La définition de l’antisémitisme de l’IHRA « réprime la défense de la cause palestinienne en Europe »
La définition de travail de l’antisémitisme élaborée par l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) a eu un impact disproportionné sur les personnes de couleur et les juifs qui défendent la cause de la Palestine, faisant perdre à certains leur emploi ou les exposant à la censure ou des poursuites judiciaires, a averti une organisation européenne de défense des droits de l’homme.
S’appuyant sur 53 études de cas en Autriche, en Allemagne et au Royaume-Uni, le Centre européen d’assistance juridique (European Legal Support Centre, ELSC) a déclaré que les institutions des trois pays appliquaient la définition controversée « comme s’il s’agissait d’une loi », bien qu’elle soit qualifiée de « non contraignante sur le plan juridique ».
« Tous les accusés ont été ciblés pour avoir défendu les droits des Palestiniens, dénoncé les pratiques et politiques d’Israël et/ou critiqué le sionisme en tant qu’idéologie politique », a précisé l’ELSC dans un communiqué, à la suite de la publication mardi d’un rapport intitulé Suppressing Palestinian Rights Advocacy through the IHRA Working Definition of Antisemitism (« réprimer la défense des droits des Palestiniens via la définition de travail de l’antisémitisme de l’IHRA »).
« Lorsqu’elles ont été contestées en justice, la plupart de ces allégations d’antisémitisme ont été rejetées comme infondées. »
Le rapport met en évidence des cas d’universitaires, d’étudiants et de militants des droits des Palestiniens qui ont été pénalisés pour avoir exprimé des critiques à l’égard d’Israël.
« Même si la plupart des contestations de la mise en œuvre de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA ont été couronnées de succès, les procédures disciplinaires et les litiges résultant de fausses allégations d’antisémitisme ont produit un ‘’effet dissuasif’’ sur la liberté d’expression et de réunion. »
« Ces données [suggèrent] que les Palestiniens et leurs alliés, qu’ils soient juifs, de couleur ou autres, sont les principales cibles de ceux qui utilisent la définition de l’antisémitisme de l’IHRA afin de les délégitimer, les calomnier ou les sanctionner »
- Rapport de l’ELSC
L’ELSC note que parmi les 53 personnes interrogées pour son rapport, 42 cas impliquaient le ciblage de groupes dont « les membres sont des personnes de couleur ou le ciblage d’individus qui sont des personnes de couleur, parmi lesquels 19 palestiniens.
« Dans 11 cas, des groupes s’identifiant comme juifs ou des individus juifs ont été ciblés, en particulier ceux ayant des opinions antisionistes ou de la sympathie envers la lutte palestinienne pour les droits de l’homme. Tous les individus et groupes qui ont été ciblés dans ces incidents ont exprimé leur sympathie envers les droits des Palestiniens », note l’ELSC.
« Ces données [suggèrent] que les Palestiniens et leurs alliés, qu’ils soient juifs, de couleur ou autres, sont les principales cibles de ceux qui utilisent la définition de l’antisémitisme de l’IHRA afin de les délégitimer, les calomnier ou les sanctionner. »
Il ajoute que certains ont perdu leur emploi ou des offres d’emploi et que d’autres ont été poursuivis par les autorités locales pour avoir prétendument enfreint la définition de l’IHRA.
Des événements étudiants associés à la semaine de l’apartheid israélien ont été annulés pour avoir soi-disant enfreint la définition de l’IHRA, y compris une conférence donnée par un survivant de l’Holocauste à l’université de Manchester.
La Commission européenne accusée de nuire aux droits fondamentaux
Giovanni Fassina, directeur de l’ELSC, a accusé la Commission européenne, qui a promu la définition de l’IHRA via son manuel de 2021 sur l’antisémitisme, d’avoir « systématiquement ignoré et rejeté les préoccupations croissantes en matière de droits de l’homme concernant la définition de l’antisémitisme de l’IHRA et [de ne pas avoir] pris de mesures pour prévenir tout impact négatif de celle-ci sur les droits fondamentaux ».
« Il est temps que la Commission européenne reconnaisse et aborde le fait que la politique qu’elle a promue et mise en œuvre sur la base de la définition de l’IHRA, tant au niveau de l’UE qu’au niveau des États membres, est très préjudiciable aux droits fondamentaux et favorise le racisme antipalestinien », a déclaré Fassina dans un communiqué.
La définition de l’IHRA a été formulée en 2004 par l’expert en antisémitisme Kenneth Stern en collaboration avec d’autres universitaires pour le compte de l’American Jewish Committee, une organisation de défense des juifs fondée au début du XXe siècle et basée à New York.
Stern a déclaré avoir formulé la définition spécifiquement pour les collecteurs de données européens afin de les aider à surveiller l’antisémitisme.
Les critiques soutiennent cependant que certains des exemples qui l’accompagnent confondent antisémitisme et antisionisme, ou la critique des politiques passées et actuelles qui ont conduit à la création de l’État d’Israël en 1948, l’expulsion de centaines de milliers de Palestiniens de ce qui est aujourd’hui Israël, et les violations continues des droits des Palestiniens ainsi que l’occupation de leurs terres par Israël.
Le Royaume-Uni a été le premier pays à adopter la définition de l’IHRA en Europe, en 2016, suivi de l’Autriche en avril 2017 et du gouvernement fédéral allemand en septembre de la même année.
En France, le Parlement français a adopté une résolution « approuvant la définition de l’antisémitisme de l’IHRA » en décembre 2019. Cette résolution, qui « exclut les exemples de l’IHRA », n’a pas force de loi.
Traduit de l’anglais (original).
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