des dizaines de personnes pendant de nombreuses années avant de choisir l’heureux(se) élu(e), une décision prise après plusieurs rendez-vous.
Pour d’autres, le khastegari est une formalité. « Certains couples se connaissent depuis des années », explique Roya Adib, organisatrice de mariage. « Mais quand viendra le moment de se marier, ils passeront toujours par le processus de khastegari. » Elle estime que parmi les couples qu’elle connaît à Téhéran, 40 % se sont rencontrés par l’intermédiaire du khastegari, 60 % indépendamment.
Accord prénuptial
Auparavant, les mariages iraniens duraient une semaine, avec jashn va paykoubi (célébration et danse) tous les soirs jusqu’au mariage au rythme d’instruments tels que le sorna, le zar et le tombak. Cependant, de nos jours, il est plus courant que le mariage ne dure qu’une seule journée.
L’une des premières étapes avant le mariage est le baleh boroun, qui signifie « obtenir le oui ». Ici, les deux familles donnent leur consentement aux noces à venir. L’événement est une partie importante du processus nuptial, car non seulement il permet au couple de mieux se connaître, mais c’est aussi à ce moment-là que le mehriyeh (accord prénuptial) est décidé.
Lors d’un rassemblement dans la maison de la mariée, la famille du futur époux viendra apporter des cadeaux. Peu de temps après, les anciens de la famille discuteront du mehriyeh, qui fait référence à un cadeau que l’époux offre à sa conjointe lors d’un divorce, comparable à un accord prénuptial.
Traditionnellement, le mehriyeh est indiqué en pièces d’or. Dans différentes villes, différentes traditions le régissent ; par exemple, à Ispahan, il est courant d’inclure un lopin de terre, tandis que pour d’autres, des quantités spécifiques sont choisies pour des raisons symboliques.
« Dans le passé, la famille de la mariée pouvait dire que le mehriyeh devait, par exemple, être de 1 370 pièces d’or parce que la mariée était née en 1370 », explique Roya Adib, employant le calendrier iranien (qui équivaut à l’année 1991-2 du calendrier grégorien).
Dans la mesure où chaque pièce d’or vaut plusieurs centaines de dollars, le mehriyeh pouvait devenir astronomique. « De grosses disputes avaient lieu, ce qui pouvait même entraîner l’annulation du mariage. »
En raison de l’essor du divorce en Iran, le mehriyeh est devenu un fardeau important pour les hommes, qui pousse certains d’entre eux à s’endetter fortement. Le gouvernement iranien a dû établir des lois qui stipulent qu’indépendamment de ce qui est mentionné dans le mehriyeh, un ex-mari ne peut être invité à payer qu’un certain montant maximum (pour l’année à venir, il est fixé à 110 pièces d’or, chacune valant actuellement quelque 400 dollars).
« Aujourd’hui, les jeunes gens rejettent souvent cette coutume. À la place, les mariés font un mehriyeh symbolique », explique Roya Adib, qui donne l’exemple d’une unique rose ou bonbon parfumé à l’eau de rose.
Melika, une étudiante originaire de Téhéran qui s’est mariée il y a quelques années, ajoute : « Certaines femmes profitent également de l’occasion pour ajouter des garanties au contrat, comme par exemple le droit de travailler ou d’étudier, la garde des enfants ou des spécifications sur l’endroit où le couple vivra. »
À ce stade, d’autres dispositions sont également prises pour le mariage, concernant notamment la future résidence du couple et les coûts du mariage. Traditionnellement, en Iran, la maison est achetée par la famille du marié, alors que tout ce qu’elle contient est fourni par la mariée. Mais aujourd’hui, les couples essaient de partager les choses plus équitablement afin d’en faire un fardeau financier moins lourd pour une seule personne.
Baleh boroun
Une fois les détails relatifs au partage des frais de mariage réglés, vient le baleh boroun, l’occasion où la date et l’heure des fiançailles et du mariage sont fixées.
Certaines dates sont évitées ; par exemple, les musulmans abstiennent de se marier pendant les mois islamiques de Muharram ou Ramadan, tandis que les chrétiens évitent mars ou début avril pour contourner les interdictions de consommation de viande liées au Carême. Certains religieux peuvent chercher dans des calendriers astronomiques ou astrologiques des dates providentielles pour les suggérer au couple.
Dans le passé, le hana bandoun, un rituel prénuptial pluriséculaire durant lequel des dessins au henné sont réalisés sur les futurs époux, était une occasion importante. Souvent, les dessins incluaient des images symboliques, y compris des moineaux, des arbres et des fleurs.
Lors de cette cérémonie, les proches du marié portent de grands plateaux remplis de confiseries, de noix et d’or au-dessus de leur tête jusqu’au domicile de la mariée. Les hommes dansent dans la cour de la maison sur les notes d’un orchestre, tandis que les femmes montent sur les toits pour observer la scène. Ces dernières s’occupent également à tatouer la mariée et elles-mêmes au henné en préparation du mariage.
De nos jours, cependant, ce rituel est moins courant et les femmes préfèrent emmener leur cortège nuptial dans un institut de beauté la veille du mariage pour se préparer tout en se régalant de sucreries et de thé.
