Saviez-vous qu’Aladdin a véritablement existé ?
Aladdin… il suffit de prononcer son nom et notre esprit s’envole à bord d’un tapis magique pour nous emmener au pays des Mille et Une Nuits, avant de survoler l’univers de Disney puis d’alunir sur les studios d’Hollywood.
Aladdin, qui ne connaît pas ce jeune homme paresseux collectionnant les bêtises avec son ami Abu, un sapajou malin et protecteur ?
À la recherche d’une lampe dans une caverne pour le sorcier africain qui usurpe l’identité de son oncle, Aladdin y fait sortir, en frottant l’objet, un génie endormi depuis fort longtemps.
En guise de récompense, ce dernier se met à son service pour concrétiser trois de ses vœux. Et Aladdin n’hésitera pas à formuler le souhait de devenir le prince Ali, dans l’espoir de conquérir le cœur de la princesse Jasmine.
Ce qui est encore plus magique dans ce conte, résolument ancré dans la culture occidentale, est que ce « diamant d’innocence » incarne, en réalité, les traits et les aspirations de son propre conteur : Hanna Dyab.
Personnage fondateur des Mille et Une Nuits, mais qui garde tout son mystère, Dyab est un voyageur chrétien maronite d’Alep, en Syrie, ayant parcouru le pourtour méditerranéen pour un ailleurs plus propice. Éphémèrement, il a cru son rêve devenir réalité quand son destin a croisé celui d’un antiquaire français, Paul Lucas.
Middle East Eye se penche sur la vie quasi anonyme du conteur d’Aladdin – ou d’Aladdin en personne.
Hanna Dyab : de l’Orient vers l’Occident
Il était une fois un Aleppin se prénommant Antoun Youssouf Hanna Dyab. Né vers 1688 et prédestiné à devenir moine, le petit Hanna entre comme novice au monastère du Mont-Liban.
Mais très vite, l’enfant rêve de grandeur et de liberté et décide de quitter le couvent.
Le jeune maronite est persuadé que la vie lui sourit lorsqu’il fait la rencontre de Paul Lucas (1664-1737), naturaliste et antiquaire du roi Louis XIV (1638 -1715) en mission officielle en Orient, lors de son inscription dans la caravane pour rejoindre Tripoli.
Outre les langues orientales, Dyab parle le français et l’italien, raison qui pousse le naturaliste à lui proposer d’être son guide et son interprète ; lui laissant également entrevoir la possibilité d’évoluer comme bibliothécaire au sein de la Bibliothèque royale de Paris.
D’octobre 1704 à septembre 1708, avec son maître, l’interprète traverse le Liban, Chypre, l’Égypte, les régences de Tripoli et de Tunis, La Toscane, Gênes, la Corse, pour arriver à Marseille avant d’atteindre la ville de ses lumières : Paris.
Hanna Dyab à Versailles
Une fois chez lui, Lucas s’empresse de se rendre à la cour royale pour raconter sa mission en Orient. Désireux de marquer les esprits, il prépare méticuleusement son entrée au Grand Appartement du roi.
L’antiquaire dévoile à la cour, dont il connaît la passion pour les sciences naturelles, une curiosité orientale encore inexistante en France : une gerboise.
Et pour parfaire le décor, Lucas exige de son serviteur qu’il revête son somptueux costume traditionnel afin de présenter le rongeur venu de Tunis et d’en expliquer les caractéristiques. Aussitôt, Dyab se transforme en un personnage d’attraction pour les princesses.
La turquerie – arts et objets d’inspiration ottomane – et l’exotisme savant sont au goût du jour sous le règne du Roi-Soleil. Dyab pense donc tomber à point nommé.
Sauf que la vague de froid de 1709, connue sous le nom de « grand hiver », durant laquelle les températures atteignent les moins 20 degrés Celsius, ainsi que le déracinement et les fourberies dont il est victime lui feront rapidement comprendre que le rêve de l’Occident n’est qu’un mirage.
Rencontre avec Antoine Galland
Au même moment, Antoine Galland (1646-1715), orientaliste, antiquaire du roi, professeur au Collège royal et traducteur en pleine gloire grâce à sa version française des Mille et Une Nuits, se heurte à un obstacle.
N’ayant pas l’intégralité des contes arabes, de nombreuses nuits lui manquent tandis que la soif du public de lire la suite des aventures de Shéhérazade se fait sentir.
Introduit par son collègue Paul Lucas, Galland rencontre Dyab en 1709. Le jeune Hanna lui raconte pendant des après-midis seize histoires arabes.
L’orientaliste en retiendra dix pour finaliser ses quatre derniers volumes, dont Ali Baba et les quarante voleurs et Aladdin ou la lampe merveilleuse.
