Bastion houthi en ruines suite aux frappes aériennes saoudiennes
AL MUKALLA, Yémen - Les semaines de frappes aériennes lancées par une coalition menée par l’Arabie saoudite ont dévasté la province septentrionale de Sadah au Yémen, fief reculé des Houthis chiites, que la coalition tente de repousser
« Les Saoudiens ont décimé Sadah. Ils ont bombardé aussi bien des routes, bâtiments publics et écoles que des sites militaires », a déclaré Mouammar al-Thari, vice-gouverneur de Sadah, lors d’un entretien téléphonique lundi avec MEE.
Al-Thari soutient le classement de la province en « zone sinistrée ». Il appelle les organisations internationales de défense des droits de l’homme à faire pression sur l’Arabie saoudite et l’inciter à cesser ses frappes.
Depuis mars, la coalition a lancé des raids quotidiens sur des sites militaires tombés aux mains des Houthis, appuyés par les forces fidèles à l’ex-Président Ali Abdallah Saleh. Le but est d’ôter sa capacité de nuire au puissant mouvement houthi car, l’an dernier, ces combattants ont en effet déferlé des montagnes de Sadah et se sont emparés d’une grande partie du Yémen.
Des observateurs se sont surtout intéressés à la capitale Sanaa et à la campagne lancée pour repousser les Houthis assiégeant la ville portuaire méridionale d’Aden. Or, c’est Sadah qui a été la plus bombardée, et des avions de chasse ont détruit camps militaires, ponts, véhicules armés et banques gérées par le gouvernement.
« Leur campagne s’efforce essentiellement d’affamer la province, pour la priver de carburants et nourriture, en bombardant les réservoirs de pétrole et camions de nourriture destinés à Sadah », a déclaré al-Thari, qui se décrit comme partisan houthi.
Certes, les frappes contre Sadah affaibliront sans doute la puissance de l’armée houthie, disent les analystes, mais cela ne fera finalement que renforcer leur détermination à se battre.
« Je suppose que Sadah restera un bastion houthi pendant encore longtemps ; c’est leur bastion géographique, outre que la plupart de leurs dirigeants y résident », a déclaré Adam Baron, expert du Yémen et chercheur invité au Conseil européen des relations étrangères. « A mon avis, peu d’indices, voire aucun, indiquent que les Houthis envisageraient d’abandonner la lutte. »
Al-Thari s’est déclaré incapable de confirmer les allégations de Human Rights Watch : dans un rapport publié la semaine dernière, il existerait des « preuves crédibles », dont des vidéos et photos, montrant que la coalition bombarde la province de Sadah avec des sous-munitions en grappe – arme interdite aux termes d’un traité de 2008, qu’Etats-Unis, Arabie saoudite et Yémen n’ont pas signé.
HRW a déclaré que les sous-munitions, censées avoir été utilisées mi-avril, seraient tombées sur un plateau agricole, à moins de 600 mètres des villages. Selon des photographies obtenues par l’organisation, ces armes auraient été fabriquées et fournies par les Etats-Unis.
Passé sanglant
Entre 2004 et 2010, Sadah fut le théâtre de six guerres sanglantes entre Houthis et forces de l’ex-Président Ali Abdallah Saleh, au cours desquelles des bombardements aveugles, dont la plupart effectués par le gouvernement yéménite et l’Arabie saoudite, ont tué des milliers de personnes, dont de nombreux civils, et déplacé des populations par centaines de milliers.
Après le cessez-le-feu en 2010, le gouvernement a en grande partie abandonné la province aux Houthis, qui ont apporté une paix et stabilité relatives. Cependant, certaines villes, dont la capitale provinciale Sadah, sont restées en ruines et privées d’infrastructures de base telles qu’écoles et hôpitaux.
Lorsqu’en janvier, les Houthis ont étendu leur emprise sur le pays, et renversé le président Abd Rabo Mansour Hadi, pour le remplacer par un conseil présidentiel, certains à Sadah
A en croire les résidents locaux, le contrôle politique des Houthis n’a pas amélioré la situation de la province, et la dernière vague de violences n’a fait qu’empirer leur sort.
Mort par asphyxie
Des années de négligence, aggravée par les récentes violences, ont laissé le secteur de la santé de Sadah au bord de l’effondrement complet, a dit à MEE Mohammed Hajjar, directeur de l’hôpital al-Jamhouria à Sadah.
L’assaut mené par l’Arabie saoudite a privé les Houthis de produits de première nécessité, dont carburants et aide médicale, a déploré Hajjar ; et les hôpitaux tels que le sien seront bientôt contraints de fermer.
« Certaines unités, telles que soins intensifs et dialyse rénale, risquent fort la fermeture, du fait des pénuries de carburant et d’oxygène », a déclaré Hajjar.
Les zones rurales comptent six petits hôpitaux, et la ville de Sadah en a deux, dont celui de Hajjar.
« Après chaque vague de frappes aériennes, nous recevons généralement deux à trois victimes décédées, dont la plupart par asphyxie, pendant qu’elles tentaient de s’extraire des décombres de leurs maisons », a déclaré Hajjar.
La plupart des médecins étrangers – principalement russes, syriens et indiens –, autrefois l’épine dorsale du secteur de la santé, ont maintenant été évacués du Yémen.
La province a été soumise à des années de violence et les enfants de Sadah en paient le lourd tribut, déplore Hajjar. « Je constate que la clinique psychiatrique accueille un nombre croissant d’enfants traumatisés. »
Certains critiquent les Houthis et les accusent d’exagérer la situation de la province afin de s’attirer les bonnes grâces du public, faisant remarquer que d’autres villes comme Aden, Taiz et Dhale souffrent elles aussi de crises humanitaires.
« Dans les campagnes, on trouve certains produits alimentaires... Je soupçonne les Houthis d’exagérer la situation humanitaire à Sadah pour gagner le soutien du public et monter les gens contre les Saoudiens », a déclaré un résident, qui a préféré rester anonyme par crainte de représailles.
« Les Saoudiens n’ont pas bombardé de zones résidentielles, mais bien des dépôts d'armes et des bâtiments gouvernementaux, utilisés par les Houthis pour stocker des réservoirs », a-t-il dit.
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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