La France est arrivée en Syrie avec une liste d’enfants à rapatrier, mais a laissé sur place plusieurs orphelins
Ali, 6 ans, faisait partie d’une liste de citoyens français devant être rapatriés en France depuis la Syrie cet été. Mais le petit garçon n’a pas été emmené et vit toujours sous une tente dans le camp de Roj, une prison à ciel ouvert située dans le Nord-Est du pays.
Assis dans cette tente, Ali semble terrifié par une Tunisienne, une ex-membre du groupe État islamique (EI) à qui il a été confié par les autorités kurdes qui gèrent le camp.
Le garçon a perdu sa mère, ses frères et ses sœurs dans le village de Baghouz, dans l’Est du pays, au cours de l’opération menée pendant plusieurs semaines par la coalition internationale contre l’EI pour s’emparer du dernier territoire détenu par le groupe militant. Seul le père d’Ali, un membre présumé de l’EI, a survécu. Il est depuis détenu dans une prison des Forces démocratiques syriennes (FDS).
Ali refuse de parler français, mais semble comprendre lorsqu’on lui pose des questions simples. Il reste pourtant silencieux et se tortille les doigts.
Gantée et vêtue d’un niqab noir, l’ex-membre de l’EI affirme s’occuper du petit garçon comme s’il était son propre fils. Ali semble toutefois perdu.
Ses proches en France ont retrouvé sa trace il y a quelques mois, au bout d’une longue et difficile recherche au cours de laquelle ils ont fini par croire que lui aussi n’avait pas survécu. Après l’avoir retrouvé, ils ont immédiatement alerté le ministère français des Affaires étrangères, qui a inscrit le nom du garçon sur la liste des citoyens à rapatrier en juillet.
Mais lorsque des représentants français se sont rendus à Roj pour rapatrier le groupe de citoyens, la Tunisienne a refusé de le leur remettre. Pour des raisons toujours obscures, les autorités françaises ont obtempéré et n’ont pas ramené le garçon à sa famille.
Middle East Eye a contacté le ministère des Affaires étrangères pour recueillir des commentaires, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.
« Elles nous demandent pourquoi »
Chaque jour, juste avant midi, Roj s’anime. Des enfants portant des sacs à dos, dont certains à l’effigie de super-héros, sortent de l’école installée dans des préfabriqués fournis par Save the Children.
Une petite aire de jeux et une balançoire métallique constituent les seules distractions pour ces enfants, qui sont pour la plupart âgés de moins de 10 ans et ont passé plus de temps dans ce camp que dans l’« État islamique ».
Une petite Française en robe à fleurs éclate de rire. « Tu sais, demain je vais partir en France. Ma maison est ici, j’habite là avec ma maman », dit-elle, désignant une tente blanche branlante.
Mais la fillette et sa mère ne rentreront pas en France. Au lieu de cela, elle et ses amis continuent d’errer entre les tentes au cours d’après-midis poussiéreuses, tandis que certains enfants font du vélo ou de la trottinette grâce à l’argent envoyé par leur famille.
« Il y a quelques Françaises qui reçoivent de l’argent. Cela leur permet de vivre un peu mieux, et cela allège notre charge », explique à MEE Rachid Afrin, le chef kurde du camp de Roj.
« Chaque pays doit ramener toutes ses femmes et tous ses enfants. Ici, nous avons de plus en plus de problèmes à cause du processus de sélection appliqué par certains pays. Ces femmes viennent ensuite nous demander pourquoi ils n’ont pas pris tout le monde. »
Environ 60 000 femmes et enfants vivent dans deux camps tentaculaires gérés par les Kurdes, Roj et al-Hol, dans la région semi-autonome de Hassaké en Syrie. Selon Laurent Nuñez, ancien coordinateur national français du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, une centaine de femmes et 250 enfants de nationalité française vivent encore à Roj. Certains groupes de défense des droits de l’homme estiment toutefois qu’il reste 75 femmes et 160 enfants dans les camps.