Dans la région d’Ahwaz, une zone à majorité arabe du sud-ouest de l’Iran, l’arrivée de la mariée est marquée par le yazle, une cérémonie durant laquelle les participants dansent en cercle et tirent des coups de feu en l’air. Chez les kachkaïs, un groupe turcophone nomade du centre de l’Iran, la mariée est conduite jusqu’au domicile de la famille du marié dans un grand défilé.
Fiançailles
En Iran, il est courant d’organiser deux cérémonies nuptiales distinctes : aqd, les fiançailles, et arousi, les noces elles-mêmes.
Les fiançailles ont lieu peu de temps après l’acceptation de la demande en mariage. Après les fiançailles, le couple est légalement marié.
À ce stade, certains couples décident de vivre ensemble dans un appartement loué. Souvent, ils attendent de réunir assez d’argent pour organiser la cérémonie de mariage et préparer la maison où ils vivront. Certains repoussent le mariage pendant des années, jusqu’à ce qu’ils se sentent assez stables financièrement pour organiser de grandes noces.
Le sofreh aqd est la principale caractéristique des fiançailles, tout comme du mariage lui-même.
Le jour des noces
Un mariage iranien typique est riche en symbolisme.
Le jour de son union, le couple est assis devant le sofreh aqd et trempe ses doigts dans un bol de miel avant de s’en nourrir mutuellement, pour signifier la douceur de la vie commune à venir.
Parfois, tout au long du mariage, les parentes du couple tiennent un tissu blanc au-dessus des jeunes mariés. Les femmes de la famille frottent en outre deux morceaux de sucre l’un contre l’autre au-dessus du couple, pour le bénir en douceur.
La religion du couple façonne également de nombreux rituels le jour du mariage.
Tannaz Sassooni, auteure gastronomique iranienne basée à Los Angeles, explique à Middle East Eye que les mariages juifs persans incluent la signature de la ketoubah, un contrat de mariage religieux conclu avec la famille immédiate et un témoin dans une pièce séparée juste avant la cérémonie.
Le chantre juif récite les sheva berakhot, les sept bénédictions dérivées des textes sacrés du judaïsme. Elles sont prononcées selon les normes mizrahi (juifs du Moyen-Orient), conformément aux usages iraniens ou irakiens, selon l’origine familiale du couple
« Dans les mariages juifs iraniens à Los Angeles, la musique est extrêmement entraînante. Souvent, la mariée défile dans l’allée sur de la musique persane pendant que les gens l’acclament, l’applaudissent et la rejoignent », décrit Sassooni à Middle East Eye.
À la fin d’un mariage juif, le marié brise un verre et – selon une tradition qu’ont en commun les Iraniens de toutes les confessions – les participants poussent fièrement des cris de joie.
Dîner et danse
Le mariage se termine par un dîner, qui inclut une table somptueuse aux arômes riches, ainsi qu’une danse.
« Pour le dîner, les Iraniens préfèrent les plats lourds », explique Roya Adib, l’organisatrice de mariages.
« Le baghali polo ba mahicheh – riz aux fèves avec jarret d’agneau – est un plat clé des mariages, avec les brochettes de poulet et d’agneau. Les gens aiment aussi les ragoûts comme le fesenjan – avec des noix et des grenades. »
Si ces plats n’ont quasiment pas été modifiés lors des mariages iraniens pendant de nombreuses années, de nos jours, certains ajoutent des innovations aux plats proposés : selon Tannaz Sassooni, il n’est pas rare de voir des plateaux de sushis lors des mariages persans à Los Angeles.
Après le dîner, vient, bien sûr, la danse. Selon le degré de religiosité de la famille, les participants peuvent être divisés en fonction du sexe. Mais il est également courant que les hommes et les femmes célèbrent le mariage ensemble.
Les mariages iraniens impliquent souvent de nombreuses personnes, pouvant aller jusqu’à un millier d’invités, ce qui n’est pas rare. « Vous devez convier beaucoup de monde à votre mariage car c’est une occasion de rendre l’invitation pour les mariages auxquels vous avez assistés dans le passé ! », explique Melika à MEE, qui confie que le sien a rassemblé 1 200 convives.
Mais le double coup des sanctions américaines et de la pandémie de coronavirus a eu de lourdes conséquences sur les mariages, obligeant les Iraniens à en limiter la taille. Certains cherchent aussi à réduire les dépenses de certaines des traditions les plus onéreuses.
Visites postnuptiales
Après les célébrations, les familles accompagnent souvent les mariés jusqu’à leur nouvelle maison.
Ils quittent le lieu du mariage dans un convoi de voitures selon un rituel connu sous le nom d’arous keshoun, durant lequel les amis et la famille klaxonnent à tue-tête et sortent de leur véhicule pour danser dans la rue.
Certaines familles ont pour coutume d’entrer dans le logement du nouveau couple pour inspecter les lieux et les meubles.
Habituellement, un jour après le mariage, a lieu le pa takhti, qui consiste, pour les proches du couple, à rendre visite à la famille de la mariée. Aujourd’hui, ces visites sont considérées comme quelque peu envahissantes et épuisantes, surtout après les jours intenses de préparation précédant le mariage. À la place, beaucoup de couples rendent visite à leurs proches dans les semaines qui suivent le mariage.
Comme ces rituels le montrent clairement, si les cérémonies de mariage iraniennes sont enracinées dans des traditions séculaires, elles s’adaptent et changent constamment avec le temps.
Traduit de l’anglais (original).
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