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Prigojine : qu’implique la mort du dirigeant de Wagner pour le Soudanais Hemetti et le Libyen Haftar ?

Le décès suspect de cet allié de Poutine devenu putschiste fait planer des doutes sur le soutien aux seigneurs de guerre au Soudan et en Libye
Un membre du groupe de mercenaires Wagner rend hommage à Evguéni Prigojine (à gauche) et Dimitri Outkine, figure de l’ombre qui dirigeait les opérations de Wagner et aurait servi dans les renseignements militaires russes, au pied d’un mémorial de fortune érigé devant le bureau de Wagner à Novossibirsk, le 24 août 2023 (AFP)

Le décès soudain et suspect du dirigeant du groupe Wagner et critique de Poutine Evguéni Prigojine dans un crash d’avion mercredi suscite des interrogations quant au sort de ses combattants et de ses réseaux en Russie, en Ukraine, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

La question est d’autant plus cruciale peut-être pour Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé Hemetti et dirigeant des paramilitaires soudanais, ou le seigneur de guerre de l’est libyen Khalifa Haftar, qui sont tous les deux des associés très médiatiques du groupe de mercenaires.

En Libye, les combattants de Wagner appuient Haftar : ils l’ont soutenu dans son offensive ratée de 2019-2020 sur Tripoli et sont actuellement logés sur des sites clés comme les installations pétrolières.

Au Soudan voisin, les agents de Wagner travaillent aux côtés des Forces de soutien rapide (FSR) de Hemetti, un groupe paramilitaire actuellement engagé dans un conflit armé avec les forces armées soudanaises.

Middle East Eye a précédemment rapporté les massacres perpétrés par les combattants de Wagner dans les mines d’or de République centrafricaine, tandis que les États-Unis accusent le groupe de détourner de l’or à hauteur de plusieurs milliards de dollars au Soudan, dont une grande partie se frayerait un chemin jusqu’aux Émirats arabes unis et en Russie.

« Je pense que le plus grand perdant, hormis Prigojine, est Hemetti au Soudan »

- Cameron Hudson, analyste

Ashok Swain, directeur du département de recherche sur la paix et les conflits à l’université d’Uppsala en Suède, déclare à Middle East Eye que le décès de Prigojine aura un « impact profond » sur les activités du groupe Wagner, ainsi que sur les liens de la Russie en Afrique du Nord.

« L’actuelle guerre civile entre l’armée soudanaise et les paramilitaires a considérablement accru les complexités entourant les opérations du groupe Wagner. Prigojine ne représentait pas uniquement le groupe à l’étranger, mais jouait également un rôle pivot en tant que négociateur et solutionneur de problèmes », explique le chercheur.

« Nous devons désormais attendre la nomination d’un successeur de Prigojine, qui dirigera le groupe Wagner. Reste à voir dans quelle mesure ce nouveau dirigeant obtiendra le soutien de Poutine. »

Wagner et les FSR

Le groupe Wagner est apparu au Soudan lors du règne de l’autocrate de longue date Omar el-Béchir et était très impliqué dans la protection des importantes ressources minérales, telles que les mines d’or.

Ses agents ont ensuite été accusés d’avoir aidé le gouvernement de Béchir à tenter de réprimer les manifestations prodémocratie en 2019, bien que Béchir ait au bout du compte été évincé du pouvoir.

Depuis que la guerre soudanaise a éclaté en avril, de nombreuses informations suggèrent que Wagner soutient son allié établi les FSR, bien que ces dernières aient nié à plusieurs reprises l’implication du groupe.

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« Je pense que le plus grand perdant, hormis Prigojine, est Hemetti au Soudan », estime Cameron Hudson, ancien diplomate américain et analyste de la CIA.

Wagner fournirait aux FSR des missiles sol-air, ce qui leur a permis de contrer la puissance aérienne des forces armées soudanaises, ainsi que de nombreuses autres armes.

Hudson fait observer à MEE qu’en raison de la dépendance des FSR envers les lignes d’approvisionnement étrangères pour continuer à prolonger le conflit au Soudan, lequel a déjà fait plus de 5 000 morts et des millions de déplacés, la perte soudaine d’un allié clé pourrait s’avérer désastreuse.

« Verrons-nous des FSR aussi agressives que ces dernières semaines ? Les verrons-nous essayer de tenir leurs positions à Khartoum ? Ils craignent constamment que leurs lignes d’approvisionnement ne soient interrompues », indique-t-il.

