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Insurrection du groupe Wagner : les conséquences pour le Moyen-Orient et l’Afrique

Les capacités du groupe Wagner, force centrale dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine, se sont perfectionnées en Syrie, en Libye et ailleurs en Afrique
Des troupes russes patrouillent dans des champs de pétrole près de la ville d’al-Qahtaniyah, dans la province de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, le 4 février 2021 (AFP)
Des troupes russes patrouillent dans des champs de pétrole près de la ville d’al-Qahtaniyah, dans la province de Hassaké, dans le nord-est de la Syrie, le 4 février 2021 (AFP)

La rébellion du groupe Wagner contre l’État russe pourrait avoir des répercussions majeures non seulement sur les opérations de l’organisation au Moyen-Orient, mais aussi sur la capacité de Moscou à remplacer les réseaux financiers et militaires entretenus par le groupe paramilitaire dans la région.

L’organisation de mercenaires, qui a lancé une rébellion armée dans la nuit de samedi, a tissé au cours de la dernière décennie un réseau de relations militaires, commerciales et politiques, englobant la Libye, la Syrie, le Soudan et les Émirats arabes unis.

Les forces de Wagner combattant en Ukraine représentaient aussi, jusqu’à récemment, un atout crucial pour soutenir l’armée russe sur le champ de bataille. Cette force autofinancée a récemment fourni à la Russie sa première victoire discernable récente lorsqu’elle a capturé la ville stratégique de Bakhmout.

« Prigojine en particulier avait de bonnes relations avec les Émirats arabes unis, qui sont un partenaire important pour la Russie, car il existe de nombreux réseaux personnels privés entre les élites d’Abou Dabi et du Kremlin »

- Andreas Krieg, professeur agrégé d’études sur la sécurité au King’s College de Londres

Mais les capacités considérables du groupe n’auraient peut-être pas été aussi bien rodées sans ses expériences au Moyen-Orient et en Afrique. 

Les mercenaires de Wagner se sont formés en combattant aux côtés des troupes russes sur les champs de bataille de Syrie, en tant qu’équipe autonome en Libye, et sont même impliqués dans les conflits actuels au Soudan, au Mali et en République centrafricaine (RCA).

« Wagner a véritablement commencé ses opérations en Afrique en Libye et l’a fait de manière très efficace. C’était [la Libye] une tête de pont que les Émirats arabes unis, à l’époque, ont rendue accessible et à partir de laquelle Wagner a pu vraiment se développer », explique Andreas Krieg, professeur agrégé d’études sur la sécurité au King’s College de Londres, à Middle East Eye.

Si Wagner n’est pas une société officielle en Russie, puisque l’existence de sociétés militaires privées n’est pas autorisée, le groupe a néanmoins créé des sociétés écrans à l’extérieur du pays, qui ont été utilisées pour autofinancer ses opérations et lui permettre de se propulser au pouvoir.

Sa tête de pont « stratégiquement importante » en Libye a permis au groupe de nouer des liens avec Mohamed Hamdan Dagalo, plus connu sous le nom de Hemetti, qui dirige les Forces paramilitaires de soutien rapide (FSR), rappelle Andreas Krieg.

Les FSR, une milice à l’image de Wagner, sont maintenant impliquées dans leur propre rébellion contre l’État soudanais.

Wagner et les Émirats

Wagner, qui est sous le contrôle d’Evgueni Prigojine, jusqu’à récemment un proche allié du président russe Vladimir Poutine, est sanctionné par les États-Unis et d’autres pays pour son réseau d’investissements réalisés dans des endroits comme le Soudan, le Mali et la RCA.

Des milliards de dollars d’or auraient été acheminés du Soudan vers les Émirats arabes unis, dont une grande partie est largement considérée comme facilitée par Wagner.

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MEE a contacté le ministère des Affaires étrangères des Émirats arabes unis pour obtenir des commentaires, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.

Les responsables américains ont ouvertement déclaré que selon eux, certaines des concessions d’extraction d’or exploitées par Wagner avaient été en partie réorientées vers la réserve d’or de Moscou, à hauteur de 130 milliards de dollars, aidant l’administration de Poutine à contourner l’effet des sanctions économiques imposées pendant la guerre en Ukraine.

« Le Kremlin s’est appuyé sur les Émirats arabes unis pour faciliter de nombreuses opérations de Wagner à travers l’Afrique en 2018, car à l’époque, il s’agissait d’un outil du pouvoir russe, en partie en matière de soft power mais aussi de hard power », analyse encore Andreas Krieg.

L’année dernière, les États-Unis ont accusé les mercenaires de Wagner d’exploiter les ressources naturelles en RCA, au Mali, au Soudan et ailleurs sur le continent, ce qu’ils n’auraient pas pu faire sans les Émirats arabes unis.

« Prigojine en particulier avait de bonnes relations avec les Émirats arabes unis, qui sont un partenaire important pour la Russie, car il existe de nombreux réseaux personnels privés entre les élites d’Abou Dabi et du Kremlin. »

La question à plusieurs milliards de dollars est maintenant de savoir dans quelle mesure Poutine fera pression sur le président des Émirats arabes unis, Mohammed ben Zayed (MBZ), pour qu’il « réprime » ces réseaux, estime le chercheur.

