Guerre Israël-Palestine : le dangereux périple d’une famille dans le « couloir de sécurité » de Gaza
Ces dernières semaines ont été profondément traumatisantes pour Fouad Mazen Mudookh, un Gazaoui qui vivait avec sa femme et ses trois enfants dans le quartier de Sabra à Gaza.
La période qui a suivi l’ordre d’« évacuation » dans un délai de 24 heures adressé à 1,1 million de Palestiniens vivant dans le nord de la bande de Gaza – un laps de temps extrêmement court pour organiser un périple vers le sud de l’enclave – a été marquée par des bombardements israéliens incessants.
« J’ai vu l’enfer devant moi. Des frappes aériennes sans interruption », raconte à Middle East Eye le père de famille en se remémorant les nuits passées chez lui.
« Je ne m’attendais pas à ce que la guerre dure jusqu’à aujourd’hui. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit aussi intense et féroce. Cela fait 33 jours. Pouvez-vous imaginer que cela fait 33 jours qu’un génocide est en cours ? »
Fouad Mazen Mudookh et sa famille ont décidé de s’installer chez son père, dans le même quartier, au cours de la deuxième semaine de guerre, car leur maison avait été complètement ravagée par les bombardements.
Deux de ses frères, tous deux mariés, s’y sont également réfugiés. Plus d’une vingtaine de personnes se sont ainsi retrouvées dans un appartement de 100 mètres carrés.
La peur de l’inconnu
« Une fois la nuit tombée, ils se mettent à frapper sans arrêt. Je ressens les battements du cœur de ma fille d’un an. »
L’armée israélienne a engagé une campagne de bombardements incessante contre la bande de Gaza qui a déjà tué plus de 12 000 personnes, dont plus de 4 500 enfants, après l’offensive du 7 octobre au cours de laquelle le Hamas a mené un assaut sans précédent dans le sud d’Israël, faisant quelque 1 400 morts.
À ces bombardements incessants s’ajoutent de graves pénuries de nourriture, d’eau et d’énergie.
L’invasion terrestre d’Israël a coupé le sud de l’enclave du nord, ce qui entraîne des complications supplémentaires dans le territoire qui était déjà sous blocus depuis dix-sept ans.
Fouad Mazen Mudookh passe ses matinées à chercher de la nourriture et de l’eau, arpentant les habitations, les supermarchés et les boulangeries.
« La plupart des boulangeries ont été directement touchées et il n’y a nulle part où trouver de la nourriture. Nous courons d’un endroit à l’autre pour trouver de l’eau. Je peux à peine remplir deux jerrycans jaunes de dix litres par jour. Je cherche aussi de l’eau pour un de mes frères, qui est en fauteuil roulant. »
D’après l’ONU, toutes les boulangeries du nord de la bande de Gaza sont fermées depuis mercredi en raison de la pénurie de fournitures.
« Gaza est devenue une ville fantôme. Rien que marcher dans la rue est dangereux. Les rues identifiables et les points de repère familiers avec lesquels nous avons grandi sont méconnaissables. Tout a été anéanti. »
« La plupart des boulangeries ont été directement touchées et il n’y a nulle part où trouver de la nourriture. Nous courons d’un endroit à l’autre pour trouver de l’eau »
- Fouad Mazen Mudookh, un Gazaoui
Le père de famille confie qu’il ne se sentirait même pas en sécurité à l’hôpital al-Shifa. « Ils continuent de bombarder tous les recoins de Gaza. »
Jeudi 9 novembre, il a été annoncé que les civils pouvaient désormais circuler pendant une fenêtre de quatre heures fixée quotidiennement par l’armée israélienne, ceci afin d’assurer un passage sécurisé de la ville de Gaza et de ses environs vers les parties méridionales de l’enclave.
Malgré cette nouvelle apprise aux informations, son épouse refuse toujours de partir.
« Nous venons de voir des images de corps sans vie de femmes, d’hommes et d’enfants abandonnés dans la rue al-Rashid. Je ne veux pas que nous finissions comme eux, morts et oubliés », confie son épouse Malak d’une voix tremblante, rappelant les images des frappes meurtrières qui ont tué plusieurs Palestiniens qui avaient suivi l’ordre donné par Israël de fuir le nord de la bande de Gaza, avant d’être attaqués.
Les deux frères de Fouad Mazen Mudookh, dont l’un est handicapé, ont également refusé de partir. « J’ai proposé de l’aider, mais il a refusé et m’a exhorté à fuir pour survivre. Il était convaincu que si on devait survivre, on trouverait un moyen. Sa mère a également choisi de rester. Elle m’a dit : “Je ne peux pas supporter l’humiliation.” »
Images d’horreur
Des groupes de défense des droits de l’homme et des organismes internationaux dénoncent sans relâche l’expulsion forcée des Palestiniens du nord vers le sud de la bande de Gaza par Israël, évoquant une répétition de la Nakba.
