Paix en Palestine : la connexion entre Donald Trump et Tony Soprano
Alors que je dévorais la retranscription de l’interview de Donald Trump par le New York Times sur un iPad à 4 heures du matin, comme on le fait ces jours-ci (une façon insomniaque de consommer des actualités « post-vérité »), une réponse au moins a été apportée à une question.
Qui vient de devenir l’homme le plus puissant du monde ? Tony Soprano, de toute évidence.
Comme Donald, Tony a une famille. Comme Donald, Tony a un business dont il ne peut se séparer. Comme Donald, Tony se sent mal-aimé et incompris.
Les propos accordés par Trump au NYT auraient pu sortir tout droit de la bouche du gangster du New Jersey : « Paul Ryan m’apprécie désormais, Mitch McConnell m’apprécie ; c’est incroyable de voir à quel point gagner peut changer les choses. J’apprécie Chuck Schumer depuis longtemps. En fait, j’ai recueilli beaucoup d’argent pour Chuck et je lui ai donné beaucoup d’argent au fil des ans. Je pense que j’ai été la première personne à avoir jamais versé de l’argent à Chuck Schumer. [...] Je ne sais pas s’il est disposé à reconnaître cela, mais je crois que c’était sa première contribution de campagne, 500 dollars. Mais Chuck Schumer est un bon gars. Je pense que nous nous entendrons très bien. »
Je suis un fan de Tony Soprano. À mes yeux, il est tout là-haut avec Malvolio, le Roi Lear et Lady Macbeth. Mais dans quelques semaines seulement, ce personnage fictif pourra se mettre à l’aise dans le Bureau ovale, et cet événement aura des conséquences.
Nous aurons droit à la vision du réchauffement climatique d’un propriétaire de golfs. Nous aurons droit à la vision des réglementations d’urbanisme d’un promoteur immobilier. Et ici, au Moyen-Orient, nous aurons droit à la vision de la Palestine d’un négociateur, aidé et encouragé par son consigliere et gendre (qui d’autre ?) Jared Kushner.
« Jared est un gars très intelligent. C’est un très bon gars. Pour les personnes qui le connaissent, c’est une personne de qualité et je pense qu’il peut être très utile. J’adorerais pouvoir être celui qui fera la paix entre Israël et les Palestiniens. J’adorerais cela, ce serait une si grande réussite. Parce que personne n’a été capable de le faire. »
Kushner convient parfaitement au poste. Ce juif orthodoxe a aidé Trump à écrire son discours devant l’AIPAC, dans lequel le candidat à la présidence a déclaré que les Palestiniens devaient effacer leur haine d’Israël de leur système éducatif et arrêter de nommer des lieux publics en hommage à des personnes qui ont attaqué Israël. Trump a déclaré que les États-Unis devaient se tenir du côté d’Israël pour rejeter les tentatives des Nations unies d’imposer des restrictions à Israël ou des paramètres en vue d’un accord de paix.
Les Palestiniens ne peuvent pas attendre. 2017 marquera le 50e anniversaire de l’occupation qui, fidèle à elle-même, n’a jamais semblé aussi sombre. Permettez-moi d’esquisser la forme du dernier cercueil en date dans la tombe de la fin du conflit.
Israël se dirige vers 2017 avec plusieurs décisions clés à son actif. Il a interdit la branche nord du Mouvement islamique, qui représente 42 % du vote des Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne. La police a ensuite attaqué et arrêté des membres et des dirigeants du parti laïc Balad, un des quatre éléments de la Liste unifiée arabe à la Knesset, dans le cadre d’une enquête sur des financements étrangers.
Benyamin Netanyahou, dans le même temps, cherche à atténuer le bruit. Comment peut-il faire taire les appels à la prière musulmans ?
« Je ne peux pas compter le nombre de fois – elles sont tout simplement trop nombreuses – où des citoyens de tous les horizons de la société israélienne, de toutes les religions, se sont tournés vers moi pour se plaindre du bruit et de la souffrance causée par le bruit excessif venant de l’appel public des maisons de prière », a déclaré Netanyahou au cabinet.
Après un petit hic causé par l’anxiété des ultra-orthodoxes face au fait que les synagogues seraient forcées par cette même mesure d’arrêter de diffuser le commencement du sabbat, les rédacteurs du projet de loi ont proposé une solution relevant d’une « tactique du salami » : la mesure ne s’appliquera qu’entre 23 heures et 7 heures, interdisant ainsi le premier des cinq appels quotidiens à la prière avant l’aube.
Les tweets publiés quotidiennement par les ministres au gouvernement sont incendiaires. Le plus récent a été posté par Naftali Bennett, le ministre de l’Éducation, qui a commenté une série d’incendies criminels présumés en affirmant que « les seuls individus capables d’incendier la terre sont des individus auxquels elle n’appartient pas », insinuant que les personnes en question étaient arabes.
En dehors d’Israël, l’atmosphère est encore plus sombre. Le Fatah et le Hamas sont tous deux contestés dans leur leadership. Gaza vit actuellement sa dixième année de siège dans les décombres de trois incursions majeures israéliennes et d’incursions mineures beaucoup plus nombreuses. Deux navires turcs sont venus fournir 400 chargements de camions de provisions, soit la moitié de ce que l’enclave consomme en une journée.
Le Hamas utilise des moyens inventifs pour ouvrir le poste frontalier de Rafah avec l’Égypte, qui s’est avérée être l’agent de répression le plus brutal du siège depuis le coup d’État militaire de 2013, dont l’ardeur dérange même les services de renseignement militaire israéliens.
