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Pourquoi la guerre d’usure à faible intensité du Hezbollah pourrait finalement porter ses fruits

Face aux erreurs de calcul colossales d’Israël à Gaza, l’axe de la résistance pourrait être sur le point de réaliser ses principaux objectifs, à condition de parvenir à mettre un terme au génocide
Sur cette photo prise le 8 janvier, une bannière arborant un portrait du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est suspendue au bâtiment dans lequel le numéro deux du Hamas, Saleh al-Arouri, a été assassiné lors d’une frappe de drone israélienne dans le sud de Beyrouth, le 2 janvier (Anwar Amro/AFP)

Peu après l’assassinat par Israël du numéro deux du Hamas, Saleh al-Arouri, dans le sud de Beyrouth le 2 janvier, le groupe libanais Hezbollah a immédiatement publié une brève déclaration condamnant l’attaque malveillante sur son territoire.

Le lendemain, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a prononcé un discours commémorant le quatrième anniversaire de l’assassinat par le gouvernement américain du général iranien Qasem Soleimani, tué à Bagdad en 2020, la dernière année de l’administration Trump.

Le fait que Nasrallah aborde l’assassinat d’Arouri à cette occasion particulière est significatif puisque Soleimani était l’architecte de ce que l’on appelle « l’axe de la résistance » auquel appartiennent le Hezbollah et les groupes de résistance palestiniens, le Hamas et le Djihad islamique. Parmi les autres membres de facto figurent plusieurs groupes armés en Irak et au Yémen, ainsi que certains relais iraniens en Syrie.

Lors de son discours du mercredi 3 janvier, Hassan Nasrallah a promis une revanche et a réitéré la stratégie de son groupe consistant à poursuivre un engagement militaire mesuré au-delà de la frontière avec l’État sioniste. Deux jours plus tard, dans un discours ultérieur, il a longuement évoqué les résultats de la campagne militaire menée par le Hezbollah contre Israël au cours des trois derniers mois, rappelant que 670 attaques avaient été lancées et que 494 cibles israéliennes importantes avaient été frappées près de la frontière libanaise, dont des dizaines de colonies, de bases militaires, de radars et de stations de surveillance.

Nasrallah a également avancé que pas moins de 230 000 colons israéliens pourraient avoir été évacués du nord du pays, loin des affrontements frontaliers. Sans surprise, les affrontements militaires ont causé d’importantes perturbations pour ces communautés israéliennes et exercé une pression politique et économique sur le gouvernement israélien.

Depuis l’attaque de représailles du Hamas le 7 octobre, Israël a déclenché une guerre d’anéantissement sans précédent contre Gaza, surpassant toutes ses guerres précédentes en matière de brutalité, de cruauté, de mépris total des lois de la guerre, ou faisant preuve d’une adhérence minimale aux conventions de Genève ou aux autres traités internationaux.

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À ce jour, les forces israéliennes ont tué plus de 23 300 Palestiniens, et des milliers d’autres sont toujours portés disparus. Elles ont également blessé et mutilé environ 60 000 Palestiniens et continuent de détruire systématiquement tous les aspects de la vie de manière à rendre la bande de Gaza inhabitable.

La destruction massive a poussé l’Afrique du Sud à déposer le 29 décembre une plainte détaillée pour génocide contre le gouvernement israélien devant la Cour internationale de Justice (CIJ) qui siège à La Haye. Si le résultat de cette affaire peut changer la donne politique dans un avenir proche, Nasrallah a insisté dans son discours sur le fait que seule la force brutale contraindrait Israël à mettre fin à son assaut féroce sur la bande de Gaza.

Dès le début de sa campagne, lancée le 8 octobre, le Hezbollah a défini son rôle dans le conflit à Gaza comme étant un soutien à la résistance palestinienne et un engagement militaire dans une guerre d’usure contre l’armée israélienne.

Stratégie militaire

Le 3 novembre, Hassan Nasrallah a prononcé son premier discours depuis le début de la guerre, dans lequel il a défini l’engagement de son parti comme une intervention militaire mesurée et a mis en garde Israël contre toute escalade ou attaque majeure contre le Liban. Il a affirmé que les opérations frontalières du Hezbollah visaient à attirer un nombre important de forces militaires israéliennes sur le front nord afin d’épuiser l’armée israélienne et d’entraver sa mission de destruction de la résistance palestinienne à Gaza.

Le Hezbollah a défini son rôle dans le conflit à Gaza comme étant un soutien à la résistance palestinienne et s’est engagé militairement dans une guerre d’usure contre l’armée israélienne

Le chef du Hezbollah a précisé que la stratégie militaire du Hezbollah comportait deux volets : le premier consiste à mettre un terme à l’agression sauvage, aux massacres aveugles, aux punitions collectives et aux souffrances à grande échelle qu’Israël inflige délibérément à la population civile de la bande de Gaza.