« Pas sur cette fameuse liste »
Le 5 juillet, les autorités françaises sont arrivées au camp avec des fourgons pour récupérer 16 anciennes membres de l’EI et 35 enfants, dont 7 orphelins, inscrits sur la liste établie par le ministère des Affaires étrangères. Cette initiative représentait une rupture avec la politique française de rapatriement au cas par cas des enfants sans leur mère.
« On est toutes conscientes qu’on va aller en prison pour plusieurs années, mais on demande notre rapatriement. Je veux être jugée par la France et ne pas rester ici »
– Manon, ex-membre de l’EI vivant à Roj
Tôt ce matin-là, Manon, une Française de 28 ans détenue dans le camp depuis plus de trois ans, a accouru pour voir si elle et son fils pouvaient monter dans l’un de ces fourgons.
« Mais je n’étais pas sur cette fameuse liste », raconte-t-elle.
Manon a rejoint l’EI en 2014, mais affirme avoir tenté à plusieurs reprises d’échapper au groupe.
« On est toutes conscientes qu’on va aller en prison pour plusieurs années, mais on demande notre rapatriement. Je veux être jugée par la France et ne pas rester ici », confie-t-elle à MEE.
« Les conditions de vie sont impossibles pour nos enfants dans les tentes. Je parle sans cesse de la France à mon fils. Je lui décris la mer, les montagnes. Mon fils sait qu’il est français, il n’est pas syrien même s’il est né ici. »
Les autorités françaises n’ont pas expliqué comment les 16 femmes avaient été choisies. À leur arrivée en France, elles ont néanmoins toutes été mises en examen et incarcérées dans l’attente d’un procès, tandis que leurs enfants ont été placés dans des familles d’accueil.
Dans cette liste figurait la veuve d’un des assaillants islamistes qui ont participé à l’attaque du Bataclan à Paris en novembre 2015, tuant plusieurs dizaines de personnes. Elle a été mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, ont indiqué à l’AFP des sources proches du dossier.
Mercredi dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour son refus de rapatrier deux de ses citoyennes de Syrie, invitant le gouvernement Macron à réexaminer sa décision.
L’affaire a été portée devant les tribunaux par les parents de ces femmes, qui avaient suivi leur conjoint jusque dans des régions de Syrie et d’Irak alors contrôlées par l’EI.
« Ils ne sont pas revenus nous chercher »
Désespérées à l’idée de devoir rester dans le camp et traumatisées d’avoir assisté à la mort de leurs parents à Baghouz, deux sœurs adolescentes ont patienté près des fourgons qui emmenaient d’autres ressortissants français jusqu’à l’aéroport d’Erbil. Mais Inès et Zahra n’ont jamais été appelées par les représentants du ministère des Affaires étrangères.
Les deux jeunes filles ont été prises en charge par une membre de l’EI d’origine marocaine qu’elles accusent de les battre.
« Je veux rentrer en France ! Quand ils sont venus chercher les autres, les Français qui étaient là, ils m’ont dit : “On va revenir dans quelques jours.” Mais ils ne sont pas revenus. J’ai pleuré pendant deux jours après leur départ »
– Inès, 14 ans
« Je veux rentrer en France ! Quand ils sont venus chercher les autres, les Français qui étaient là, ils m’ont dit : “On va revenir dans quelques jours.” Mais ils ne sont pas revenus », raconte Inès. « J’ai pleuré pendant deux jours après leur départ. »
L’adolescente peine à comprendre pourquoi les représentants français lui ont menti en lui promettant de revenir rapidement.
Inès, qui a le bras droit paralysé à cause d’une balle qui lui a transpercé le dos, au niveau de la clavicule, n’a plus la force d’être en colère. Assise au fond de la tente, sa sœur aînée Zahra ne dit pas un mot. Elle ne bouge pas et regarde dans le vide, la tête posée sur ses mains.
Zahra a été traumatisée par les derniers jours du siège de Baghouz, particulièrement violents. Abandonnée dans ce camp d’internement, sans aucun soutien psychologique, elle demeure prisonnière du souvenir de ces derniers moments.
« Moi je me dis [que] c’est mort. Personne ne va venir pour nous ramener en France », déplore sa sœur, les larmes aux yeux. « Ils vont [nous] laisser là. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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