Israël : Netanyahou va-t-il déclencher une guerre pour sauver sa peau ?
L’une des tactiques favorites des Premiers ministres israéliens en difficulté consiste à provoquer une confrontation, ou du moins à réagir de manière disproportionnée pour qu’une telle confrontation se produise, puis à envoyer l’armée.
Les guerres se voient attribuer le pouvoir d’unir les Israéliens derrière un gouvernement défaillant et de réduire l’opposition au silence, tout en ouvrant à la voie au soutien inconditionnel des juifs de l’étranger et à la sympathie systématique des États occidentaux.
Gaza a servi cet objectif à plusieurs reprises au cours des quinze dernières années. En 2006, Ehud Olmert a notoirement choisi le Liban, une arène beaucoup plus périlleuse sur le plan militaire, pour tenter de faire ses preuves et de rallier la population israélienne à son faible gouvernement. Cela ne lui a pas réussi.
Benyamin Netanyahou est un dirigeant israélien bien plus profondément plongé dans les ennuis – tant personnels que politiques – que ses prédécesseurs.
Il est au cœur d’un procès pour corruption qui ne va pas dans son sens. Il a désespérément besoin de se maintenir au pouvoir et de faire passer des lois pour affaiblir les tribunaux s’il ne veut pas risquer de finir derrière les barreaux.
Mais sa « réforme judiciaire », qui vise à offrir à ses alliés extrémistes religieux le contrôle effectif des tribunaux, a donné lieu à des manifestations sans précédent dans tout le pays. La cote de popularité de Netanyahou s’est effondrée. S’il y avait une élection aujourd’hui, il la perdrait très certainement.
En parallèle, il est confronté à une quasi-mutinerie sans précédent parmi les élites militaires, dont des pilotes et des réservistes expérimentés, qui s’opposent à son ingérence dans le système judiciaire – en partie par intérêt personnel : la prétendue « surveillance » de leurs crimes de guerre par la Cour suprême israélienne forme le principal obstacle à leur comparution devant la Cour pénale internationale.
Des ministres pyromanes
Cependant, la rébellion que Netanyahou a suscitée dans ses rangs est également de plus en plus jugée néfaste pour la précieuse dissuasion exercée par Israël dans une région « hostile ».
Comme si cela ne suffisait pas, Netanyahou doit sans cesse se plier aux exigences des colons religieux fascistes qui constituent ses partenaires de coalition, faute de quoi son gouvernement tombera presque à coup sûr.
Néanmoins, les ministres d’extrême droite aux commandes de la police et de l’administration militaire qui dicte la vie des Palestiniens ne sont guère plus que des pyromanes déterminés à embraser les territoires occupés.
Le lobby devait déjà s’évertuer à discréditer la communauté internationale des droits de l’homme pour avoir convenu qu’Israël coche les cases d’un État d’apartheid. Aujourd’hui, il rechigne à défendre les efforts déployés par Netanyahou pour transformer Israël en une dictature théocratique
Cela offrirait aux colons et à l’armée un prétexte pour accélérer le processus visant à expulser les Palestiniens de leurs terres et à les regrouper dans une poignée de ghettos urbains.
Par conséquent et pour la première fois, le vigoureux lobby pro-israélien, en particulier aux États-Unis, trouve des raisons de douter de la légitimité d’un gouvernement israélien.
Les apologistes d’Israël ont subi un double coup dur en voyant Netanyahou inviter des partis fascistes ouvertement religieux dans sa coalition, puis chercher à leur donner les commandes des tribunaux.
Le lobby devait déjà s’évertuer à discréditer la communauté internationale des droits de l’homme pour avoir convenu qu’Israël coche les cases d’un État d’apartheid. Aujourd’hui, il rechigne à défendre les efforts déployés par Netanyahou pour transformer Israël en une dictature théocratique.
Et derrière tout cela, l’administration Biden n’apprécie guère de constater que Netanyahou rend Israël si manifestement antidémocratique que les sermons de Washington sur les « valeurs partagées » et les « liens éternels » sonnent plus que creux.
Des feux déjà allumés
Tous ces problèmes avec lesquels il doit jongler mettent à l’épreuve l’ingéniosité de Netanyahou, lui qui est pourtant le Premier ministre israélien au plus long règne et un homme politique auquel on attribue généralement un talent quasi-mythique pour s’accrocher au pouvoir.
Dans ces circonstances, la perspective d’une guerre dans les prochaines semaines peut sembler attrayante et ce danger n’a pas échappé aux commentateurs israéliens. Le gouvernement de Netanyahou a déjà allumé des feux sur les fronts palestinien, libanais et syrien.
L’étincelle s’est produite début avril, lorsqu’Israël a envoyé à deux reprises ses forces de police à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem occupée, dans le but de frapper et d’humilier des fidèles pacifiques pendant le mois de jeûne du Ramadan. La profanation par un État juif autoproclamé d’al-Aqsa, un lieu saint d’une importance capitale non seulement pour les Palestiniens mais aussi pour tous les musulmans, était un moyen infaillible d’offenser le monde arabe.
