Le pouvoir d’achat des Tunisiens à l’épreuve du mouton de l’Aïd
« Même si les prix ont flambé, sacrifier un mouton reste primordial. » Malgré ses moyens limités, Lotfi Farhati, un ouvrier tunisien, s’est déplacé au souk en quête d’un mouton pas cher pour célébrer l’Aïd al-Adha.
Malgré la grave crise socio-économique que traverse la Tunisie et une inflation galopante qui a mis à mal le pouvoir d’achat, Farhati, comme beaucoup d’autres Tunisiens, n’a pas renoncé au traditionnel sacrifice du mouton marquant la plus grande fête du calendrier musulman, qui commence mercredi.
« C’est plus qu’une tradition, c’est un rite sacré », affirme ce père de famille de 46 ans. Il confie s’être fait prêter de l’argent pour pouvoir acheter un mouton rien que pour faire plaisir à ses enfants.
« Comment se procurer un mouton sachant que le moins cher coûte autour de 1 000 dinars ? »
- Lotfi Farhati, un ouvrier tunisien
Cette année et à l’instar de tant d’autres produits de consommation, le prix du mouton « sacrifiable » a augmenté à au moins 1 000 dinars (300 euros), soit plus que le double du salaire minimum dans ce pays du Maghreb.
« Je comprends que l’agriculteur subit de son côté la hausse des prix des fourrages, mais comment se procurer un mouton sachant que le moins cher coûte autour de 1 000 dinars ? », s’interroge Farhati.
Selon le président de la Chambre syndicale nationale des bouchers, Ahmed Laamiri, la hausse des prix des moutons s’explique aussi par un cheptel en décroissance en raison de la sécheresse.
« Contrairement à ce qui était annoncé par les responsables et dans les médias, nous disposons uniquement de 650 000 têtes et non pas de 1,1 ou 1,2 million », affirme à l’AFP Ahmed Laamiri. « La rareté favorise l’augmentation des prix », selon lui.
Crise financière
Pour freiner la hausse vertigineuse des prix des moutons et des viandes rouges, il a exhorté le mufti de la République à édicter une fatwa (avis religieux) annulant la célébration de l’Aïd, afin de « maintenir le pouvoir d’achat du consommateur », suggère Ahmed Laamiri.
« Les prix sont exorbitants », convient Nesrine, 43 ans, une mère de deux enfants rencontrée dans un souk de moutons à Ariana, dans la banlieue nord de la capitale Tunis.
Elle a décidé d’attendre avant de mettre la main à la poche en espérant que les prix finiront par baisser, mais hors de question pour elle de renoncer au mouton.
« Je peux réduire les dépenses de loisirs ou le budget alloué aux sorties estivales, mais c’est impossible de priver mes enfants de cette joie et de se réunir autour d’un méchoui. »
Fathi Dhifaoui, un marchand de bétail venu vendre ses moutons au marché, dit « comprendre le désarroi et l’indignation du consommateur » mais impute la hausse des prix à la sécheresse et des fourrages excessivement chers.
L’inflation, qui frôle les 10 %, se traduit aussi par l’augmentation des prix des gâteaux et des pâtisseries traditionnelles habituellement très prisées en cette période de mariages et de cérémonies de fin d’années universitaires, entre autres occasions festives.
Ali ben Messaoud, directeur marketing de Pâtisserie Masmoudi, explique que l’enseigne a adapté son offre pour tenir compte de l’érosion du pouvoir d’achat.
« Nous proposons des coffrets où l’on trouve des produits d’appel pour des petites bourses. Le prix est le même. C’est la quantité qui a bien diminué », ajoute cet homme de 33 ans.
La crise financière que traverse la Tunisie se traduit notamment par des pénuries chroniques de produits alimentaires de base, sur fond de vives tensions politiques depuis que le président Kais Saied s’est emparé des pleins pouvoir en juillet 2021, faisant vaciller la démocratie née de la première révolte du Printemps arabe en 2011.
La Tunisie, endettée à environ 80 % de son PIB, a obtenu un accord de principe du Fonds monétaire international (FMI) en octobre pour un prêt de près de deux milliards de dollars, mais les discussions sont depuis dans l’impasse faute d’engagement ferme du pays à mettre en œuvre un programme de réformes.
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