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Tunisie-Italie : Amnesty dénonce la « stratégie malavisée » de Meloni

Pour l’ONG, le gouvernement Meloni, obsédé par la question migratoire, veut aider économiquement Kais Saied en dépit des violations des droits de l’homme en Tunisie
Le président tunisien Kaïs Saied accueille au Palais présidentielle la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, le 6 juin 2023 (Facebook/Présidence tunisienne)
Le président tunisien Kais Saied accueille au Palais présidentiel la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, le 6 juin 2023 (Facebook/Présidence tunisienne)
Par MEE

« En tentant d’empêcher les départs vers l’Europe, l’Italie offre son aide au gouvernement tunisien sans exiger un plus grand respect des droits humains, au risque de renforcer la position d’un dirigeant de plus en plus répressif et d’alimenter des atteintes aux droits humains toujours plus graves. »

L’assertion d’Amnesty International, à la suite de la visite de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, le 6 juin à Tunis, est sans ambages.

L’ONG rappelle que le ministre italien de l’Intérieur Matteo Piantedosi s’est rendu à Tunis le 15 mai, « porteur de la promesse du gouvernement italien de continuer à fournir au gouvernement tunisien les moyens et les ressources pour patrouiller le long des côtes. Cette visite constitue un pas de plus sur la pente glissante dans laquelle s’est engagé le gouvernement de Giorgia Meloni ».

Des migrants d’Afrique subsaharienne sont secourus par la Garde nationale tunisienne en mer Méditerranée au large de la ville de Sfax, dans le centre de la Tunisie, le 4 octobre 2022 (AFP/Fethi Belaid)
Des migrants d’Afrique subsaharienne sont secourus par la Garde nationale tunisienne en mer Méditerranée, au large de la ville de Sfax, dans le centre de la Tunisie, le 4 octobre 2022 (AFP/Fethi Belaid)

Le gouvernement italien, selon Amnesty, « préoccupé par le nombre croissant d’arrivées par la mer depuis la Tunisie et obnubilé par l’idée d’inverser la tendance, poursuit son action diplomatique pour convaincre les institutions financières internationales et tout gouvernement en mesure de le faire de financer le régime de Kais Saied, tout en fermant les yeux sur ses mesures liberticides ». 

Depuis février, note l’ONG, Giorgia Meloni et le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani « se sont exprimés publiquement ou en privé pour demander au Fonds monétaire international, à l’Union européenne et aux États-Unis de mettre des fonds à disposition ».

« Ainsi, le gouvernement italien ne se limite pas à fournir des vedettes aux garde-côtes tunisiens – douze auraient déjà été livrées et quatre devraient arriver sous peu. Il fait tout son possible pour aider Kais Saied à sortir de l’impasse financière dans laquelle celui-ci a mené son pays », poursuit Amnesty.

Mais « le problème est que, pour empêcher le départ des personnes réfugiées et migrantes des côtes tunisiennes, l’Italie ferme les yeux sur les violences attisées par les autorités tunisiennes ».

« La même stratégie qu’en Libye »

Le 21 février, le président tunisien Kais Saied a prononcé un discours extrêmement dur réclamant des « mesures urgentes » contre l’immigration clandestine d’Africains subsahariens dans son pays, affirmant que leur présence était source de « violence et de crimes » et insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration.

Il a par ailleurs soutenu que cette immigration clandestine relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie », afin de la transformer en un pays « africain seulement » et estomper son caractère « arabo-musulman ».

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Ce discours, selon Amnesty, « a entraîné une vague d’agressions motivées par le racisme contre les personnes noires en Tunisie ». Et de citer le cas de Manuela D, réfugiée camerounaise de 22 ans, qui a raconté à Amnesty International avoir été « attaquée à l’extérieur d’un bar par six hommes qui l’ont attachée et poignardée, lui infligeant ainsi de graves blessures à la poitrine, au ventre et au visage ».

« Beaucoup d’autres personnes ont été chassées de chez elles et leurs effets personnels leur ont été volés. Les organisations locales ont recueilli des informations sur des centaines d’arrestations, d’expulsions et de violences visant des personnes noires, y compris des personnes migrantes, étudiantes ou demandeuses d’asile », déplore Amnesty.

La stratégie du gouvernement Meloni, selon Amnesty, « réutilise la même stratégie qu’en Libye [ignorant au passage le récent rapport des Nations unies qui met en avant sa co-responsabilité dans des crimes contre l’humanité commis en Libye] et s’expose au chantage d’un régime toujours plus répressif. »

Notamment, « la violation continue des droits des personnes réfugiées et migrantes, dans un pays qui ne dispose pas de lois sur l’asile mais en a une pour ériger l’homosexualité en infraction, pourrait contribuer directement à accroître le nombre de départs », poursuit l’ONG, qui qualifie l’approche du gouvernement de Giorgia Meloni de « peu avisée, en plus d’être profondément immorale, voire illégale ».

Le gouvernement italien « devrait conditionner son soutien à la prise de mesures résolues et concrètes pour rétablir l’État de droit, pour mettre fin aux attaques contre la liberté d’expression et les opposants politiques, et pour lutter contre toute forme de discrimination et de violence », conclut Amnesty.

Ahmed Nejib Chebbi ciblé

Des dizaines de personnes, avocats, militants, hommes politiques, etc. ont été emprisonnés pour leur opposition à la politique du président tunisien, à l’image du leader d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, condamné le 15 mai à un an de prison pour « apologie du terrorisme ».

D’autres cadres d’Ennahdha subissent le même sort, comme Sahbi Atig, membre du Conseil de la Choura, l’instance délibérative du parti Ennahdha, dont la santé se détériore en prison à la suite de sa grève de la faim.

« Soit je vais regagner mon domicile [après l’audition], soit je rejoins mon frère et les autres militants qui sont [détenus] »

- Ahmed Nejib Chebbi, avocat et leader du Front de salut national

Ahmed Mechergui, 54 ans, membre de sa direction et ancien député, a également entamé dimanche une grève de la faim pour protester contre son incarcération le 18 avril.

Un autre des dirigeants d’Ennahdha, Youssef Nouri, arrêté le 19 avril, est en grève de la faim depuis le 25 avril pour « contester les conditions de sa détention et le non-respect de ses droits fondamentaux ».

Hier mercredi, un média tunisien a indiqué que l’avocat et leader du Front de salut national (FSN), Ahmed Nejib Chebbi, avait été convoqué par le pôle judiciaire antiterroriste pour ce vendredi, dans le cadre d’un présumé complot contre la sûreté de l’État.

« Je devais être auditionné en même temps que le groupe comprenant Ayachi Hammami, Kamel Jendoubi et Bochra Belhaj Hmida, mais le juge a finalement décidé d’orienter les poursuites vers ma personne. Alors je vais y aller et je suis prêt à toutes les éventualités », a réagi Ahmed Nejib Chebbi.

« Soit je vais regagner mon domicile [après l’audition], soit je rejoins mon frère et les autres militants qui sont [détenus] à [la prison de] El Mornaguia depuis quatre mois. Je ne sais rien de mon sort car nous ne sommes plus dans un État de droit mais sous le règne de l’arbitraire. J’ai bien connu ça, je n’en ai jamais eu peur et rien n’a changé », a-t-il affirmé.

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