L’armée israélienne prive des activistes palestiniennes de leurs études universitaires
Il y a deux mois, Bara’a Fuqaha, une étudiante en médecine palestinienne, a été informée de la décision prise par les autorités israéliennes de la suspendre pendant six mois de son cursus universitaire.
Elle était alors étudiante en troisième année à la faculté de médecine de l’université al-Qods à Abu Dis, à l’est de Jérusalem.
Une autre jeune femme, Batoul Dar Assi, étudiante en imagerie médicale dans la même université, a fait l’objet d’une décision similaire en étant suspendue pour quatre mois.
Bara’a Fuqaha, 24 ans, raconte que le 25 juin, elle a reçu un appel de la police israélienne pour être convoquée au poste de police de Maale Adumim, à l’est de Jérusalem, où elle a été interrogée sur ses activités étudiantes.
« Les questions portaient sur mon activité syndicale étudiante. Une fois l’interrogatoire terminé, ils m’ont remis un papier contenant l’injonction de suspension », rapporte-t-elle à Middle East Eye.
Cette politique israélienne n’est pas nouvelle. En 2018 et 2019, l’armée israélienne a pris des décisions similaires en suspendant plusieurs étudiants palestiniens en Cisjordanie occupée pour plusieurs mois, ce qui a entravé l’achèvement de leurs études et les a empêchés de recevoir leur diplôme en même temps que leurs camarades.
Des mesures administratives dévastatrices pour la vie des Palestiniens
Bien que Bara’a ait nié toutes les accusations au poste de police israélien, la suspension avait déjà été entérinée avant l’interrogatoire, affirme-t-elle à MEE.
Bara’a a engagé un avocat pour contester la décision auprès du tribunal militaire israélien d’Ofer, mais l’appel a été rejeté. Le 24 août, le tribunal a rendu une nouvelle décision confirmant la suspension.
Son avocat, Salih Mahameed, explique à MEE qu’il a demandé au tribunal de geler la décision jusqu’à une autre session, lors de laquelle il pourrait être en mesure de réduire la période.
Cependant, Bara’a, qui vit dans le village de Kafr al-Labad près de Tulkarem, explique qu’elle ne pourra pas entrer dans la ville d’Abu Dis tant que la décision n’aura pas été révoquée, ce qui est « peu probable », compte tenu de « l’escalade des politiques punitives israéliennes en Cisjordanie à l’encontre des Palestiniens ».
Salih Mahameed souligne qu’il s’agit d’une décision militaire qui s’inscrit dans une longue liste de mesures administratives israéliennes dévastatrices pour la vie des Palestiniens, telles que la détention administrative, l’expulsion administrative et les injonctions administratives de démolition.
En vertu des lois régissant l’état d’urgence prolongé, les articles 108, 109 et 110 donnent au gouverneur militaire israélien le pouvoir de prendre certaines mesures à l’encontre de tout individu, telles qu’une expulsion, l’interdiction d’accéder à certains lieux ou l’obligation de se présenter deux ou trois fois par mois au commissariat de police pour y être interrogé, mais aussi de déterminer son lieu de résidence ou encore de l’expulser de son lieu de résidence, comme l’explique l’avocat.
« Dans ce cas, les accusations reposent sur des dossiers secrets que personne ne peut voir et il n’y a pas de preuves juridiques, comme c’est le cas avec la détention administrative, qui est une mesure militaire par excellence et qui fait partie de l’arbitraire israélien existant », conclut-il.
Si la suspension est appliquée pour six mois, elle prendra fin le 25 décembre, ce qui revient à priver Bara’a d’un semestre entier.
« Maintenant, j’ai peur d’être surveillée par l’armée israélienne pour que je n’entre pas dans l’université, et d’être arrêtée pour un contrôle d’identité à des barrages israéliens ponctuels si j’essaie de me rendre dans la ville d’Abu Dis pendant la période d’exclusion », s’inquiète-t-elle.
« Il s’agit en fin de compte de restreindre mes déplacements et d’essayer de m’empêcher d’entrer à l’université et d’achever mes études. »
« Cette décision est raciste, constitue une ingérence flagrante et est inacceptable dans nos universités nationales »
- Le gouvernorat de Jérusalem
Le gouvernorat de Jérusalem a publié un communiqué soulignant que la suspension des deux étudiantes relève d’une « politique raciste systématique » visant le système éducatif et ses institutions à Jérusalem.