Lors de sa rencontre récente à Doha avec des responsables du Hamas, le président palestinien Mahmoud Abbas s’est plaint de la décision prise par les autorités gazaouies d’autoriser des hommes du Fatah à assister à une conférence à Ain Soukhna.
Les visites de Gazaouis en Égypte sont organisées en trois groupes : les universitaires, les hommes d’affaires et les personnalités politiques de toutes les factions. L’ironie qui réside dans le fait d’entendre le chef du Fatah se plaindre au Hamas au sujet des mouvements de membres du Fatah à Gaza n’a pas échappé aux personnes présentes.
Sauf évidemment à tous ceux qui savaient que ces hommes du Fatah n’étaient pas fidèles à Abbas, mais à son grand rival Mohammed Dahlan.
Une source informée de la réunion a déclaré : « Le Hamas l’a toujours dit à Abou Mazen : il s’agit d’un problème interne. C’est votre problème. C’est à vous de le résoudre. Pas à nous. Le Hamas ne garantit pas que nous serons de votre côté ou de l’autre. Il essaie de rester neutre. L’essentiel, c’est qu’il n’y ait pas d’affrontements entre nous et les deux groupes, comme [cela s’est] produit dans les camps en Cisjordanie. »
Ce qui nous amène à l’événement principal : la guerre de succession au Fatah. Âgé de 81 ans, Abbas est déterminé à exclure Dahlan du Comité central du Fatah, dont il a été expulsé en raison de diverses allégations de corruption en 2011. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’Égypte, la Jordanie et les Émirats sont déterminés à voir Dahlan remplacer Abbas au poste de chef de facto de l’AP, de l’OLP et du Fatah.
Dahlan a conservé son immunité contre des poursuites en tant que député en exercice, bien qu’il s’agisse du Conseil législatif palestinien, un parlement qui ne s’est pas réuni depuis neuf ans. Cette immunité a été rompue par un tribunal, la Cour constitutionnelle palestinienne, mise en place par Abbas dans ce but précis.
L’arène principale de ce combat sera le septième Congrès du Fatah prévu la semaine prochaine. Sera-t-elle une grande tente visant à reconstruire de bas en haut la légitimité brisée du parti et à réunifier les factions fracturées du Fatah ? Un indice des intentions d’Abbas est apparu lors de sa rencontre avec le Hamas à Doha.
Abbas ne s’est pas contenté de se plaindre au Hamas au sujet des hommes de Dahlan à Gaza. Il voulait une faveur. Le Hamas autoriserait-il 300 des partisans d’Abbas à assister au congrès de Ramallah ? Bien sûr, lui a-t-on répondu.
Un autre indice sur le congrès est apparu avec l’information selon laquelle Abbas a chargé les organisateurs de réduire la liste des délégués de 1 900 à 1 300.
Aux dires de tous, ceci pourrait être un mécanisme bien rodé visant à produire un résultat spécifiquement écrit par Abbas lui-même. Abbas désignera-t-il un vice-président du Fatah, un vice-président de l’OLP et un vice-président de l’AP – au lieu d’attribuer les trois rôles à un seul homme ? Les signes indiquent qu’Abbas imposera une solution à sa succession et que sa solution finira par rendre l’âme.
Ni Abbas, ni Dahlan ne sont en mesure d’offrir aux Palestiniens des élections, un renouvellement, une reconstruction et une revitalisation. Le Hamas restera retenu à Gaza, bien que l’Égypte ait promis d’ouvrir Rafah au trafic de marchandises, ce qui serait une première si cela arrivait. Personne ne retient son souffle.
Telle est donc la scène qui attend le négociateur Trump. Le nombre de colons va bientôt franchir la barre des 800 000, dont plus de 350 000 à Jérusalem-Est, alors que l’on projette d’atteindre le million de colons dans quelques années. Pour eux, l’élection de Trump est une manne tombée du ciel.
Le feu de signalisation permettant la construction d’un Israël plus grand, que Barack Obama et les anciens présidents américains maintenaient au rouge sans imposer de sanctions lorsqu’il était franchi, est désormais passé au vert. Nous vivons des heures extrêmement périlleuses pour la cause palestinienne. Absolument personne hors de la Palestine n’intervient en faveur de cette cause – ni la Jordanie, ni l’Arabie saoudite, ni l’Égypte, qui veulent toutes imposer un leader en la personne de Dahlan, lequel fera ce qu’Israël et les États-Unis lui diront de faire.
Cela jette les bases d’une décomposition encore plus cataclysmique de l’autorité en Cisjordanie, qui pourrait laisser entrer toutes sortes d’acteurs avec lesquels, a priori, il n’y a pas de place pour la négociation. Quoi que l’on puisse dire d’autre de la résistance palestinienne à l’occupation, celle-ci a réussi à rester nationaliste et politique par nature et non religieuse ou fondamentaliste, quoi que l’on pense du Hamas. Cette barrière menace aujourd’hui de s’effondrer. En laissant le conflit entre les mains de la coalition d’extrême droite israélienne actuelle et de ses colons, c’est exactement ce qui se passera.
« Hé, qu’est-ce que j’ai fait ? », dira Tony le mal-aimé dans quatre ans. Rien, lui répondront ses détracteurs. Et ne rien faire pendant quatre années supplémentaires suffira pour faire basculer ce conflit.
- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian, où il a précédemment occupé les postes de rédacteur associé pour la rubrique Étranger, rédacteur pour la rubrique Europe, chef du bureau de Moscou et correspondant européen et irlandais. Avant de rejoindre The Guardian, David Hearst était correspondant pour la rubrique Éducation au journal The Scotsman.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Donald Trump a indiqué au New York Times qu’il « [adorerait] pouvoir être celui qui fera la paix entre Israël et les Palestiniens » (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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