Dans la mesure où cet objectif était soutenu par l’ensemble de la communauté internationale, à l’exception de l’administration américaine, Hassan Nasrallah a estimé que pour mettre fin à la campagne de terreur d’Israël, il fallait la participation active de la communauté internationale et que cette responsabilité n’incombait pas uniquement à l’axe de la résistance.

L’engagement militaire du Hezbollah face à Israël serait limité et ne serait pas susceptible de dégénérer en une guerre à grande échelle au Liban ou de détourner l’attention de la bande de Gaza.

Toutefois, Nasrallah a souligné que l’axe de la résistance, à titre de stratégie secondaire, était déterminé à contrecarrer l’objectif militaire déclaré d’Israël, à savoir le démantèlement du Hamas et des autres groupes armés.

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Il a laissé entendre que le Hezbollah et ses alliés considéreraient l’éradication du Hamas et du Jihad islamique à Gaza comme une ligne rouge dont le franchissement aurait de graves conséquences. Il a ensuite ajouté qu’une telle riposte suivrait également l’assassinat au Liban de tout dirigeant de l’axe de la résistance.

Hassan Nasrallah a néanmoins maintenu qu’Israël ne serait pas en mesure d’écraser la résistance à Gaza, compte tenu notamment des efforts déployés par le Hezbollah pour épuiser et suffisamment affaiblir l’armée israélienne sur le front nord. Progressivement, la guerre d’usure de faible intensité menée par le Hezbollah a commencé à créer de nouvelles réalités sur le terrain, transformant les règles d’engagement entre les deux parties et affaiblissant les capacités militaires d’Israël.

Si Israël a tenté d’entraîner les États-Unis et d’autres puissances européennes dans le conflit, il a uniquement réussi à les persuader de déplacer d’importants moyens militaires dans la région au début de la guerre.

Toutefois, alors que les États-Unis ont récemment commencé à se retirer et à mettre en garde contre un élargissement de la guerre, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le ministre de la Défense Yoav Gallant se sont mis à faire valoir la nécessité d’une guerre régionale plus large contre le Hezbollah, malgré le fait que Washington souhaite éviter d’être entraîné dans un nouveau conflit au Moyen-Orient, dans un contexte d’intensification de ses rivalités géopolitiques avec la Chine en Asie du Sud-Est et la Russie en Europe.

Des objectifs ambitieux

C’est dans ce contexte qu’Israël a assassiné Saleh al-Arouri, dans une tentative désespérée de redéfinir les règles d’engagement avec le Hezbollah et de remonter le moral des Israéliens, plombé par leur incapacité à atteindre les objectifs militaires et politiques déclarés.

Dans son discours du 5 janvier, Hassan Nasrallah a néanmoins rejeté toute modification des règles d’engagement établies par son groupe en octobre. Il a également promis une riposte à l’assassinat d’Arouri afin de dissuader toute répétition d’incidents sur le sol libanais, tout en s’engageant à éviter une escalade vers une guerre totale, à moins qu’Israël ne décide de provoquer et d’élargir son offensive.

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En l’espace de 24 heures, le Hezbollah a tiré 62 roquettes de précision sur la base israélienne de contrôle du trafic aérien du mont Méron, dans le nord d’Israël. Le groupe a revendiqué des dommages considérables à l’installation stratégique où sont coordonnées toutes les activités de l’armée de l’air israélienne dans le nord, y compris l’opération d’assassinat de Saleh al-Arouri menée à Beyrouth quelques jours plus tôt.

Le 8 janvier, Israël a intensifié ses attaques en assassinant Wissam al-Tawil, qui, en tant que chef adjoint d’une unité de la force d’élite Radwan, était considéré comme l’un de ses plus hauts commandants. Le lendemain, le Hezbollah a lancé une attaque de drone sophistiquée visant le centre de commandement militaire situé dans le nord d’Israël à Safed. De telles frappes de représailles risquent de ne pas être contenues, voire de déboucher sur un conflit régional qui attirerait d’autres acteurs extérieurs, notamment les États-Unis et l’Iran.

Le Hezbollah a assuré que les tirs de roquettes coordonnés n’étaient qu’une « réponse préliminaire » et que d’autres suivraient.

Cependant, ce qui a été particulièrement significatif dans le dernier discours de Nasrallah, c’est l’affirmation audacieuse de nouveaux objectifs pour son groupe et les autres membres de l’axe de la résistance, au nom desquels il semble parler.

Tout d’abord, Hassan Nasrallah a laissé entendre que puisqu’Israël était désormais exposé et affaibli, il serait opportun d’étendre la campagne militaire du Hezbollah et de libérer ce qu’il considère comme des territoires libanais sous occupation israélienne, tels que les fermes de Chebaa et le village de Ghajar.

La poursuite et la réalisation d’une action aussi audacieuse auraient des conséquences majeures qui se répercuteraient dans toute la région, car ce serait la première fois qu’Israël concéderait, sous la pression militaire, un territoire qu’il avait vigoureusement revendiqué. La récente escalade d’Israël pourrait en fait être sa réponse brutale à la déclaration implicite de Nasrallah.

