Qu’est-ce qui empêche la relance de l’accord sur le nucléaire iranien ?
Un manque de consensus ou l’absence d’une figure suffisamment « courageuse » pour surmonter l’opposition interne seraient les principales raisons qui entravent les efforts de Téhéran pour relancer l’accord sur le nucléaire de 2015, selon des sources en Iran interrogées par Middle East Eye.
L’Iran et le groupe des P5+1 – États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine et Allemagne – ont conclu un accord en 2015 pour imposer des limites au programme nucléaire de Téhéran en échange d’une levée des sanctions.
En 2018, malgré le respect des termes de l’accord par Téhéran, l’ancien président américain Donald Trump en est sorti et a réinstauré de lourdes sanctions contre l’Iran.
Depuis son entrée en fonction, le président Joe Biden cherche à faire revenir les États-Unis dans l’accord, officiellement appelé « Plan d’action conjoint ». Mais les deux parties ne sont, jusqu’à présent, pas parvenues à le relancer malgré des mois de pourparlers à Vienne.
Selon un ancien diplomate iranien interrogé par MEE, l’actualité nationale et internationale, notamment l’invasion de l’Ukraine par la Russie, proche alliée de l’Iran, semble également avoir contribué à compromettre les chances d’un retour à l’accord.
« Actuellement, les États-Unis sont toujours disposés à signer l’accord, mais nous n’avons pas beaucoup de temps », explique-t-il.
« Personnellement, je n’ai aucun espoir, l’Europe en colère et les États-Unis semblent attendre un tournant dans la guerre en Ukraine pour faire monter la pression et […] ramener toutes les résolutions dangereuses du Conseil de sécurité de l’ONU contre l’Iran. »
Ce mois de février, la publication d’une dépêche de l’agence de presse Bloomberg indiquant, sur la base de deux sources diplomatiques, que des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avaient décelé des niveaux d’enrichissement à 84 %, soit juste en deçà des 90 % nécessaires pour produire une bombe atomique, a suscité de nouvelles inquiétudes.
☢️ Selon deux diplomates s'étant exprimés à @business, l'AIEA aurait détecté des traces d'uranium enrichi à 84% en #Iran, soit un enrichissement très proche de la "qualité militaire" (90%) permettant de fabriquer une arme nucléaire. Petit 🧵 du soir [1/8]https://t.co/gf7WFzoDM5
— Héloïse Fayet (@HFayet) February 19, 2023
Ces informations ont été démenties par l’Iran et des inspecteurs de l’AIEA sont arrivés mercredi 22 février à Téhéran.
« Les ambiguïtés créées par l’opinion d’un inspecteur sont résolues ou en voie de l’être », a déclaré le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, Mohammad Eslami, en assurant de la volonté continue de l’Iran « d’échanger et de se coordonner » avec l’agence spécialisée des Nations unies.
« Aucun avantage économique »
L’élection d’Ebrahim Raïssi, un ancien opposant conservateur à l’accord, à la présidence de l’Iran en 2021, a d’abord semblé anéantir les espoirs d’assister à une résurrection du Plan d’action conjoint avec le départ de Trump.
Toutefois, dès son entrée en fonction, Ebrahim Raïssi a manifesté une volonté de revenir à l’accord et des pourparlers ont été engagés. Cependant, aucune avancée n’a été enregistrée jusqu’à présent.
Une source fiable ayant participé par le passé aux pourparlers explique à MEE que du côté iranien, l’accord est devenu une victime de l’opposition, de l’absence de consensus, des luttes politiques intestines et d’un manque de courage.
« Au sein du Conseil suprême de sécurité nationale, il n’y a pas d’accord sur la version actuelle de l’accord », indique la source sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
« Par exemple, Saïd Jalili, ancien négociateur sur le nucléaire et actuel représentant au conseil du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, ainsi que Mohammad Baqeri, le chef d’état-major des Forces armées iraniennes, figurent parmi les opposants à la version actuelle de l’accord. »
La source précise que le secrétaire du Conseil de sécurité nationale Ali Shamkhani a adopté « une position stricte et ne veut pas être étiqueté comme un opposant ou un défenseur de l’accord, tout comme il n’est pas prêt à soutenir l’accord à n’importe quel prix ».
En parallèle, selon la même source, le négociateur en chef Ali Bagheri, qui était un ennemi farouche de l’accord à il y a encore deux ans, est devenu un partisan à part entière du Plan d’action conjoint et d’un accord visant à le relancer.
Toutefois, précise-t-il, « si [Ali] Bagheri souhaite et a la volonté de sceller l’accord plus que quiconque dans le pays, il n’a pas le courage de progresser, de se sacrifier et d’assumer la responsabilité de signer un accord qui a de nombreux opposants, notamment le président du Parlement Mohammad Bagher Ghalibaf, qui estime que l’accord ne présente aucun avantage économique. »
« Même le guide [suprême] n’a apparemment pas l’intention d’être reconnu comme responsable de l’accord »
- Une source proche des conservateurs
La volte-face d’Ali Bagheri lui a coûté cher, dans la mesure où les désaccords et l’hostilité de son ancien patron et ami Saïd Jalili se sont intensifiés, ce qui a eu des conséquences : alors que Bagheri a écarté un homme de Jalili de l’équipe de négociateurs, l’équipe de Jalili a divulgué une ébauche de l’accord en février 2022.
S’adressant à MEE sous couvert d’anonymat, une source proche des conservateurs évoque également la volte-face d’Ali Bagheri, qui est passé du statut d’opposant à l’accord à celui de partisan.
« Même le guide [suprême] n’a apparemment pas l’intention d’être reconnu comme responsable de l’accord, car il a donné au président Ebrahim Raïssi les pleins pouvoirs dans les pourparlers sur le nucléaire. Cependant, Raïssi n’a pas le courage de défier tous ses opposants et de dire à Bagheri de conclure l’accord », souligne-t-il.
Rohani et Zarif, « paratonnerres »
Cette source précise qu’en septembre, lorsqu’un projet final était sur la table, Ali Bagheri était prêt à emmener le ministre des affaires étrangères Amir Abdollahian à Vienne et à proclamer la relance du Plan d’action conjoint, mais que l’ancien négociateur Saïd Jalili a posé de nouvelles conditions et persuadé les principaux décideurs de les ajouter au projet, qui a ensuite été rejeté en bloc par le gouvernement américain.
Entre 2013 et 2015, lorsque l’ancien président modéré Hassan Rohani et son ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif étaient en charge des négociations avec les États-Unis, ils étaient constamment sous la pression des opposants à l’accord et de puissantes figures principalistes.
Même Ali Shamkhani, qui avait été nommé par Hassan Rohani, n’était pas disposé à les soutenir, souligne un ancien responsable au sein de l’administration Rohani.
« Pourtant, Rohani et Zarif ont finalement progressé et signé l’accord tout en sachant qu’ils seraient sous le feu des critiques, étant donné que des figures influentes de la ligne dure étaient opposées à l’accord », poursuit le responsable.
« C’est pourquoi certaines figures ont affirmé à l’époque que Rohani et Zarif s’étaient sacrifiés pour le pays en décidant de servir de paratonnerres afin de rendre l’accord possible. »
« Rohani et Zarif ont pu agir grâce au soutien total du peuple et au grand capital social dont ils jouissaient. Mais aujourd’hui, ce sont les défenseurs de la ligne dure, tous opposés à l’accord en 2015, qui négocient sa relance, raison pour laquelle ils n’osent pas signer l’accord, dans la mesure où ils craignent également leurs partisans. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.
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