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Invasion terrestre de Gaza : ce qu’Israël a appris de la dernière fois

Alors que l’ancien Premier ministre Ehud Olmert prévient que les soldats israéliens seraient confrontés à « tout ce que vous pouvez imaginer et pire encore » si l’armée lançait une offensive terrestre à Gaza, MEE examine la dernière attaque de ce type dans le territoire palestinien
Des soldats israéliens prennent position à Kfar Aza, dans le sud d’Israël, près de la bande de Gaza, le 10 octobre 2023 (AFP)

Israël masse des dizaines de milliers de soldats près de la bande de Gaza, dans ce qui ressemble de plus en plus à la préparation d’une opération terrestre, quelques jours après une attaque du Hamas qui a fait des centaines de morts ou de disparus israéliens.

Les forces israéliennes ont déjà fait pleuvoir un barrage aérien sur l’enclave assiégée, tuant 1 354 palestiniens selon un récent bilan.

Samedi, le Hamas a lancé un assaut surprise sur plusieurs fronts contre les communautés israéliennes près de Gaza, tirant des milliers de roquettes et envoyant des combattants en Israël par la terre, les airs et la mer. Au moins 1 300 Israéliens ont été tués et 130 personnes ont été ramenées captives à Gaza.

Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a immédiatement déclaré l’état de guerre, tandis que le ministre de la Défense Yoav Galant a ordonné « un siège total » de Gaza. 

Environ 300 000 réservistes – dont des Français – ont été mobilisés par Israël, et Netanyahou aurait assuré au président américain Joe Biden qu’une offensive terrestre était nécessaire.

Ce serait la première incursion de ce type depuis la guerre de Gaza à l’été 2014. Cette offensive terrestre avait été lancée dix jours après le début d’un conflit qui allait durer au total 50 jours. 

L’opération au sol de 2014 

Après plus d’une semaine de frappes aériennes, Israël avait lancé cette exceptionnelle offensive terrestre le 17 juillet 2014 en effectuant des tirs d’artillerie lourde sur les villes de Beit Hanoun et Beit Lahiya, dans le nord de Gaza.

Le 19 juillet, les forces terrestres israéliennes avaient lancé un assaut dévastateur sur Shujaiya, dans l’est de Gaza. Ce district est l’une des zones les plus densément peuplées de l’enclave, abritant plus de 90 000 personnes sur six kilomètres carrés à peine. 

Onze bataillons d’artillerie avaient pilonné la zone avec 7 000 obus explosifs, tandis que l’armée de l’air larguait simultanément presque 91 000 kg d’explosifs. Cinquante-cinq civils palestiniens ont été tués, dont dix-neuf enfants. 

« La plupart des armées du XXIe siècle ne veulent pas d’opérations terrestres parce que c’est extrêmement coûteux pour le camp qui les lance »

- Craig Jones, Université de Newcastle

Près de 700 bâtiments ont été complètement détruits et des centaines d’autres gravement endommagés. 

Le pire était encore à venir : le 1er août, l’armée de terre a lancé un millier d’obus d’artillerie sur la ville méridionale de Rafah, appuyés par des frappes aériennes. Des chars et des bulldozers ont également rasé plusieurs maisons. 

L’assaut a tué 75 civils en une seule journée, dont 24 enfants. 

Au total, 6 000 frappes aériennes israéliennes et 50 000 obus de chars et d’artillerie tirés depuis le sol ont eut lieu pendant les deux mois de conflit. 

Les forces israéliennes ont tué environ 2 251 Palestiniens pendant toute la durée du conflit, dont plus de 500 enfants. Soixante-dix Israéliens ont également été tués, en grande majorité des combattants. 

Mais la portée de l’opération terrestre de 2014 était « assez limitée », explique à Middle East Eye Andreas Krieg, professeur adjoint à la faculté des études de défense du King’s College de Londres, précisant qu’elle visait principalement à cibler les infrastructures de tunnels du Hamas. 