Cependant, Galland, également en lice pour un poste à la Bibliothèque royale de Paris, voit dans la personnalité de Dyab un potentiel rival et tente de l’écarter.
Retour en Syrie et récit de voyage
N’ayant pu accomplir son vœu tant espéré de devenir bibliothécaire, le Syrien rentrera bredouille chez lui, à Alep, en 1710.
Une fois parmi les siens et après avoir traversé Marseille, Smyrne et Constantinople, Dyab embrasse le métier de drapier dans la boutique de son oncle au souk de la ville, retournant ainsi à la vie normale d’un Aleppin du XVIIIe siècle.
Un autre indice mis en avant, et pas des moindres, est l’absence d’une source arabe de l’histoire d’Aladdin dans les traditions populaires levantines avant sa première apparition parisienne
Cinquante-quatre ans plus tard, soit en 1763, Dyab met sur papier le récit de ses voyages de jeunesse.
Alors âgé de plus de 70 ans, l’Aleppin retrace ses tribulations avec une justesse remarquable. Il décrit les personnes rencontrées, les lieux et les objets observés avec une précision troublante, comme si le temps n’avait jamais réussi à effacer de sa mémoire ses pérégrinations et ses découvertes occidentales.
Dans son récit, Hanna Dyab raconte succinctement avoir aidé un Français chargé de la bibliothèque des livres arabes lors de son séjour parisien à finaliser les traductions des Mille et Une Nuits, sans se douter du grand succès littéraire du personnage d’Aladdin.
« Cet homme recourait à mon aide sur certains points qu’il ne comprenait pas et que je lui expliquais. Il manquait au livre qu’il traduisait quelques nuits, et je lui racontais les histoires que je connaissais. Il put compléter son livre avec ces contes, et fut fort content de moi », écrit-il dans ses mémoires.
De l’autre côté de la Méditerranée, Dyab fait sa première apparition littéraire en 1964, lorsqu’un jeune étudiant, Mohamed Abdel-Halim, révèle, dans sa thèse de doctorat à l’Université de Paris, le journal intime d’Antoine Galland.
L’orientaliste y raconte avoir eu recours à un certain Hanna Dyab pour achever son dessein de traduire Les Nuits – sans toutefois le créditer au moment de la publication.
Hanna Dyab au Vatican
En 1928, l’unique manuscrit de Dyab atterrit à Rome après avoir été découvert par hasard par un prêtre de l’Église syrienne catholique, Paul Sbath (1887-1945), au Caire, en Égypte.
Le manuscrit autobiographique est depuis conservé au sein de la collection Sbath de la Bibliothèque apostolique vaticane, initialement de manière anonyme, car les cinq premières pages n’y figurent plus. Composé de 174 folios, l’équivalent de 347 pages, le texte est rédigé dans un arabe aleppin.
En 1993, l’historien Jérôme Lentin, alors doctorant, tombe sur ce manuscrit au cours d’un séjour de recherche à la Bibliothèque vaticane.
Fruit d’une collaboration entre Paule Fahmé-Thiéry, Bernard Heyberger et Jérôme Lentin, la traduction française du manuscrit sera publiée en 2015 chez Actes Sud sous le titre : D’Alep à Paris : les pérégrinations d’un jeune Syrien au temps de Louis XIV. Un ouvrage essentiel, car il offre la vision d’un jeune Oriental du XVIIIe siècle sur l’Occident et présente un regard pertinent sur le Paris des années 1708-1710.
Bernard Heyberger, spécialiste français de l’histoire du christianisme moyen-oriental, attire l’attention sur les parallèles péripéties de Dyab et d’Aladdin. Et argue que le Syrien, par le biais d’Aladdin, narrait ses espérances : celles de gravir les échelons de la société pour améliorer ses perspectives d’avenir.
En outre, Dyab s’inspire de ses propres traits de caractère, mêlant naïveté et ambition, pour construire le personnage d’Aladdin.
Un autre indice mis en avant par l’historien, et pas des moindres, est l’absence d’une source arabe de l’histoire d’Aladdin dans les traditions populaires levantines avant sa première apparition parisienne.
Si l’univers de la magie n’est certes pas présent dans la vie de Hanna Dyab, le destin d’un jeune orphelin de père qui aspire à une vie radieuse puis coudoie un homme machiavélique ne laisse pas l’ombre d’un doute sur le fait que le conteur d’Aladdin narre sa semi-autobiographie à Galland – dont la plume a su créer, à son tour, un des chefs-d’œuvre de la littérature universelle.
Aladdin est ainsi : la rencontre de la narration de l’Orient et de l’écriture de l’Occident, dont la description des lieux n’est autre que l’effet miroir de l’admiration de Galland pour le palais ottoman de Topkapı et celle de Dyab pour le château de Versailles.
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