Presque immédiatement, les attaques de « loups solitaires » palestiniens ont repris. En Cisjordanie occupée, des Palestiniens ont tiré sur une voiture, tuant trois juives israéliennes – une mère et deux de ses filles qui avaient quitté la Grande-Bretagne pour vivre dans une colonie illégale. Un membre de la minorité palestinienne plus que malmenée vivant en Israël a été abattu après avoir foncé sur des passants sur le front de mer de Tel Aviv, tuant un touriste italien.
Sur un front plus large, des salves de roquettes ont été tirées depuis Gaza, le Liban et la Syrie, ce qui a incité Israël à lancer des frappes aériennes limitées contre ses voisins.
Cependant, malgré la hausse des tensions, toutes les parties, y compris Israël, semblent vouloir s’éloigner du bord du gouffre.
Des murmures rebelles
Les choses se sont calmées pour le moment, apparemment sur l’insistance de Netanyahou. Il serait allé contre l’avis d’Itamar Ben-Gvir, son ministre d’extrême droite en charge des services de police, en refusant aux colons juifs l’accès à al-Aqsa pendant les derniers jours du Ramadan, sans doute pour ne pas voir se reproduire les scènes de violence policière observées début avril.
La question reste cependant en suspens : Netanyahou pourrait-il décider, dans les semaines à venir, qu’il serait à son avantage d’attiser à nouveau les tensions ?
Les mêmes pressions pèsent sur lui. Il doit mener à bien sa réforme judiciaire, à la fois pour sauver sa peau et celle de son gouvernement. À la mi-avril, il s’est engagé à poursuivre ce qu’il a qualifié de « mandat clair pour réparer le système judiciaire ».
Mais le noyau dur du mouvement de protestation, des classes moyennes laïques d’Israël aux réservistes, ne recule pas. Les manifestants continuent de se masser dans les rues dans le but de le faire céder.
Il pourrait être tentant d’entraîner Israël dans une confrontation avec les Palestiniens ou dans une guerre avec le voisin libanais. Cela obligerait l’armée israélienne à renoncer à ses murmures rebelles et à rentrer à contrecœur dans le rang.
Il pourrait être tentant d’entraîner Israël dans une confrontation avec les Palestiniens ou dans une guerre avec le voisin libanais. Cela obligerait l’armée israélienne à rentrer dans le rang
Cela pourrait également diviser le mouvement de protestation, dont certains segments exigeraient l’unité en période de crise nationale. Le lobby israélien à l’étranger serait également contraint de revenir à sa servilité habituelle.
Étant donné que les éléments clés de la réforme judiciaire de Netanyahou pourraient être adoptés rapidement avec la reprise des travaux parlementaires après leur suspension à l’occasion de la Pâque juive, il pourrait tenter de se servir du prétexte d’une guerre pour faire passer les changements par un trou de souris.
C’est peut-être la raison pour laquelle des sources gouvernementales ont déclaré début avril aux médias israéliens qu’après le Ramadan et la Pâque juive, ils seraient contraints de lancer une opération militaire de grande envergure.
Netanyahou a donné un avant-goût de ses propres justifications pour d’éventuelles hostilités futures. Dans de récents discours, il a affirmé que le gouvernement précédent, dirigé par Yaïr Lapid, avait compromis la dissuasion israélienne à l’échelle régionale en signant un « accord de reddition » avec le Hezbollah. Le dirigeant a accusé ses prédécesseurs d’avoir fixé des frontières maritimes avec le Liban par lesquelles ils remettaient prétendument des réserves de gaz « à l’ennemi sans rien recevoir en retour ».
Il a également dirigé ses tirs contre les réservistes rebelles, les accusant d’éroder la sécurité israélienne. « Lorsque nos ennemis voient cet appel à refuser de servir, ils l’interprètent comme une faiblesse de notre résistance nationale. » Il a averti que les ennemis d’Israël pourraient prendre cela comme une invitation à frapper.
Semblant suggérer qu’il pourrait devancer une attaque arabe, Netanyahou a ajouté : « Nous rétablirons la dissuasion. Cela prendra du temps, mais cela se fera. J’ai dit au gouvernement précédent de ne pas trop faire de dégâts, car ce serait à nous de les réparer. »
« Notre dissuasion décline »
Néanmoins, si attiser la guerre semble simple sur le papier, la mise en œuvre d’un tel plan pourrait s’avérer beaucoup plus délicate.
Il est vrai que les réservistes israéliens ne resteraient probablement pas chez eux s’ils étaient appelés à servir. L’esprit de révolte, cependant, perdurerait et reviendrait certainement en force dès qu’une confrontation inutile aurait atteint son terme.
