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Athena : comme pour BAC Nord, la crise des banlieues françaises déborde sur le cinéma

Puissant mais irresponsable : voilà ce que reprochent spectateurs, critiques et politiques au dernier film de Romain Gavras, qui rappelle que « ce ne sont pas les films qui jettent de l’huile sur le feu »
Les comédiens Dali Benssalah et Sami Slimane jouent deux frères détruits pas la mort de leur cadet (Netflix)
Les comédiens Dali Benssalah et Sami Slimane jouent deux frères détruits pas la mort de leur cadet (Netflix)
Par MEE

« Je ne suis pas sûr que les films aient le pouvoir d’arrêter la colère. On ne sait jamais si les films ont un impact sur les gens », avait confié Romain Gavras, en compétition au festival de Venise, début septembre, en commentant son dernier film, Athena, qui imagine l’insurrection d’une cité dans une France en proie à une guerre civile attisée par les provocations de l’extrême droite.

L’impact de sa dystopie diffusée sur Netflix, depuis le 23 septembre, sur les spectateurs, critiques de cinéma et politiques est en tout cas avéré : si la réalisation est saluée de manière quasi unanime, la représentation de la cité et des personnages soulève de nombreuses objections.

« Dire qu’Athena est une prouesse relève de l’euphémisme. C’est un film comme on en voit peu dans une vie de spectateur, qui ne s’interdit rien et prend tous les sujets qu’il aborde à bras le corps », souligne le magazine GQ.

« Non seulement Athena est un superbe film de cinéma, d’une puissance inouïe, mais il réussit aussi son pari de représenter la cité, espace enclin à tous les stéréotypes et fantasmes mortifères du cinéma français, sous un œil nouveau et propre à la fiction. »

Le quotidien gratuit 20 minutes, tout aussi enthousiaste, parle d’un « film puissant dont l’engrenage diabolique offre un spectacle aussi prenant que déchirant. Du grand cinéma, tout simplement. »

Traduction : « Le plus grand compliment que vous puissiez faire à Athena de Romain Gavras est qu’il s’agit d’une version longue de son clip No Church in the Wild [Kanye West et Jay Z featuring Frank Ocean]. Un portrait furieux de l’instabilité, avec certains des plans séquences les plus époustouflants que vous êtes susceptible de voir. »

La revue de cinéma Écran large défend aussi ces « contre-plongées sur des bâtiments qui paraissent démesurément grands, profondeur de champ constamment sculptée par des figurants et/ou des feux d’artifice : la scénographie et la photographie d’Athena impressionnent par leur richesse, leur précision et leur ampleur. Un caractère quasi mythologique est donné à ces décors, et tout ceci est complètement assumé à travers une grammaire visuelle guerrière et une bande originale opératique », salue la critique.

« À cette amplitude du cadre et du son se conjugue un mouvement quasi ininterrompu de la caméra. Pendant plus d’une heure et demie, il y a une suite de vrais-faux plans-séquences plus ou moins longs qui donnent une sensation de temps réel asphyxiante, brillamment augmentée par un environnement sonore agressif et une composition visuelle constamment agitée et chaotique. Athena n’est pas qu’un exercice de style : c’est une vraie expérience sensorielle et immersive […]. »

« Un propos rance »

Mais sur le fond, les critiques sont autrement plus virulentes, Romain Gavras ayant même réussi à se mettre à dos des médias les plus à gauche jusqu’aux politiques d’extrême droite.

« Sans recul politique sur l’imaginaire qu’il convoque, Athena sacrifie tout à l’esthétique […]. Si certains fantasment une guerre civile, Romain Gavras leur en fournit, à son corps défendant, les images », dénonce le quotidien L’Humanité.

« Déluge de violence stylisée, personnages inexistants… Romain Gavras assomme le spectateur avec une désinvolture politique qui force l’irrespect », renchérit Libération, pendant que Les Cahiers du cinéma déplorent « des séquences ultratechniques au fil desquelles s’élabore un propos rance, à la fois sur les banlieues françaises et sur ce que le cinéma vient y faire ».

Marianne va encore plus loin en parlant d’« inconséquence idéologique ». « On se demande si le carcan technique, au-delà de sa vanité esthétique, n’est pas aussi là pour maîtriser la situation, en l’occurrence le déchaînement de trois personnages principaux […] dont les motivations et les discours sont d’un simplisme affligeant », accuse le magazine en trouvant dans Athena « une banlieue fantasmée par un bourgeois ».

« Romain Gavras a besoin d’un méchant, mais ne veut pas faire endosser ce rôle à la police. Résultat : tout est la faute de l’extrême droite. »

Et de conclure : « Ce qu’Athéna documente finalement dans sa bêtise formelle, c’est un fantasme profondément réactionnaire, celui de l’‘’ensauvagement’’ brandi régulièrement par la droite et l’extrême droite ».

Une vision du monde « complexe »

La polémique n’est pas sans rappeler celle qui a accompagné la sortie du film BAC Nord, présenté à Cannes juste avant la présidentielle française en 2021.

Son réalisateur Cédric Jimenez avait alors été accusé d’inciter « à voter pour l’extrême droite » en montrant des policiers impuissants devant la violence d’une banlieue nord de Marseille.

Romain Gavras, lui, se défend fermement d’avoir voulu donner des leçons. « Si le message avait été trop simple, je me serais contenté d’un hashtag plutôt que de réaliser un film », a expliqué le cinéaste à 20 minutes, en expliquant se nourrir de l’actualité française des dernières années, de la répression des manifestations des Gilets jaunes à la montée de l’extrême droite.

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« Je cherche à agripper le spectateur pour lui faire vivre des sensations et des émotions dont j’estime qu’elles ne donnent pas envie de prendre les armes. »

Mais la polémique, Romain Gavras connaît. En 2009, il avait essuyé de violentes réactions à la diffusion du clip ultraviolent Stress, qu’il avait réalisé pour le groupe de musique électronique Justice, montrant de jeunes casseurs de banlieue déterminés à tout détruire sur leur passage.

À 41 ans, Romain Gavras, qui a cofondé il y a deux décennies le collectif de cinéastes Kourtrajmé, reconnaît partager avec son père Costa-Gavras, 89 ans, « une façon de regarder le monde de manière pas manichéenne, où tout est un peu plus complexe que les gentils et les méchants, qu’il faut essayer de comprendre et de mettre en forme » à l’écran.

« Les réactions des gens ne font pas forcément messe », évacue l’artiste, qui estime que « ce ne sont pas les films qui jettent de l’huile sur le feu ».

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