Quelles alternatives pour le Kremlin ? 

Les opérations du groupe en Libye sont bien plus publiques.

Les combattants de Wagner ont joué un rôle clé dans l’offensive sur Tripoli de Haftar, lui donnant au départ un nouvel élan avant que cela ne se retourne finalement contre lui. Leurs fortifications défensives dans le centre de la Libye ont aidé à écarter la perspective d’une contre-offensive et les combattants de Wagner seraient restés en Libye par centaines, en plus des Syriens qu’ils emploient.

À la veille de la mort de Prigojine, des responsables militaires russes (parmi lesquels le vice-ministre de la Défense) ont rendu visite à Haftar en Libye, ce qui serait selon eux la première visite officielle d’une délégation militaire dans le pays.

Les fondations d’un avenir sans Prigojine ont certainement été posées par le Kremlin, fait valoir Alia Brahimi, chercheuse non-résidente à l’Atlantic Council.

« Malheureusement, au-delà du “charisme” de l’homme lui-même, c’est toute une architecture qui est encore en place et en jeu, et il est peu probable que nous verrons un impact significatif sur les activités du groupe Wagner en Libye et en Soudan », commente-t-elle à MEE.

« De plus, le Kremlin a eu plusieurs semaines pour préparer l’évincement de Prigojine et avait manifestement confiance en son timing. »

Capture d’écran qui montre le dirigeant du groupe de mercenaires russes Wagner Evguéni Prigojine alors qu’il s’adresse à la caméra dans un lieu non identifié (AFP)
Capture d’écran qui montre le dirigeant du groupe de mercenaires russes Wagner Evguéni Prigojine alors qu’il s’adresse à la caméra dans un lieu non identifié (AFP)

Il y aura toujours beaucoup de « clients » pour la Russie, ajoute-t-elle, en particulier avec l’essor des gouvernements dirigés par des juntes en Afrique subsaharienne, même sans Wagner en tant que contact.

« Ces régimes militarisés n’ont pas appelé le groupe Wagner parce qu’ils aimaient l’allure de Prigojine. Ils avaient des problèmes et Wagner avait des solutions. C’est juste que maintenant, l’État russe s’affiche en tant que fournisseur de services. »

MEE a sollicité une réaction des FSR au sujet de la mort du dirigeant de Wagner, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.

Un avenir incertain

Depuis son arrivée au pouvoir en l’an 2000, beaucoup de Russes médiatisés ont appris que mettre Poutine en colère est très risqué.

Si on ne sait pas encore ce qui a provoqué le crash à l’origine du décès de Prigojine, beaucoup – y compris le président américain Joe Biden – ont promptement pointé du doigt le président russe.

Mais pour Poutine lui-même, il y aura des conséquences au décès du dirigeant du groupe Wagner et au préjudice éventuellement fatal que cela pourrait engendrer sur le groupe de mercenaires.

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Depuis des années, l’organisation était la principale source de forces brutes en Russie et d’influence en Afrique ainsi qu’un contact crucial pour les dirigeants militaires. Sans ce supplétif, la Russie devra endosser un rôle beaucoup plus direct.

Hudson fait remarquer qu’outre la visite de mardi en Libye, la Russie avait contacté plusieurs dirigeants africains depuis la brève mutinerie de Prigojine en juin, tentant de leur réassurer le soutien russe.

La question désormais selon lui est de savoir ce que Poutine va décider de faire avec les ressources de Wagner, notamment ses lucratives activités de trafic d’or.

« Va-t-il permettre à Wagner de poursuivre [ses activités] avec de nouveaux dirigeants ou va-t-il essayer d’absorber Wagner et toutes ses ressources dans ces pays et de les gérer comme filiales de l’armée russe ? », s’interroge Hudson.

Ce dernier ajoute qu’avoir une société militaire non officielle qui travaille sur le continent, s’auto-finançant au travers de ses relations clients, est toujours utile, d’autant que « cet argent va en Russie et bénéficie à l’économie », laquelle est actuellement en difficulté à cause des sanctions occidentales.

« Je pense que Poutine va essayer de contrôler plus directement et de manière plus fiable les entités de Wagner sous une direction russe – mais dans le même temps, il trouvera utile de disposer d’un déni plausible. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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