Accusation de « génocide » à Gaza : la France sommée de s’expliquer sur sa politique étrangère après le « lapsus » d’un ministre
Il faut « permettre de garantir les souffrances des Palestiniens ». Le lapsus du nouveau ministre de l’Europe et des Affaires étrangères mercredi 17 janvier à l’Assemblée nationale a choqué les partisans du peuple palestinien en France.
Répondant à une question de la députée La France insoumise (LFI) Danièle Obono concernant la position de la France au sujet de la requête de l’Afrique du Sud à la Cour internationale de justice (CIJ) demandant des mesures pour éviter qu’un génocide ne soit commis par Israël dans la bande de Gaza, Stéphane Séjourné a dans un premier temps évoqué de manière détaillée les victimes israéliennes des attaques menées par le Hamas le 7 octobre dernier.
Or, relève l’Association France Palestine Solidarité (AFPS), « il n’a eu aucun mot, aucun, pour parler des 25 000 victimes palestiniennes dont 10 000 enfants, des 85 % de la population de la bande de Gaza déplacée de force et vivant dans une précarité totale, de la famine et de la soif comme arme de guerre, de l’absence de soins pour les malades, les blessés, les femmes enceintes, les nouveau-nés, de la destruction des cimetières et de la profanation des tombes, du dynamitage de tous les bâtiments publics (palais de justice, universités) du bombardement des écoles, des hôpitaux, des lieux de cultes ».
Pour l’association, « la souffrance des Palestiniens est ainsi, une fois de plus, ignorée, invisibilisée ».
Puis, pour rappeler la position de la France, le ministre a demandé de « permettre de garantir les souffrances des Palestiniens ». Un lapsus pour lequel le ministre n’a présenté ni correction, ni excuse.
L’AFPS rappelle qu’alors député européen, Stéphane Séjourné, lors de la dernière conférence des présidents, avait demandé à enlever le terme « permanent » à « cessez-le-feu » dans la résolution présentée au Parlement européen par la députée LFI Manon Aubry ce 18 janvier.
Le ministre a ensuite laissé entendre que la France ne soutenait pas l’accusation de génocide portée par l’Afrique du Sud contre Israël, déclarant : « Accuser l’État juif de génocide, c’est franchir un seuil moral – on ne peut exploiter la notion de génocide à des fins politiques, c’est notre position constante […] ».
« Nous disons fermement aux Israéliens : “le respect du droit s’impose à tous, les frappes systématiques à Gaza doivent cesser”, mais les mots ont un sens », a ajouté Stéphane Séjourné.
« Virage »
Ces remarques ont particulièrement fait réagir les internautes, qui ont souligné notamment le deux poids, deux mesures de la position française vis-à-vis de l’invasion russe de l’Ukraine et de la guerre israélienne à Gaza.
L’un d’eux dénonce ainsi une « réponse lamentable du ministre des Affaires étrangères », rappelant que « la notion de génocide n’est pas une notion morale mais une notion juridique ».
L’AFPS souligne pour sa part qu’en qualifiant Israël d’« État juif », le ministre ouvre « une nouvelle page ». L’association demande ce qui justifie « ce virage » dans la politique extérieure de la France et depuis quand Paris se fait le « porte-parole d’un État étranger, en l’occurrence Israël, qui dans son droit constitutionnel ignore 20 % de sa population », en référence aux citoyens palestiniens d’Israël, victimes de discriminations qui ont été comparées au système d’apartheid sud-africain par le rapporteur spécial de l’ONU et plusieurs ONG de défense des droits de l’homme de premier plan.
« Après avoir rappelé que le droit international s’impose à tous (sans qu’aucune piste ne soit donnée pour l’imposer à Israël comme cela a été fait pour la Russie) nous avons compris des propos du ministre qu’Israël était exonéré du respect de la Convention pour la prévention du crime de génocide au motif que les juifs européens ont été eux-mêmes victimes d’un terrible génocide », déplore l’AFPS.
Interrogé ce jeudi par l’agence de presse turque Anadolu, le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay a tenu à assurer que « la France soutient la Cour internationale de justice, qui est à nos yeux l’organe judiciaire principal des Nations unies et cette juridiction est pour nous un pilier de l’ordre international ».
Christophe Lemoine a toutefois souligné l’importance du contexte historique dans l’interprétation des termes utilisés par le ministre français des Affaires étrangères.
« Comme l’a dit le ministre [Séjourné], les mots ont un sens et parler de génocide n’est pas quelque chose de neutre, surtout quand on parle de génocide pour Israël. La convention Génocide a été adoptée au lendemain de la deuxième guerre mondiale dans le contexte que vous connaissez tous : des crimes de l’Allemagne nazie. Et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre les mots du ministre », a expliqué le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay.
Il a également réitéré son engagement envers le droit international humanitaire. « Les souffrances des populations civiles doivent cesser ; il faut évidemment œuvrer à un cessez-le-feu. Nous avons, d’ailleurs, à ce titre, condamné les déclarations irresponsables des ministres israéliens appelant à l’émigration de la population gazaouie et rappelé que le transfert forcé des populations constitue une violation grave du droit international au sens des Conventions de Genève et du statut de Rome », a ajouté Lemoine.
En réponse à une question de la radio RFI sur l’influence potentielle de la France dans l’application des décisions de la Cour internationale de justice, Christophe Lemoine a fait preuve de circonspection. « C’est une procédure qui va suivre son cours et nous verrons le moment venu si nous décidons et comment nous décidons d’agir », a-t-il indiqué.
Début janvier, l’ambassadeur Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès de l’Organisation des Nations unies à New York, avait réitéré qu’en tant que « fervente partisane de la CIJ », la France soutiendrait la décision de la Cour, quelle qu’elle soit.
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