Qui sont les djinns, ces êtres surnaturels de la tradition arabe et islamique ?
Selon la doctrine islamique, l’histoire de l’humanité commence par un acte de rébellion d’un djinn lorsque le diable, plus tard connu sous le nom d’Iblis, refuse de se prosterner devant l’image d’Adam.
En guise de punition, le diable est expulsé des cieux et lance ainsi sa guerre contre Dieu et l’homme. Plus tard, il trompera Adam et Ève dans le jardin d’Éden, initiant leur chute du paradis.
Faits d’un feu sans fumée, Iblis et les djinns comme lui sont néanmoins similaires à l’homme sur le plan spirituel en ce qu’ils sont capables d’un jugement moral indépendant et de liberté d’action.
Tous les djinns ne sont pas considérés comme des démons et, dans la tradition islamique, beaucoup ont servi d’amis et d’aides à l’humanité, bien que l’interaction entre les deux soit découragée.
Dans l’imaginaire musulman, les djinns occupent un monde d’ombre, partagé avec les humains mais aussi transcendant le temps et l’espace physique.
Ils peuvent voir et entendre ce que font les humains, et certains ont la capacité d’influencer l’action humaine, en incitant discrètement les hommes et les femmes à faire des choix qui ne sont peut-être pas dans leur intérêt.
Ceux qui accompagnent continuellement les humains sont connus sous le nom de qarin, un des types de djinns qui vivraient parmi nous.
Le mot « djinn » vient de la racine trilatérale arabe « ja-na-na », qui signifie cacher ou dissimuler, une description appropriée pour des créatures que l’œil humain ne peut percevoir et qui existent dans un monde parallèle, connu sous le nom d’al-Ghayb (l’invisible).
Amira el-Zein, auteure de Islam, Arabs, and the Intelligent World of the Jinn, suggère que ces êtres étaient vénérés par les Arabes préislamiques, lesquels les associaient à des éléments de la nature.
Certains chercheurs et amateurs ont également suggéré que les djinns étaient issus de la mythologie mésopotamienne, où des entités ressemblant à des djinns étaient vénérées tels des dieux.
Les premiers habitants de la terre
D’après certaines traditions arabes, les djinns seraient les premiers habitants de la terre et auraient jadis régné sur la planète après avoir combattu d’autres formes de vie connues sous le nom de hinns, faits de vent, et de binns, faits d’eau.
Zakariya al-Qazwini, cosmographe persan du XIesiècle, fait remonter l’origine des djinns au début de la création de la vie par Dieu, avant l’humanité.
Qazwini était tellement fasciné par le surnaturel qu’il écrivit un livre illustré de dessins de créatures mythiques fascinantes et sans nom.
Intitulé Ajaib al-Makhluqat wa Gharaib al-Mawjudat (Les Merveilles des choses créées et les curiosités des choses existantes), l’essai, écrit en arabe, fut traduit en persan et en turc.
Dans sa description du règne animal, il consacre un chapitre à des créatures telles que les monstres, les démons et les djinns, où ces derniers sont décrits comme imperceptibles et capables de se métamorphoser.
Vénérés par certaines sociétés préislamiques, qui peut-être adorèrent également les djinns en tant que divinités, ces êtres invisibles sont mentionnés tout au long du Coran, où ils sont décrits comme étant constitués d’une flamme sans fumée.
Un chapitre entier, la sourate Al-Jinn, leur est même consacré, et tout au long du livre saint des musulmans, il est rappelé aux lecteurs que le salut est offert à la fois aux djinns et à l’humanité.
Selon une tradition mythologique, la terre était autrefois un foyer de chaos causé par les hinns et les binns, qui étaient peut-être d’anciennes tribus dotées de pouvoirs surnaturels.
Les hinns sont mentionnés dans la tradition arabe préislamique et leur existence est acceptée par les musulmans alaouites et la communauté druze.
Les druzes croient également aux binns, dont on disait autrefois qu’ils vivaient dans l’actuel Yémen.
Ils font également référence aux rimms et aux timms qui, avec les hinns et les binns, seraient selon certains les mêmes créatures que celles décrites dans le Livre de la Genèse, le premier livre de la Bible, sous le nom de nephilim, des géants mystérieux qui auraient existé à une époque antérieure à l’humanité.
Anges, humains et djinns
Selon certaines croyances adoptées par les musulmans, après avoir vaincu les hinns et les binns, les djinns seraient devenus les maîtres de la terre. Mais au lieu que triomphe la paix, la destruction s’ensuivit, jusqu’à ce que des anges faits de pure lumière soient envoyés sur terre pour combattre les mauvais djinns et mettre fin à leur carnage.
Une histoire similaire est racontée dans le Livre d’Hénoch, qui décrit une bataille entre des anges et des démons, et peut avoir été l’inspiration de descriptions de djinns réalisées ultérieurement par des érudits musulmans comme al-Qazwini et Ibn Kathir.
