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Tunisie : Ghannouchi, chef du parti d’opposition Ennahdha, arrêté

Les autorités tunisiennes ont fermé mardi les bureaux du mouvement islamo-conservateur Ennahdha sur l’ensemble du territoire, au lendemain de l’arrestation de son chef, Rached Ghannouchi, suscitant une réaction de forte « inquiétude » de l’Union européenne
L’arrestation de Ghannouchi a eu lieu lundi soir, au moment de l’iftar, le repas de rupture de jeûne du Ramadan (AFP/Fethi Belaid)
L’arrestation de Ghannouchi a eu lieu lundi soir, au moment de l’iftar, le repas de rupture de jeûne du Ramadan (AFP/Fethi Belaïd)
Par AFP

Les autorités tunisiennes ont arrêté lundi le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, Rached Ghannouchi, un des principaux opposants au président Kais Saied accusé de dérive autoritaire, a indiqué sa formation.

Et ce mardi, elles ont fermé les bureaux du mouvement sur l’ensemble du territoire. 

« Une force de police s’est présentée dans le siège principal du parti [à Tunis] et ordonné à tous ceux qui s’y trouvaient d’en sortir avant de le fermer »", a affirmé à l’AFP un des dirigeants d’Ennahdha, Riadh Chaibi.

« La police a aussi fermé les autres bureaux du parti partout dans le pays et interdit toute réunion dans ces locaux », a-t-il ajouté.

M. Ghannouchi, 81 ans, qui dirigeait le Parlement dissous en juillet 2021 par M. Saied, est l’opposant le plus en vue à être arrêté depuis ce coup de force. 

L’homme a été arrêté par des policiers à son domicile à Tunis, a affirmé Ennahdha dans un communiqué, en dénonçant « ce développement extrêmement grave » et appelant à sa « libération immédiate ».

Le vice-président d’Ennahdha, Mondher Lounissi, a affirmé lors d’une conférence de presse que Ghannouchi avait été emmené dans une caserne de police pour un interrogatoire et que ses avocats n’avaient pas été autorisés à y assister.

Son arrestation survient après des déclarations rapportées par des médias, dans lesquelles Ghannouchi a affirmé ce weekend que la Tunisie serait menacée d’une « guerre civile » si l’islam politique, dont est issu son parti, y était éliminé.

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Une source au ministère de l’Intérieur citée par les médias tunisiens a confirmé que l’arrestation de Ghannouchi était liée à ces déclarations. 

L’arrestation de Ghannouchi a eu lieu au moment de l’iftar, le repas de rupture de jeûne du Ramadan et quelques heures avant la célébration par les fidèles de la nuit sacrée « du destin ».  

Puis, « une descente sécuritaire a été effectuée à l’aube de ce mardi 18 avril dans le siège du mouvement Ennahdha », selon des responsables du parti, cités par un média local.

« Les forces de l’ordre ont présenté une autorisation de perquisition délivrée par le parquet. On explique également que le siège a été évacué par la suite », ajoute le même média. D’après le gendre de Rached Ghannouchi, Rafik Abdessalam, « une descente » de la police a été également effectuée au domicile du leader d’Ennahdha.

Ghannouchi avait comparu en février au pôle judiciaire antiterroriste à la suite d’une plainte l’accusant d’avoir traité les policiers de « tyrans ».

L’opposant, bête noire du président Saied, avait également été entendu en novembre 2022 par un juge du pôle judiciaire antiterroriste pour une affaire en lien avec l’envoi présumé d’islamistes armés en Syrie et en Irak.

En juillet de la même année, il avait aussi été interrogé pour des soupçons de corruption et blanchiment d’argent liés à des transferts de fonds depuis l’étranger vers une organisation caritative affiliée à Ennahdha.

« Vengeance aveugle »

Depuis début février, les autorités ont incarcéré plus de vingt opposants et des personnalités parmi lesquelles des ex-ministres, des hommes d’affaires et le patron de la radio la plus écoutée du pays, Mosaïque FM.

Ces arrestations, dénoncées par des ONG locales et internationales, ont visé des figures politiques de premier plan du Front de salut national (FSN), principale coalition d’opposition dont fait partie Ennahdha.

« L’arrestation du chef du plus important parti politique au pays, et qui a toujours montré son attachement à l’action politique pacifique, marque une nouvelle phase dans la crise »

- Ahmed Néjib Chebbi,  président du Front de salut national (FSN, coalition d’opposition)

Le président Saied, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs depuis son coup de force de juillet 2021, a qualifié les personnes arrêtées de « terroristes », affirmant qu’elles étaient impliquées dans un « complot contre la sureté de l’État ».

« L’arrestation du chef du plus important parti politique au pays, et qui a toujours montré son attachement à l’action politique pacifique, marque une nouvelle phase dans la crise », a réagi lundi soir auprès de l’AFP le président du FSN, Ahmed Néjib Chebbi. 

« Cela relève de la vengeance aveugle contre les opposants », a-t-il ajouté. 

Après son coup de force, M. Saied a fait réviser la Constitution pour instaurer un système ultra-présidentialiste aux dépens du Parlement, qui ne dispose plus de réels pouvoirs, contrairement à l’Assemblée dissoute dominée par Ennahdha.

Opposant de premier plan sous les régimes de Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali, le retour au pays de Ghannouchi après vingt ans d’exil passés à Londres, à la suite de la chute du dictateur en 2011, avait été célébré par des milliers de personnes. 

Mais son étoile a progressivement pâli depuis la révolution, ses détracteurs l’accusant d’être un manœuvrier pragmatique prêt à tout pour se maintenir au pouvoir.

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Faute de pouvoir réunir une majorité absolue, il s’est toujours arrangé pour qu’Ennahdha soit incontournable dans les différentes coalitions depuis la révolution. 

Quitte à passer des alliances contre nature avec le parti libéral Qalb Tounes de l’homme d’affaires Nabil Karoui, ou avec l’ancien président Beji Caid Essebsi, en arguant de la nécessité d’un « consensus » nécessaire à la transition démocratique.

Au début de son parcours, il s’était d’abord inspiré des Frères musulmans égyptiens, avant de se réclamer du modèle islamiste turc de Recep Tayyip Erdoğan.

L’UE, un partenaire clef de la Tunisie, a affirmé suivre « avec beaucoup d’inquiétude les derniers développements » dans le pays, « notamment l’arrestation [lundi] de M. Rached Ghannouchi ainsi que les informations concernant la fermeture du siège du parti Ennahdha à Tunis ».

Bruxelles a rappelé « l’importance du respect des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable ». Et concernant la fermeture des locaux d’Ennahdha, l’Union européenne a souligné « le principe fondamental du pluralisme politique », estimant que tous ces éléments étaient « essentiels pour toute démocratie » et constituaient « la base du partenariat de l’Union européenne avec la Tunisie ».

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