Les étudiants yéménites préfèrent étudier sous les arbres que de perdre une autre année
LAHJ, Yémen – Les cours commencent à 8 heures du matin mais le froid contraint Abdulhaq Ali Ghalib (18 ans), étudiant à l’école al-Rab dans le district d’al-Qabaita de Lahj, à se réveiller à 6 heures du matin afin d’arriver assez tôt pour se mettre à un endroit ensoleillé.
« Il fait si froid le matin, il est difficile de comprendre le professeur et la seule solution est de m’asseoir au meilleur endroit de la classe, là où il y a toujours les rayons du soleil », a déclaré Abdulhaq à Middle East Eye, jetant un regard à un groupe d’étudiants d’une autre classe assis sous un arbre à proximité.
Abdulhaq est originaire de la région de Karesh, qu’il a quittée à cause des combats, mais vit maintenant avec sa famille dans l’école qu’il fréquente après sa transformation en camp pour les personnes déplacées. Parce qu’ils ne voulaient pas manquer une année universitaire, les élèves ont choisi d’étudier sous les arbres dans la vallée.
Les affrontements violents dans la région de Karesh ont jusqu’à présent obligé 425 familles à quitter leurs maisons et à se rendre dans d’autres régions dans les provinces de Lahj et d’Aden. Beaucoup d’entre elles ont opté pour le district d’al-Qabaita car il est le plus proche de Karesh et possède des camps pour les personnes déplacées.
En raison des violences et de la fermeture des écoles, plus de 350 000 enfants n’ont pas pu reprendre leurs études au cours de la dernière année scolaire, ce qui porte le nombre total d’enfants non scolarisés au Yémen à plus de deux millions.
« Les enfants qui ne sont pas scolarisés courent le risque d’être recrutés pour combattre », a déclaré le mois dernier le représentant de l’UNICEF au Yémen, Julien Harneis, selon le site web de l’organisation au Yémen.
L’UNICEF estime que 2 108 établissements scolaires à travers le pays ne peuvent plus être utilisés. Ils ont été détruits ou endommagés, accueillent des familles déplacées à l’intérieur du pays ou sont utilisés à des fins militaires.
« Nous étudions au milieu de la poussière et du bruit, et nous souffrons d’une mauvaise posture car nous n’avons pas de chaises ou même un endroit pavé pour s’asseoir », a déclaré Abdulhaq. « Mais cette souffrance vaut mieux que de perdre une autre année. Nous n’avons pas étudié l’année dernière. »
Abdulhaq se considère plus chanceux que Heela Husain : lui a trouvé un endroit où s’asseoir au soleil alors que les cours de Heela (17 ans) se passent toujours sous un arbre, où elle a toujours froid.
« Je souffre de maux de tête à cause du froid et de la poussière », a déclaré Heela à MEE. « Je dois laver mes vêtements tous les jours car je suis assise sur un sol poussiéreux pendant quatre heures par jour. »
Les élèves ont l’impression de ne pas saisir la plupart de ce qu’il leur est enseigné : l’environnement d’enseignement n’est pas propice à l’apprentissage et il est difficile pour eux d’être attentifs en raison des intempéries et de la douleur due au fait d’être assis sur le sol.
Les tentes peuvent être une solution
Le directeur de l’école al-Rabo, Farea Saeed, a déclaré avoir rencontré les parents d’élèves et les enseignants il y a deux mois et avoir décidé de reprendre les cours sous les arbres car les déplacés ne peuvent pas évacuer l’école et retourner chez eux à cause des combats.
« L’environnement n’est pas adapté à l’étude car les gens sont malades et on manque cruellement de tableaux noirs et d’autres fournitures, mais c’est notre seule option », a-t-il confié à MEE. « Il n’y a pas de toilettes pour les élèves et ils doivent se soulager derrière de grands rochers. »
Il y a plus de 850 élèves dans les classes primaires et secondaires de l’école al-Rabo, qui étudient tous sous les arbres. L’école n’a que trois tentes, ce qui n’est même pas suffisant pour trois classes primaires, selon Saeed.