Lorsque les anges gagnèrent le combat, les mauvais djinns furent repoussés dans des lieux reculés de la planète, tels que des îles, des grottes et des forêts. Ils figurent ensuite dans des contes arabes en tant qu’esprits frappeurs tourmentant les voyageurs de passage dans des régions abandonnées.
On dit que d’autres ont construit leurs foyers dans les ruines de civilisations telles que Madain Saleh, située dans l’actuelle Arabie saoudite – un endroit que le prophète Mohammed aurait traversé rapidement pour éviter les djinns –, et Iram, dans l’Oman moderne.
Là où les djinns sont supposés vivre, les musulmans sont encouragés à réciter certaines prières de protection, au cas où ces créatures seraient agacées par la présence humaine dans leurs foyers invisibles.
Certains djinns auraient été capturés et ramenés au ciel en tant que prisonniers, où des anges se seraient chargés de leur éducation. C’est là qu’un djinn – parfois sans nom, parfois connu sous le nom d’Azazel –, mû par sa fierté, refusa les ordres de Dieu lui intimant de s’incliner devant Adam.
Connu depuis sous le nom d’Iblis ou Satan, il serait le chef des djinns démoniaques, dont on dit qu’ils causent des fitna (désordres, troubles) et conduisent les gens à l’autodestruction.
Selon l’imam Muslim, un érudit islamique persan du IXe siècle, Iblis avait cinq fils, dont l’identité de la mère reste floue.
Chacun d’eux est passé maître dans l’art de créer des troubles spécifiques. Tir (ou Thaber) provoque des blessures physiques, Sout (ou Misout) colporte des mensonges, Zalanbour encourage les transactions commerciales malhonnêtes, Aawar encourage l’adultère et la séduction, et Dasim joue le rôle le plus important, instillant la haine entre époux.
Les djinns s’insinuent dans les foyers afin d’y causer des problèmes, cherchant à briser la structure familiale, ce qui représente la plus grande victoire d’Iblis.
S’ils sont généralement considérés comme des esprits malveillants, dans la tradition islamique, il existe également de bons djinns qui vivent paisiblement parmi les humains dans une dimension parallèle invisible. Comme ces derniers, ils ont des structures familiales, des royaumes et peuvent être adeptes de n’importe quelle foi ou d’aucune.
Ceux qui croient aux djinns attribuent parfois à ces êtres le mérite d’avoir aidé à construire certains des plus grands édifices de l’Antiquité, tels que les pyramides d’Égypte et le temple de Salomon.
Selon le Coran, le roi Salomon, connu sous le nom de prophète Souleyman dans le monde musulman, avait le pouvoir de contrôler les djinns. Après qu’on l’eut avisé de les occuper afin qu’ils n’aient pas le temps de causer le chaos sur terre, c’est leur force et leur capacité à travailler dur qu’il aurait déployées lors de la construction de son temple.
Possession et exorcisme
Les djinns ont joué un rôle important dans le folklore bédouin. La poésie, une tradition ancienne particulièrement prisée dans l’Arabie préislamique, est souvent attribuée au fait d’être possédé par un djinn.
D’autres continuent de blâmer le monde invisible pour des maladies comme l’épilepsie ou les troubles bipolaires, mais ils gardent le secret à leur sujet en raison de la stigmatisation sociale associée au fait d’être possédé par un djinn, préférant chercher l’aide de figures religieuses pour aider à les exorciser.
Les soufis et les mystiques, notamment, sont sollicités pour exorciser les mauvais djinns, à l’aide d’une musique obsédante et extatique appelée nawa (ou gnaoua). La thérapie par ventouses est aussi utilisée par certains pour éliminer les djinns, parfois qualifiés de mauvaise énergie.
Aujourd’hui, en raison de la propagation du rationalisme scientifique, la croyance dans les djinns parmi les musulmans est soit de plus en plus justifiée comme une allégorie de phénomènes naturels, soit mentalement mise de côté comme l’un des mystères insondables de Dieu.
Certains disent que les djinns ne peuvent pas posséder physiquement les êtres humains, que le pire qu’ils puissent faire est semer des idées dans leur esprit, laissant à chacun la liberté de les accepter ou non.
Leur existence et leur forme restent sujettes à interprétation, certains musulmans affirmant qu’elles sont purement métaphoriques tandis que d’autres estiment que refuser la croyance dans les djinns équivaut à remettre en cause la foi islamique d’une personne.
Cette croyance reste néanmoins répandue même parmi les non-croyants, et certaines traditions associées aux djinns sont transmises de génération en génération, notamment le fait de raconter des histoires de djinns lors de soirées pyjama et de réunions familiales ou des rituels tels que le port d’amulettes et le recours aux prières.
Traduit de l’anglais (original).
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