En outre, les généraux israéliens à la retraite compliqueraient la tâche du gouvernement dans son entreprise d’appropriation du discours. Ils ne manqueraient pas de faire les gros titres pendant les combats en laissant entendre que Netanyahou a provoqué une crise militaire pour résoudre ses problèmes intérieurs.
Moshe Ya’alon, ancien ministre de la Défense de Netanyahou et ancien chef de l’armée, a déclaré à des manifestants à Tel Aviv début avril : « J’ai servi dans l’armée pendant des décennies et je n’ai jamais vu un comportement aussi imprudent que celui de l’accusé Netanyahou aujourd’hui. »
En cas d’hostilités, la responsabilité serait directement rejetée sur Netanyahou, déjà accusé d’affaiblir la position d’Israël aux yeux de ses voisins en raison des divisions internes qu’il a attisées avec son projet de réforme judiciaire. Ya’alon a tenu à insister sur ce point, soulignant au sujet de Netanyahou : « Son complot obsessionnel visant à renverser la démocratie israélienne représente une menace immédiate pour la sécurité d’Israël […] Nos ennemis nous observent et notre dissuasion décline. »
Des dirigeants arabes ont publiquement avancé le même argument. Saleh al-Arouri, chef adjoint de la branche politique du Hamas, a récemment souligné qu’Israël traversait une « crise sans précédent » et était en proie à une « désintégration interne ». Arouri, qui a fait partie d’une délégation du Hamas ayant rencontré le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah pour discuter des récents échanges de tirs, a ajouté que « l’axe de la résistance pren[ait] de l’ampleur et [que] l’évolution de la situation dans la région jou[ait] en sa faveur ».
Netanyahou peut raisonnablement s’attendre à des retombées bien plus graves d’une confrontation militaire de son choix que celles auxquelles Olmert a dû faire face après son désastreux affrontement de 34 jours avec le Hezbollah en 2006.
Un enthousiasme pour la guerre
Si Netanyahou risque d’avoir du mal à mobiliser les Israéliens en stimulant leur enthousiasme habituel pour la guerre, il doit également faire face à une région inhabituellement unie – contre lui.
Ce duo de pyromanes veut une conflagration avec les Palestiniens pour galvaniser l’opinion publique israélienne en faveur d’une annexion des territoires occupés [...] avec le risque constant d’élargir toute confrontation à d’autres fronts en attisant les tensions à al-Aqsa
Netanyahou aime se vanter d’être parvenu à obtenir en 2020 les accords d’Abraham, une déclaration formelle de normalisation entre Israël et deux États du Golfe, à savoir les Émirats arabes unis et Bahreïn. Son dernier espoir était de faire d’Israël un membre honoraire du groupe « sunnite » en incitant l’Arabie saoudite à signer également les accords et d’intensifier ainsi la coordination régionale contre l’Iran.Néanmoins, l’Arabie saoudite, moteur du monde arabe sunnite, s’est montrée ces dernières semaines étonnamment disposée à ouvrir la voie de la paix avec ses rivaux chiites historiques, en particulier l’Iran et la Syrie, les principaux adversaires régionaux d’Israël.
Riyad est à la tête d’une initiative visant à réintégrer la Syrie au sein de la Ligue arabe et a signé un accord avec l’Iran pour enterrer la hache de guerre, malgré l’opposition des États-Unis. Dans un communiqué conjoint publié depuis Pékin, les deux pays ont affirmé vouloir agir ensemble en faveur de la sécurité régionale.
Le rétablissement des liens entre Riyad et Téhéran pourrait limiter encore davantage la marge de manœuvre de l’armée israélienne au Liban, où l’Iran opère et a aidé le Hezbollah à renforcer sa puissance militaire pour dissuader Israël d’attaquer. Cela pourrait aussi compliquer l’approche d’Israël à Gaza, où le Hamas reçoit également une aide iranienne.
Et comme les États-Unis, protecteurs d’Israël, se concentrent désormais sur l’objectif d’« affaiblir » la Russie en Ukraine ainsi que leurs démonstrations de force contre la Chine, Israël a de bonnes raisons de se sentir plus isolé que jamais dans la région.
D’un point de vue rationnel, les astres ne sont pas alignés pour qu’Israël provoque une guerre. Mais la raison n’est peut-être pas son étoile polaire, surtout lorsque Netanyahou est de mèche avec des extrémistes religieux comme Itamar Ben-Gvir, son ministre en charge des services de police, ou son ministre des Finances (et officieusement de l’occupation) Bezalel Smotrich.
Ce duo de pyromanes veut une conflagration avec les Palestiniens pour galvaniser l’opinion publique israélienne en faveur d’une annexion des territoires occupés. Ils ont les moyens et le mobile pour continuer de faire exploser l’arène palestinienne, avec le risque constant d’élargir toute confrontation à d’autres fronts en attisant les tensions à al-Aqsa.
Netanyahou pourrait conclure qu’il a plus à perdre qu’à gagner dans une guerre. Mais il pourrait quand même être amené à en faire une.
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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