Deuxièmement, il est évident que plusieurs membres de l’axe de la résistance exercent une pression accrue sur Israël et les États-Unis pour qu’ils mettent fin aux atrocités commises à Gaza. Le mouvement Ansar Allah, plus connu sous le nom de Houthis, qui constitue le pouvoir de facto au Yémen, a mené des opérations de premier plan contre des navires commerciaux israéliens ou à destination d’Israël dans le détroit de Bab el-Mandeb et en mer Rouge.

Cette perturbation des navires commerciaux a incité les États-Unis à constituer une coalition navale de plusieurs pays pour lutter contre les attaques des Houthis. Cependant, ces derniers ne se contentent pas de poursuivre leur campagne, ils envoient également des drones meurtriers contre des cibles israéliennes sur terre et en mer.

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Quand les États-Unis ont récemment coulé trois petits navires yéménites, les forces armées houthies ont promis de réagir fermement et de redoubler d’efforts jusqu’à ce que la guerre à Gaza s’arrête. Elles ont affirmé leur droit et leur devoir moral de prévenir le génocide en vertu de l’article 1 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. Si la Cour internationale de justice se prononce en faveur de l’Afrique du Sud, comme le prévoient de nombreux experts, le ciblage et la perturbation de la navigation commerciale israélienne par le Yémen auront acquis une légitimité internationale supplémentaire.

De son côté, le mouvement connu sous le nom de Résistance islamique en Irak a attaqué des bases militaires américaines dans le pays et en Syrie afin d’accroître la pression sur les États-Unis, ouvertement complices de la guerre génocidaire d’Israël.

Et lorsque les États-Unis ont mené des frappes aériennes qui ont entraîné la mort d’un important chef de milice irakien, le Premier ministre du pays Mohammed Chia al-Soudani a rapidement annoncé que son gouvernement mettrait fin à la présence des troupes américaines en Irak et fermerait toutes les bases militaires américaines.

Cette décision représente non seulement un coup dur et une source d’embarras pour les États-Unis, mais elle constituait également un objectif majeur de l’Iran depuis l’assassinat de Soleimani.

Depuis des années, les États-Unis tentent d’isoler l’Iran et ses alliés dans la région. Ils travaillaient sur un accord politique qui aurait normalisé les relations entre l’Arabie saoudite et Israël cette année. Un tel accord aurait ouvert la voie à l’établissement d’un grand projet géopolitique et commercial qui aurait relié l’Inde et le Moyen-Orient (principalement via les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et Israël) à l’Europe, appelé le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC).

Ce projet aurait renforcé les pays que les États-Unis considèrent comme amis tout en isolant ceux qu’ils considèrent comme antagonistes ou hostiles, tels l’Iran et la Turquie. L’IMEC constituait la réponse des États-Unis à l’« Initiative route et ceinture » de la Chine (BRI).

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Alors que la BRI gagne du terrain dans le monde entier, l’attaque du Hamas et la réponse génocidaire d’Israël ont entraîné un revers massif pour les projets américains au Moyen-Orient. Le soutien aveugle des États-Unis à Israël et leur incapacité à élaborer une politique cohérente dans la région ont entamé leur crédibilité et ce qui pouvait leur tenir lieu d’autorité morale.

Parallèlement, face aux erreurs de calcul colossales d’Israël à Gaza, l’axe de la résistance pourrait être sur le point de réaliser ses principaux objectifs géopolitiques, à condition qu’il parvienne à mettre un terme au génocide.

À supposer qu’Israël ne parvienne pas à éradiquer ou à marginaliser le Hamas et les autres groupes armés à Gaza, ce qui est fort probable, l’axe de la résistance se devra de maintenir son front uni pour déjouer le projet américain de refonte de l’architecture politique régionale, qui vise à l’isoler et à construire un nouvel ordre géopolitique centré sur l’intégration de l’État sioniste dans la politique et l’économie de la région.

Les États-Unis essaieront probablement de mettre en œuvre cette stratégie par des manœuvres diplomatiques, des pressions politiques, des incitations économiques et des menaces militaires afin de compenser ce qu’Israël n’a pas pu accomplir sur le champ de bataille. Et c’est là que réside tout le défi pour l’axe de la résistance.

- Sami al-Arian est directeur du Centre pour l’islam et les affaires mondiales (CIGA) à l’Université Sabahattin Zaim d’Istanbul. Originaire de Palestine, il a vécu aux États-Unis pendant 40 ans (1975-2015), où il a été professeur titulaire, conférencier de renom et militant des droits de l’homme avant de s’installer en Turquie. Il est l’auteur de plusieurs études et ouvrages. Il peut être contacté à l’adresse suivante : [email protected].

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

Sami Al-Arian is the Director of the Center for Islam and Global Affairs (CIGA) at Istanbul Zaim University. Originally from Palestine, he lived in the US for four decades (1975-2015) where he was a tenured academic, prominent speaker and human rights activist before relocating to Turkey. He is the author of several studies and books. He can be contacted at: [email protected].
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