« Il s’agissait d’atteindre des objectifs opérationnels, des objectifs militaires. Il n’a jamais été question d’atteindre un succès stratégique », insiste Krieg. « S’il s’était agi d’un succès stratégique, le Hamas aurait été soit anéanti, soit au moins neutralisé. » 

Des soldats israéliens patrouillent dans une zone de Kfar Aza, dans le sud d’Israël, près de la bande de Gaza, le 10 octobre 2023 (AFP)
Des soldats israéliens patrouillent dans une zone de Kfar Aza, dans le sud d’Israël, près de la bande de Gaza, le 10 octobre 2023 (AFP)

Israël a réussi à ce que l’opération endommage objectivement les tunnels, mais, plus largement, il n’a pas réussi à pénétrer profondément dans les infrastructures du Hamas. Cela a également eu un coût humain important. 

Soixante-cinq soldats ont été tués au total, un nombre relativement élevé étant donné que les offensives israéliennes contre Gaza venaient auparavant principalement du ciel, avec peu de risques pour le personnel.

« La plupart des armées du XXIe siècle ne veulent pas d’opérations terrestres parce que c’est extrêmement coûteux pour le camp qui les lance », indique à Middle East Eye Craig Jones, maître de conférences à l’Université de Newcastle, spécialiste des géographies du droit international. 

Il cite à titre d’exemple l’opération d’Israël en 2014, ainsi que les opérations américaines en Irak et en Afghanistan, et l’invasion en cours de l’Ukraine par la Russie

« L’armée israélienne a, qu’on le veuille ou non, une incroyable capacité aérienne. Elle peut faire un maximum de victimes avec un minimum de dégâts », développe-t-il. « Mais mettre ses soldats à côté des forces ennemies est dangereux et coûteux. » 

Sur les 65 morts, les corps de deux soldats, Oron Shaul et Hadar Goldin, seraient toujours détenus à Gaza à ce jour – sujet d’énorme attention politique intérieure au cours de la dernière décennie. 

Soldats souffrant de traumatismes

En plus des morts, le traumatisme subi par les soldats israéliens qui ont participé à l’opération de 2014 a été bien documenté. 

Les propres données du ministère israélien de la Défense ont montré que sur 481 anciens soldats reconnus handicapés en raison du conflit de 2014, 143 souffrent de trouble de stress post-traumatique (SSPT). 

« [L’armée israélienne] s’est dégradée dans une large mesure, passant d’une armée opérationnelle capable de mener des opérations de combat intensives à une force d’occupation » 

- Andreas Krieg, King’s College de Londres

Une étude récente révèle que ceux qui ont pris part à l’offensive ont deux fois plus de symptômes liés au SSPT que les autres anciens combattants actifs, même plus de cinq ans après le conflit. Les proches des personnes impliquées souffrent également de stress traumatique secondaire. 

En 2021, l’un de ces anciens combattants s’est immolé par le feu, souffrant de brûlures importantes. 

Un an plus tard, un homme de 27 ans qui a été grièvement blessé lors de l’opération et qui souffrait lui aussi de SSPT s’est suicidé

Le bilan physique et mental de l’effort a probablement contribué à la réticence d’Israël à lancer à nouveau une offensive terrestre, y compris lors de l’escalade de la violence en mai 2021

« Beaucoup de jeunes soldats et officiers n’ont pas l’expérience nécessaire en matière de combat pour faire face à ce qui pourrait potentiellement arriver », estime Krieg. 

« [L’armée israélienne] s’est dégradée dans une large mesure, passant d’une armée opérationnelle capable de mener des opérations de combat intensives à une force d’occupation. » 

« Guerre juridique »

L’opération terrestre de 2014 a été l’une des premières fois où Israël a utilisé le concept de « guerre juridique » comme tactique militaire. 

« La guerre juridique est l’utilisation du droit formel ou informel, ou du langage juridique, à des fins militaires », explique Craig Jones, qui a beaucoup écrit sur l’utilisation d’avocats militaires par Israël dans le conflit à Gaza.  

Lors du conflit de 2014, les avocats ont servi de conseillers juridiques aux commandants militaires israéliens sur le champ de bataille, en particulier pendant l’opération terrestre, pour définir les niveaux de risques. 