Depuis l’escalade du conflit il y a plus de dix-huit mois, les attaques contre les écoliers, les enseignants et les infrastructures éducatives ont eu un impact dévastateur sur le système éducatif du pays et sur les chances de millions d’enfants d’avoir accès à l’apprentissage.
« Le principal problème est que les personnes déplacées n’ont pas de tentes, donc nous ne pouvons pas leur demander de quitter l’école. Je demande aux organisations humanitaires de nous fournir des tentes afin que les élèves puissent étudier à l’intérieur, ce serait beaucoup mieux que sous les arbres », a ajouté Saeed.
Il a confirmé que plus de 170 élèves de l’école sont déplacés et qu’il ne peut pas fournir de manuels scolaires même à la moitié des élèves.
Il croit que le milieu pédagogique actuel pourrait empirer dans les prochains mois car la pluie attendue pourrait empêcher les élèves d’étudier sous les arbres. « La saison des pluies viendra au cours des prochains mois et cela entravera nos efforts d’enseignement sous les arbres, c’est pourquoi je demande aux organisations et aux personnes charitables de nous fournir des tentes. »
Riyad Salem, un enseignant de l’école, a confirmé que l’environnement éducatif ne répondait pas aux normes les plus élémentaires car les étudiants ne peuvent pas saisir ne serait-ce qu’un quart des leçons, mais les parents des élèves et la direction de l’école ont insisté pour reprendre les cours.
« Pendant que j’enseigne aux élèves, ils sont occupés à regarder ailleurs et à écouter les oiseaux sur un arbre, ou à nettoyer leurs vêtements de la poussière, donc je peux dire qu’il est difficile d’enseigner dans ces conditions et je préfère cesser d’enseigner », a ajouté Salem à MEE.
« Même s’il y a des tentes, je ne pense pas que nous puissions enseigner à l’intérieur. Je préfère que les personnes déplacées vivent dans les tentes et que nous retournions dans notre école. »
Le bureau de l’éducation ne peut pas aider
Le directeur du bureau de l’éducation du district d’al-Qabaita, Mohsen Gazem, a déclaré que la guerre avait fait fermer huit écoles dans les zones de conflit du district, notamment Karesh, et forcé les élèves à chercher des écoles alternatives à al-Qabaita ou ailleurs.
« Nous avons distribué quatorze tentes pour plusieurs écoles, dont trois pour l’école al-Rabo, et nous savons que ces tentes ne suffisent pas aux étudiants mais nous n’en avons pas d’autres à fournir », a indiqué Gazem à MEE. « Le bureau de l’éducation ne dispose pas de voiture et n’a pas de budget de fonctionnement ; nous ne pouvons donc pas visiter les écoles de plein air. »
Il a déclaré que des élèves étudiaient dans des mosquées et des tentes, et que plus de 1 000 d’entre eux étudiaient sous les arbres dans les zones rurales d’al-Qabaita.
Gazem a ajouté : « Le système éducatif est l’un des secteurs les plus endommagés par la guerre et nous ne pouvons pas le reconstruire car la guerre est en cours et les bureaux de l’éducation travaillent sans budget. Nous devons donc attendre la fin de cette guerre atroce. C’est alors que le gouvernement pourra aider. »
Il a confirmé que même si l’environnement n’était pas adapté à l’enseignement, la reprise des cours peut contribuer à empêcher les élèves de prendre les armes. Certains étudiants ont rejoint la guerre l’an dernier lorsqu’ils se sont retrouvés déscolarisés et c’est ce même motif qui a poussé les parents à envoyer leurs enfants étudier sous les arbres.
Depuis l’escalade du conflit en mars 2015, l’UNICEF a constaté que 1 210 enfants, dont certains âgés de seulement 8 ans, ont été recrutés pour combattre.
« Mon père a perdu son travail de vendeur de légumes à Karesh et le gouvernement ne pouvait pas nous fournir suffisamment de nourriture. Nous n’avions pas non plus de maison convenable, mais j’espère que le gouvernement pourra mettre fin à nos souffrances sous les arbres », a déclaré Abdulhaq.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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