« Cette décision est raciste, constitue une ingérence flagrante et est inacceptable dans nos universités nationales, où nous sommes fiers de pratiquer le syndicalisme étudiant, garanti par la constitution palestinienne et auquel nos institutions éducatives nationales sont attachées », indique le communiqué du gouvernorat.
La politique de suspension des étudiants de leur université s’est intensifiée depuis 2013. Depuis lors, plus de dix étudiants ont fait l’objet d’une exclusion de leur université dans différentes parties de la Cisjordanie occupée, dans la mesure où les autorités israéliennes ont allégué que leur activité étudiante constituait une menace pour leur sécurité.
Affaiblir le mouvement étudiant
Sa’eda Al-Za’arir, une étudiante en journalisme de 26 ans, a fait les frais de cette même politique israélienne en 2019 alors qu’elle était sur le point d’obtenir son diplôme à l’université de Beir Zeit : une exclusion de son université a été prononcée à son encontre et l’accès à la ville de Beir Zeit lui a été complètement interdit.
« Un officier israélien a appelé mon père et m’a convoquée pour un entretien au centre d’interrogatoire d’Ofer, à l’ouest de Ramallah. Pendant deux heures, j’ai été interrogée sur mon activité étudiante, car j’étais membre du conseil étudiant », raconte-t-elle à MEE.
Il faut deux heures à Sa’eda al-Za’arir, qui vit au sud d’Hébron, pour accéder à la ville de Beir Zeit, située au nord de Ramallah, pendant lesquelles elle peut être arrêtée à n’importe quel poste de contrôle militaire : elle s’est donc pliée à la suspension de peur d’être arrêtée.
« Tout au long de l’interrogatoire, l’officier a passé beaucoup de temps me menacer sur mon avenir. Il m’a dit qu’on m’empêcherait de voyager et que je n’aurais pas un bon emploi, tout cela à cause de mon activité étudiante », poursuit-elle. « À cause de ma suspension, Israël m’a empêché d’assister à ma cérémonie de remise de diplômes. »
La suspension visant Sa’eda a également été prononcée contre son amie Ola Totah, originaire de Jérusalem, pour la même période. Un an plus tôt, une autre étudiante, Asmaa Kadah, a également été exclue de l’université de Beir Zeit, puis arrêtée alors qu’elle tentait de s’y rendre.
Sundus Hammad, coordinatrice de Right to Education Campaign, indique à MEE que la première mesure de suspension israélienne claire date de 2013 et que depuis lors, dix étudiantes ont été expulsées de leur université en Cisjordanie occupée.
Selon Sundus Hammad, certaines suspensions décidées à l’encontre d’étudiantes ont été accompagnées d’injonctions d’assignation à résidence et de confinement dans une zone résidentielle désignée.
Israa Lafi, chercheuse et ancienne activiste étudiante, précise que cette politique a déjà été utilisée par Israël pour réprimer le mouvement étudiant lors de la première Intifada en 1987, en vertu d’un droit accordé au gouverneur militaire israélien dans toutes les régions depuis 1967.
« On isole ces étudiants du milieu auquel ils sont habitués et qu’ils aiment et on les condamne à observer de loin l’activité des autres jeunes et de leur entourage, ceci dans le but de décourager les étudiants de poursuivre leur vie »
- Israa Lafi, chercheuse et ancienne activiste étudiante
La politique visant à exclure les étudiants de leur université a pour but d’affaiblir le mouvement étudiant en le vidant de certains de ses leaders et de ses membres chargés d’influencer le milieu universitaire, estime-t-elle.
« Par ailleurs, on isole ces étudiants du milieu auquel ils sont habitués et qu’ils aiment et on les condamne à observer de loin l’activité des autres jeunes et de leur entourage, ceci dans le but de décourager les étudiants de poursuivre leur vie, en particulier ceux qui sont subissent diverses périodes de détention et qui prennent du retard par rapport à leurs camarades », affirme-t-elle à MEE.
Pour faire face à cette politique, Israa Lafi estime qu’il est nécessaire que les facultés coopèrent avec les étudiants exclus et leur apporte des alternatives pour éviter tout retard dans leur cursus.
Si cela n’est pas possible dans le cas d’une arrestation, cela l’est dans le cas d’une suspension par le biais de l’enseignement à distance, souligne-t-elle.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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