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Tunisie : Human Rights Watch dénonce le « démantèlement » d’Ennahdha

Les arrestations et les contraintes visant Ennahdha sont contraires au droit international, rappelle l’ONG
Rached Ghannouchi a été arrêté à son domicile, le 17 avril, par des agents en civil qui n’ont pas présenté de mandat d’arrêt (AFP/Fethi Belaid)
Rached Ghannouchi a été arrêté à son domicile, le 17 avril, par des agents en civil qui n’ont pas présenté de mandat d’arrêt (AFP/Fethi Belaid)
Par MEE

Les autorités tunisiennes ont « intensifié leur offensive contre les opposants au coup de force réalisé en 2021 » par le président Kais Saied, « en redoublant d’efforts pour neutraliser Ennahdha, le plus grand parti politique du pays », a dénoncé, jeudi 11 mai, l’ONG Human Rights Watch (HRW).

Depuis décembre 2022, « les autorités ont arrêté au moins dix-sept membres ou anciens membres de ce parti, dont son chef [Rached Ghannouchi] et en ont fermé les bureaux dans tout le pays », rappelle l’ONG. « Les autorités devraient immédiatement libérer toutes les personnes détenues arbitrairement, et mettre fin aux restrictions, aux libertés d’association et de réunion », exige HRW.

« Après avoir diabolisé Ennahdha et lancé de graves accusations sans preuves, les autorités du président Saied ont tout bonnement entrepris de démanteler le parti »

- Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie

Selon l’ONG, ces arrestations se sont poursuivies, « portant à au moins 30 le nombre de personnalités perçues comme critiques de Saied derrière les barreaux, après qu’une première vague d’arrestations a ciblé mi-février des personnalités issues de divers courants politiques ».

La plupart ont été accusées de « complot contre la sûreté de l’État ». « Parmi les détenus liés à Ennahdha, figurent quatre anciens ministres et plusieurs anciens députés, dont le président du parti et ancien président du Parlement, Rached Ghannouchi, et deux vice-présidents du parti, Ali Larayedh et Nourredine Bhiri. Aucun d’entre eux n’a été officiellement inculpé », rappelle HRW.

« Vengeance aveugle contre les opposants »

« Après avoir diabolisé Ennahdha et lancé de graves accusations sans preuves, les autorités du président Saied ont tout bonnement entrepris de démanteler le parti », a déclaré Salsabil Chellali, directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie.

« La dernière tactique en date utilisée par les autorités tunisiennes pour réduire leurs détracteurs au silence consiste à lancer des accusations de complot à tout-va contre tous ceux qui contestent le tournant toujours plus autoritaire pris par le président », ajoute la responsable locale de Human Rights Watch.

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Les informations supplémentaires obtenues par HRW sur sept cas individuels liés à Ennahdha, « révèlent la nature politique des arrestations, le recours à des éléments de preuve peu fiables et le mépris du droit des détenus à une procédure régulière. Au moins quatre de ces cas portent atteinte à la liberté d’expression ».

Pour rappel, le 17 avril, des agents en civil ont arrêté Rached Ghannouchi à son domicile, sans présenter de mandat d’arrêt, a déclaré l’un de ses avocats à Human Rights Watch.

Trois jours plus tard, un juge d’instruction a émis un mandat de dépôt visant Ghannouchi, pour tentative de « changer la nature de l’État » et « complot contre la sûreté intérieure de l’État », des crimes pouvant être passibles de la peine de mort.

Ces accusations sont fondées sur une mise en garde formulée par Ghannouchi le 15 avril lors d’une réunion, selon laquelle marginaliser les mouvements politiques d’opposition, dont Ennahdha et « la gauche », constituerait un « projet de guerre civile ».

Au cours des dix-huit derniers mois, Ghannouchi, 81 ans, a été interrogé dans le cadre de dix-neuf enquêtes différentes, a déclaré son avocat, Mokhtar Jemai, lors d’un entretien diffusé à la radio.

« L’arrestation du chef du plus important parti politique au pays, et qui a toujours montré son attachement à l’action politique pacifique, marque une nouvelle phase dans la crise », avait réagi le président du Front de salut national (FSN), Ahmed Néjib Chebbi. « Cela relève de la vengeance aveugle contre les opposants », a-t-il ajouté. 

Traduction : « ‘’Tu peux juger mais tu n’es pas juge car tu juges dans cette vie ici-bas’’. Lettre de prison dans laquelle le président du Parlement légitime arrêté Rached Ghannouchi annonce qu’il défie ses geôliers et qu’il tient toujours à dénoncer le coup d’État même derrière les barreaux. »

Poursuivant son offensive contre le parti, la police a fermé le siège d’Ennahdha à Tunis le 18 avril, « sans présenter aucune décision de justice ou document officiel, a affirmé un autre avocat », précise HRW. Les forces de sécurité ont empêché ses membres d’accéder aux bureaux du parti dans tout le pays, a-t-il ajouté.

Le même jour, les autorités ont fermé le siège à Tunis du parti Harak Tounes al-Irada (Mouvement de la volonté tunisienne fondé le 20 décembre 2015 par l’ancien président de la République Moncef Marzouki), qui accueillait les activités du Front de Salut National (FSN).

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« Un mémorandum non authentifié du ministère de l’Intérieur invoquant l’État d’urgence, sans cesse renouvelé  depuis 2015, ordonnant la fermeture des bureaux d’Ennahdha et interdisant ses réunions dans tout le pays, ainsi que les réunions du FSN à Tunis, a circulé en ligne », indique HRW.

L’ONG rappelle qu’en vertu du droit international, « un suspect ne devrait être placé en détention préventive dans l’attente d’un procès que dans des circonstances exceptionnelles, quand le tribunal fournit des motifs convaincants, personnalisés et faisant l’objet de réexamens périodiques et susceptibles d’appels ».

La détention préventive dans l’attente d’un procès est une mesure « exceptionnelle » selon l’article 84 du Code de procédure pénale tunisien.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dont la Tunisie est un État partie, protège les droits aux libertés d’opinion, d’expression, d’association et de réunion, insiste HRW. « La Tunisie est également tenue, en vertu du PIDCP et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, de respecter le droit à un procès équitable », conclut l’ONG.

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