La Nakba, ou « catastrophe », désigne l’opération de nettoyage ethnique qui a chassé environ 750 000 Palestiniens de leurs terres et de leurs foyers en Palestine historique pour permettre la création d’Israël en 1948.
L’amour indéfectible de Fouad Mazen Mudookh pour ses enfants est cependant ce qui l’a poussé à prendre la décision déchirante de fuir. Pour lui, père de trois enfants âgés d’1 à 5 ans, le choix était évident : rester, c’était s’exposer à la menace imminente d’une mort certaine.
« La seule chose qui m’a poussé à partir, ce sont mes enfants. Je ne veux pas les voir mourir d’une attaque aérienne, de peur ou de faim. Je ne peux plus leur mentir et leur dire que ce ne sont pas des frappes aériennes. Ils comprennent que ce sont des frappes aériennes qui peuvent emporter des vies. »
Mardi matin, Fouad, Malak et leurs trois enfants ont quitté à pied le quartier de Sabra pour rejoindre la rue Dola, un périple rempli de dangers. Il n’a emporté que des vêtements de rechange pour ses enfants, des couches et du lait maternisé.
« C’est tout. La sécurité est ce qui importe le plus. »
Ils sont montés dans une charrette tirée par un âne, s’accrochant à cette lueur d’espoir tandis que les roues grinçaient sur la chaussée usée. Depuis la rue Dola, une intersection majeure de Gaza, leur nouvelle destination était la place Kuwaiti, une autre intersection majeure de la ville, où ils ont repris la marche. L’axe d’évacuation était saturé d’autres habitants en fuite.
Le périple était semé d’embûches, avec un accès limité aux ravitaillements et la menace constante des frappes aériennes. Il n’était pas possible de ralentir ou de se reposer, car chaque seconde comptait.
Les mains levées en signe d’obéissance
Ils sont parvenus à se rendre de la place Kuwaiti au camp de réfugiés d’al-Bureij, traversant un paysage défiguré par la présence de chars et de nombreux soldats israéliens.
Conscient du danger imminent qui guettait, il tenait un maillot de corps blanc, sa carte d’identité et se cramponnait à son épouse, qui berçait quant à elle leur fille d’1 an dans ses bras. Dans l’autre main, il tenait fermement son père de 71 ans tout au long du périple de sept kilomètres.
« J’ai très peur d’être tué et laissé à l’abandon. Personne ne saurait alors rien de nous. C’est ce qu’ils veulent. Ils veulent nous tuer et empêcher le monde de connaître notre existence et notre combat », affirme-t-il.
Alors qu’ils pressaient le pas, ils ont été témoins d’innombrables images d’horreur. Parmi les décombres et la dévastation, des corps jonchaient la route. Les charrettes tirées par des ânes ou des chevaux, autrefois synonymes de vie et de gagne-pain, étaient désormais de sinistres corbillards. Ils sont également tombés sur des munitions non explosées.
Le poids de ces scènes a accablé Malak, qui a été prise de vertiges et de fatigue. Son mari l’a remise d’aplomb en lui passant doucement de l’eau sur le visage, la pressant de continuer d’avancer.
« J’ai vu un homme devant moi et une femme qui tenait un enfant de 3 ans. Lorsque la femme a vu le soldat israélien, elle est tombée à terre et le soldat israélien lui a dit “Avance, khabiby” » dans un arabe approximatif. “Plus vite, plus vite.” »
« Le mari a dû abandonner la femme sous la menace d’une arme. J’ai eu peur qu’il n’arrive la même chose à mon épouse. »
Chaque pas devait être fait avec prudence, les mains levées en signe d’obéissance. Le moindre son émis par un enfant pouvait déclencher des tirs. Toute la famille devait ainsi marcher dans un climat de peur et un silence constants.
Tout en guidant leurs enfants, les parents protégeaient leurs yeux des scènes qui se déroulaient devant eux.
« Ces scènes sont insupportables. J’ai demandé à mes enfants de ne pas regarder ce qu’ils voyaient par terre. Je ne voulais pas que les images de gens et d’animaux morts restent gravées dans leur esprit »
- Fouad Mazen Mudookh, un Gazaoui
« Ces scènes sont insupportables. J’ai demandé à mes enfants de ne pas regarder ce qu’ils voyaient par terre. Je ne voulais pas que les images de gens et d’animaux morts restent gravées dans leur esprit. » Les gens murmuraient des prières, raconte le père de famille.
L’absence de caméras et de journalistes a renforcé leur sentiment d’isolement. « Si nous devions mourir, nos histoires seraient perdues. »
Ce n’est qu’une fois arrivés au camp de réfugiés d’al-Bureij qu’ils ont trouvé des journalistes. Ils ont reçu de l’eau et de la nourriture, puis ont pris une charrette pour se rendre à Deir al-Balah, une ville située dans le centre de la bande de Gaza, derrière la ligne de démarcation tracée par l’armée israélienne.
« Ils appellent cela un “couloir de sécurité” mais il n’y a rien de sécurisé là-dedans. On peut mourir mille fois en essayant de le traverser. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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