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L’universitaire observe que si cela répondait en partie à des considérations de droit international, ce recours aux conseillers juridiques a aussi, plus cyniquement, été utilisé par Israël comme une tactique proactive de guerre.

« La loi ne restreint pas ni n’interdit l’action militaire », déclare-t-il. « Souvent, la guerre juridique est utilisée comme tactique pour la multiplication de la force. » 

Exemple à Shujaiya, où, après avoir largué des tracts pour avertir d’une opération imminente, les forces terrestres et aériennes israéliennes ont utilisé une énorme quantité de puissance de feu. 

« C’est le côté le plus sombre de la guerre juridique. Une fois ces avertissements émis… cela donne carte blanche pour transformer une zone en kill box », poursuit Jones.

Autre initiative utilisée par Israël : la directive Hannibal, règle d’engagement interne israélienne qui stipule que si un soldat est enlevé, l’armée peut assouplir ses précautions et agir de manière plus agressive.

« Le protocole Hannibal est l’idée que vous pouvez détruire n’importe quoi dans une zone particulière parce qu’un soldat a été capturé », explique Jones. « Ils ne prennent plus de gants et ils feront tout ce qu’ils peuvent pour récupérer ce soldat, le plus rapidement possible. » 

« L’interprétation d’Israël est que la loi permet à son armée de commettre des violences de masse »

- Craig Jones, Université de Newcastle

Ce protocole a été utilisé lors des énormes attaques sur Rafah le 1er août 2014, lorsqu’un soldat a disparu. 

Bien que la directive ne soit pas un concept de droit international, Jones souligne que celui-ci prend en considération « l’avantage militaire » tiré d’une force excessive dans le cas d’un enlèvement. 

Compte tenu du nombre d’otages pris par des groupes palestiniens ces derniers jours, la directive Hannibal pourrait entrer à nouveau en jeu.

« C’est un autre poids majeur sur l’échelle de l’avantage militaire. Si on lui demande : “Pourquoi tuez-vous des gens ?”, Israël répondra “Parce que nous espérons trouver cette grand-mère ou cette fille kidnappée lors d’un festival” », continue Jones. 

Malgré tous ses efforts avec les avocats militaires, Israël a fait l’objet d’un examen minutieux pour sa conduite dans la guerre de 2014 dans les années qui ont suivi, y compris lors de son invasion terrestre. 

L’ONU a découvert des crimes de guerre potentiels commis par Israël et des groupes palestiniens, tandis que la Cour pénale internationale (CPI) a également lancé une enquête sur les actions des deux parties pendant le conflit. 

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Il y a eu aussi des réactions négatives internes : un rapport de 240 pages du groupe d’anciens combattants israéliens Breaking the Silence, qui a interviewé plus d’une soixantaine de soldats ayant participé à la guerre, a révélé que ces derniers avaient reçu l’ordre d’ouvrir le feu à Gaza de manière aveugle. 

Craig Jones ne pense pas que de telles accusations de crimes de guerre et d’abus dissuaderont Israël d’une incursion terrestre cette fois-ci. 

« L’interprétation d’Israël est que la loi permet à son armée de commettre des violences de masse », conclut-il. 

Ce jeudi, dans une interview accordée au Financial Times, l’ancien Premier ministre israélien Ehud Olmert a prévenu que les soldats israéliens seraient confrontés à « tout ce que vous pouvez imaginer et pire encore » si l’armée lançait une offensive terrestre à Gaza.

Une telle attaque « ne sera pas simple et ne sera pas agréable, ni pour nous ni pour eux », a ajouté Olmert, qui durant son mandat a envoyé des troupes terrestres à Gaza lors de l’assaut israélien sur la bande assiégée en 2008.

Olmert a ajouté que si un tel assaut était lancé, les troupes israéliennes se retrouveraient face à « de nouveaux tireurs ou de nouveaux types de roquettes plus puissantes [et] plus grosses ou de nouvelles roquettes antichars que nous ne connaissons pas ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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