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Iran : qui empoisonne des centaines d’écolières ?

La peur et la colère grondent en Iran alors que des groupes ultra-conservateurs et d’opposition sont pointés du doigt
Des parents manifestent devant le bureau du gouverneur à Qom en raison des empoisonnements à l’école (IRNA)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran

Des centaines d’écolières en Iran ont été hospitalisées ces dernières semaines, après avoir été empoisonnées par ce que les autorités qualifient d’attaque au gaz « délibérée ».

Bien qu’on signale des incidents à travers tout le pays, la majorité des cas se concentrent autour de la ville sainte de Qom.

Selon BBC Persian, environ 800 élèves de Qom ont été empoisonnées jusqu’à présent et un certain nombre de cas ont également été recensés dans la capitale Téhéran.

Selon le Center for Human Rights in Iran, au moins une écolière serait morte des suites d’un empoisonnement, bien que le père de la jeune fille, qui travaille pour un puissant religieux, et des responsables de l’État aient refusé de confirmer le lien.

Younes Panahi, vice-ministre de la Santé, a déclaré à la presse que ces empoisonnements étaient vraisemblablement délibérés – bien qu’il ait plus tard affirmé que ses propos avaient été déformés. Mohammad Jafar Montazeri, procureur général, les a lui aussi qualifiés de « probablement délibérés ».

Un médecin qui a soigné certaines élèves empoisonnées raconte à Middle East Eye que les victimes avaient « senti quelque chose qui ressemblait à une odeur d’eaux usées et de sel, et avaient eu des vertiges, des nausées et des difficultés à respirer ».

Celui-ci ajoute que plusieurs élèves qu’il a traitées avaient « vu quelque chose de suspect jeté dans l’école ».

« Sur 550 élèves, seules quatre sont venues à l’école. Les élèves sont elles aussi terrifiées »

- Une enseignante 

Pourtant jusqu’à présent, personne n’a su identifier les éventuels responsables, certains suggèrent une tentative des ultra-conservateurs de perturber l’éducation des filles et d’autres pointent les groupes d’opposition au gouvernement.

MEE a parlé avec une enseignante de l’une des écoles affectées par les empoisonnements. L’enseignante, qui a requis l’anonymat, précise que deux de ses collègues ont également été hospitalisées.

« Le poison a comme une odeur de pourriture, mais ce n’est pas du gaz – cela ressemble à l’odeur du gaz et, en même temps, c’est comme une odeur pesante et âcre », explique-t-elle.

« Les élèves ont eu des quintes de toux et des difficultés à respirer et certaines ont été hospitalisées. »

Le ministère iranien de la Santé s’est empressé de souligner que les effets du poison étaient modérés, causant principalement des « faiblesses musculaires, de la léthargie et des nausées pendant quelques heures ».

Toutefois, ces incidents répétés inquiètent profondément les parents, qui hésitent à envoyer leurs enfants à l’école. Le manque d’informations à propos de la nature du poison – et des coupables – ne fait que renforcer leurs craintes.

« Sur 550 élèves, seules quatre sont venues à l’école. Les élèves sont elles aussi terrifiées », indique l’enseignante.

« Les effets du poison sont tels que certaines élèves n’ont pas pu marcher pendant quelques jours. »

Attaque « extrémiste » ?

Un certain nombre de théories se sont diffusées quant aux probables mobiles derrière l’empoisonnement des écolières. Selon une théorie populaire, des organisations fondamentalistes religieuses pourraient tenter d’entraver l’éducation des femmes et des filles.

Un religieux conservateur vivant à Qom, s’exprimant sous couvert d’anonymat, pense que cela pourrait être l’œuvre d’« extrémistes » s’inspirant des talibans dans l’Afghanistan voisin.

« Ces extrémistes sont peu nombreux et on les trouve principalement à Machhad, Shiraz, Qom et Ispahan, mais ils ne sont vraiment qu’une petite minorité. »

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Il fait observer que, d’après ces organisations, l’éducation des filles répand la « corruption » et sape les valeurs familiales et islamiques.

« La perception de la religion de ces gens est réactionnaire, ridicule et peu judicieuse », ajoute-t-il.

D’autres personnalités religieuses et politiques adhèrent à cette théorie.

Le religieux Mohammad Ali Abtahi, personnalité majeure du gouvernement réformateur de Mohammad Khatami, compare les auteurs présumés au groupe militant africain Boko Haram.

« Les extrémismes, en particulier religieux, constituent le plus grand des dangers pour toutes les sociétés », a-t-il mis en garde, tout en appelant l’appareil de sécurité à identifier et arrêter les extrémistes.

Masoumeh Ebtekar, ancienne vice-présidente chargée des Femmes et des Affaires familiales, a quant à elle tweeté que la police et la justice devaient agir « immédiatement » et a fait un rapprochement entre les derniers événements et une série d’attaques à l’acide dans la ville d’Ispahan en 2014, lesquelles auraient visé des femmes qui ne portaient pas « correctement » le hijab.

Appels à lutter contre le terrorisme

Certains appellent le gouvernement à traiter ces empoisonnements comme du terrorisme et à lancer des enquêtes antiterroristes.

Selon l’agence de presse semi-officielle Fars, les services de sécurité ont arrêté mardi trois suspects en lien avec ces empoisonnements.

Fars indique que des informations « non confirmées » relient les empoisonnements à l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (MeK), groupe d’opposition qui souhaite renverser la République islamique.

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Bien que le MeK – qui a initialement soutenu la révolution islamique de 1979, avant de se brouiller avec le gouvernement – ait mené de nombreuses attaques meurtrières à la bombe dans le pays dans les années 1980, ces dernières décennies, ses membres se sont principalement concentrés sur le lobbying auprès des gouvernements étrangers et sur des campagnes à l’international contre la République islamique.

Mercredi, l’agence de presse semi-officielle Tasnim a annoncé qu’une autre attaque au gaz avait eu lieu à Ardabil, ville du nord du pays, laquelle a engendré l’hospitalisation de 108 élèves. L’agence de presse a également signalé d’autres empoisonnements dans trois écoles de Téhéran.

L’ambiguïté autour des attaques et le manque d’information de la part du gouvernement ont alimenté la colère à travers le pays.

Des parents ont manifesté devant le siège du gouvernorat à Qom, réclamant qu’il en soit fait davantage pour protéger leurs enfants. 

Ces empoisonnements surviennent après des mois de manifestations de masse contre le traitement des femmes dans le pays, à la suite du décès de Mahsa Amini, jeune Kurde morte en garde à vue après son arrestation pour « port inapproprié du hijab ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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