En Cisjordanie, un réparateur de tourne-disques fait vibrer la casbah de Naplouse
Dans un minuscule atelier du vieux Naplouse, le dernier réparateur de tourne-disques de cette grande ville palestinienne fait résonner des chansons arabes classiques jusque dans les ruelles environnantes.
« À la fin de la journée, les anciens viennent au magasin, ils ont la soixantaine, et quand j’allume le tourne-disque, ils se mettent à pleurer », raconte à l’AFP Jamal Hemmou, 58 ans.
La musique numérique a éclipsé les disques à Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée, comme ailleurs dans le monde, au grand dam de Jamal Hemmou.
Celui-ci a commencé à réparer des tourne-disques, en autodidacte, lorsqu’il avait 17 ans, en écoutant les grandes voix arabes de l’époque, explique-t-il, assis devant son modeste atelier. On y trouve des tourne-disques des années 1960 et 1970 et même plusieurs gramophones des années 1940.
Il estime vendre cinq machines par mois, à des tarifs qui varient. Mais son magasin est parfois contraint de fermer.
« C’est ma façon de résister »
Israël impose un blocus au gouvernorat de Naplouse, l’un des plus grands de Cisjordanie, dans un contexte de répression par l’armée d’une résurgence de la résistance armée dans la région.
La rue de Jamal Hemmou a été le théâtre de vifs combats, les forces israéliennes ayant mené des raids contre un groupe de combattants, la Tanière du lion, basé dans la vieille ville.
« Lorsqu’on passe un disque, ça nous renvoie 50 ans en arrière »
- Jamal Hemmoun réparateur de tourne-disques
« Dès que quelqu’un se fait tuer lors d’un raid israélien, surtout dans la Vieille Ville, on ferme boutique », explique Jamal Hemmou, qui se réjouit « d’être toujours en vie ».
Des photos de combattants tués ornent les volets de sa boutique. Lui se mobilise en jouant des chansons patriotiques. « C’est ma façon de résister » contre l’occupation israélienne, dit-il.
Sa passion pour la musique lui vient de sa famille, dans laquelle « presque tout le monde est musicien » et en particulier de son père, qui « chantait car il aimait les vieux chanteurs ».
Avec ce père, il partage une passion pour Shadia, une diva égyptienne qui a enchaîné les tubes entre les années 1940 et 1980.
« Elle chantait avec le cœur, elle chantait avec émotion, elle racontait une histoire », dit celui qui cite également l’immense star libanaise Fairouz et l’Égyptien Abdel Halim Hafez, pendant masculin d’Oum Kalthoum, dans son panthéon musical.
Pour Jamal Hemmou, les disques ne font pas que diffuser des morceaux, ils sont une partie essentielle du patrimoine palestinien et arabe.
« Les chanteurs modernes ne savent pas ce qu’ils chantent. En revanche, les anciens, eux, savent extraire ce qui est profondément ancré en nous et font revivre notre patrimoine », estime-t-il.
« Lorsqu’on passe un disque, ça nous renvoie 50 ans en arrière », s’émerveille-t-il.
L’homme aux cheveux et à la moustache poivre et sel dit avoir essayé de faire travailler ses deux fils, âgés de 27 et 26 ans, dans la boutique et de leur faire découvrir la musique arabe et palestinienne, sans succès.
« Ils ne sont pas intéressés. Ils me disent de l’éteindre, ils ne veulent pas écouter », regrette-t-il.
Mais celui qui est connu à Naplouse sous le nom d’Abou Shaadi jouit d’une notoriété ailleurs.
« Mes clients viennent de toute la Cisjordanie, de Jérusalem, de Nazareth, de Bethléem, de Jénine, de Qalqiliya ». « Ils viennent de toute la Palestine pour acheter chez moi », se réjouit-il.
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