« Wagner ne serait pas en mesure d’opérer s’il n’avait plus accès aux infrastructures, à la logistique financière et aux infrastructures de commerce de l’or que les EAU ont fournies. »

Alors que le lien entre Wagner, le Soudan et les Émirats arabes unis a constitué une relation clé ayant rapporté à toutes les parties des sommes importantes, les compétences militaires du groupe paramilitaire russe ont été très recherchées dans d’autres zones de conflit.

Les intérêts stratégiques de la Russie en Libye

Depuis 2019, les mercenaires de Wagner ont joué un rôle crucial en aidant Khalifa Haftar, le commandant militaire renégat de l’est de la Libye, devenu chef de guerre, à maintenir le contrôle des régions du sud et de l’est du pays.

« Sans un autre parapluie sécuritaire étranger, le retrait de Wagner constituerait une menace pour l’influence de Haftar dans l’est et le sud de la Libye », analyse pour MEE Ferhat Polat, chercheur à l’université d’Exeter spécialisé dans les affaires libyennes.

Avec l’aide de Wagner, le conflit libyen est effectivement devenu une guerre froide. L’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar et le gouvernement de Tripoli, reconnu internationalement, examinent probablement les événements en Russie et les éventuelles conséquences sur l’équilibre des pouvoirs dans le pays.

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« Les mercenaires de Wagner ont fourni l’expertise et les ressources militaires nécessaires qui ne sont pas disponibles au sein de l’ANL », poursuit Ferhat Polat.

« La présence accrue du Kremlin leur a donné une plus grande influence sur les puissances occidentales. Le retrait des combattants de Wagner pourrait avoir un impact sur les intérêts géostratégiques de la Russie. Mais on ne sait toujours pas si la Russie retirera réellement ses mercenaires de Libye. »

Entre-temps, des informations non confirmées indiquent que l’armée russe a en fait pris pour cible Wagner dans le nord de la Syrie, un autre théâtre sur lequel le groupe paramilitaire est présent depuis longtemps.

La présence de Wagner en Syrie

La Syrie a été le terrain de l’une des premières incursions de Wagner hors d’Europe. Le groupe a déployé des mercenaires pour combattre aux côtés des forces de Bachar al-Assad en 2015, au moment même où Poutine lançait une campagne aérienne en soutien à Damas.

Il est difficile de tirer des « conclusions audacieuses » pour le moment et la situation qui se déroule présente un « énorme potentiel d’impact sur la guerre en Ukraine ainsi que sur la politique étrangère de la Russie au Moyen-Orient dans son ensemble », estime Giorgio Cafiero, PDG de Gulf State Analytics, un cabinet de conseil en risques géopolitiques basé à Washington.

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« Il est clair que ce qui se passe en Russie sape l’unité russe, et il est possible que les acteurs du Moyen-Orient regardent la Russie différemment. »

La Syrie est l’une des rares zones de conflit officiellement documentées où les combats ont directement impliqué des combattants de Wagner. En 2018, l’armée américaine a tué entre 200 et 300 combattants pro-Assad, dont beaucoup étaient supposés être des mercenaires de Wagner, après leur attaque d’un avant-poste militaire américain dans l’est de la Syrie.

La Syrie est un pivot pour la projection de puissance régionale de Moscou. La Russie a un accès stratégique à la Méditerranée orientale grâce à sa base navale de Tartous. 

En parallèle, des entreprises liées à Wagner ont obtenu des participations lucratives dans des gisements de pétrole et de gaz sur un territoire autrefois contrôlé par le groupe État islamique.

« Peu importe comment la dernière crise se déroule, la projection de puissance de la Russie est vouée à diminuer dans la région MENA [Moyen-Orient et Afrique du Nord] », assure à MEE Yonatan Touval, analyste à l’Institut israélien des politiques étrangères régionales (MITVIM).

Vide de pouvoir post-Wagner

Alors que la guerre en Ukraine a obligé la Russie à réduire sa présence militaire en Syrie, Wagner a également été impacté.

« Le groupe Wagner a également du mal à maintenir ses opérations sur plusieurs fronts, avec le défi supplémentaire posé par la forte pression exercée par les États-Unis sur ses alliés au Moyen-Orient pour expulser ses mercenaires du Soudan et de la Libye », précise Yonatan Touval.

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« La question clé est de savoir si ces développements créeront un vide de pouvoir qui permettra à d’autres acteurs d’entrer, le risque étant une déstabilisation rapide dans des régions telles que la Syrie et la Libye. »

L’affaiblissement de la main russe dans la région se fait déjà sentir. 

MEE a rapporté l’année dernière que la Russie avait dû retarder le service des clients d’armes du Moyen-Orient en raison des pénuries d’approvisionnement résultant de la guerre en Ukraine.

Alors que la présence militaire de la Russie en Syrie signifie que les activités de Wagner peuvent être rapidement stoppées en Libye et dans d’autres pays africains, cela va être « plus difficile » si Moscou décide de liquider le groupe, anticipe, depuis la Russie, Kirill Semenov, un expert non résident du Russian International Affairs Council, un think tank.

« Dans ces régions, il n’y a pas de troupes russes et les régimes locaux travaillent directement avec Wagner et non avec les structures officielles russes. »

« Si la rébellion est réprimée, et j’espère que cela se produira bientôt, les branches de Wagner en Afrique pourraient se transformer en structures mercenaires totalement incontrôlables qui établiront elles-mêmes des liens avec les gouvernements locaux sans égard pour Moscou. »

Traduit de l’anglais (original).

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