Les dirigeants palestiniens devraient se retirer poliment ou être renvoyés par le peuple
Lors de la dernière réunion du Conseil national palestinien à Ramallah, le président Mahmoud Abbas, en évoquant certaines des réussites palestiniennes des ces dernières années, a filé la métaphore du football.
Il a rappelé qu’en 1934, l’équipe palestinienne – battue un but à zéro – avait été privée par l’Égypte d’une place en Coupe du monde de football. Il leur a rappelé avec fierté qu’en 2009 la Palestine s’était classée 179e au classement mondial de la FIFA.
Elle est toutefois passée à la 80e place du classement récemment publié, alors qu’Israël se trouvait en 98e position, « malgré tous les efforts qu’ils ont déployés », a-t-il souligné.
Abbas attribue cette réussite aux efforts considérables de la Fédération palestinienne de football, mais ajoute toutefois qu’elle est aussi due au fait que le sport n’est pas politisé – et que quiconque voulant y participer peut le faire indépendamment de la faction politique à laquelle il appartient. Il a prédit en plaisantant qu’« un jour, nous pourrions même nous placer avant l’Amérique ».
Sa métaphore du football était intéressante, mais dans un sens différent.
La métaphore
Les dirigeants palestiniens pourraient-ils tirer des leçons de ce beau sport ? Si la Palestine était une équipe appartenant à l’une des leagues anglaises, comment son leadership gagnerait-il régulièrement, grimperait-il dans chaque ligue, serait-il promu et gagnerait-il ensuite le prix ultime du championnat voire (pour compléter la métaphore) sa liberté et son indépendance ?
En football, comme en politique, il faut créer des équipes gagnantes – sur le terrain comme en dehors des stades. Les clubs de football sont sur le marché pour détecter les talents, acheter les meilleurs joueurs du moment, mais aussi pour faire progresser ceux qu’ils ont déjà. Les pressions du jeu moderne sont telles qu’on ne peut se permettre de rester les bras croisés, d’autant plus quand on voit les équipes voisines renforcer leurs positions.
Si nous prenons la période des 23 ans écoulés depuis les accords d’Oslo, nous constatons que les Palestiniens s’éloignent de plus en plus de leur objectif mais, à la différence d’une équipe anglaise de football – qui ne cesse d’élaborer des stratégies, d’acheter et de vendre des joueurs et de changer d’entraîneurs –, l’équipe palestinienne a si peu été renouvelée.
Il est temps que les Palestiniens disent haut et fort que le leadership actuel fait partie du problème
Abbas et ses collègues les plus anciens ont entre 75 et 88 ans – quand on regarde des photos de la conférence du Conseil central palestinien (CCP), on peine à voir un jeune à la table d’honneur ou au premier rang.
Au cours d’un match, un entraîneur de football commencera par une formation donnée – censée être sa meilleure équipe – mais il la changera si les choses ne se passent pas comme prévu. Il misera parfois sur une formation défensive et parfois sur une formation offensive.
Il mettra certains joueurs au repos et placera sur le terrain des jeunes joueurs, pour qu’ils « se fassent les dents », contribuant ainsi à assurer fraîcheur et continuité. L’équipe palestinienne, elle, stagne depuis des décennies.
Alex Ferguson a connu 27 ans de succès à Manchester United. Il a construit une base – d’abord une équipe victorieuse – mais ses treize trophées de Premier League anglaise n’ont pas été remportés par la même équipe, mais par trois ou quatre.
Un grand nombre des principaux joueurs de l’équipe palestinienne sont toujours là, 24 ans après Oslo.
Un futur leadership
Si l’argument en faveur du maintien de la « vieille garde » palestinienne repose sur ses connaissances et son expérience, alors un examen attentif du côté opposé, Israël, balaie cet argument. En Israël, la « vieille garde » a largement disparu, laissant place à de « nouveaux talents », des Bennett, Shaked, Hotovely, ou encore Danon.
Il se trouve que ce sont des extrémistes et, sur la durée, leur leadership pourrait conduire Israël à l’isolement et au désastre (mais ce n’est pas le sujet). Ils ont eu l’occasion de développer leurs compétences politiques au plus haut niveau.
D’où viendra la prochaine génération de dirigeants palestiniens ? Peut-on en nommer cinq qui gagnent en notoriété ? Il est indubitable qu’un peuple qui compte près de quatorze millions d’habitants en Palestine historique, dans les camps de réfugiés, sans oublier ceux de la diaspora, et qui est très instruit, ne peut qu’avoir engendré un leadership dans l’attente d’émerger.
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À 62 ans, Saeb Erekat est l’un des plus jeunes membres de la « vieille garde » palestinienne. Depuis la conférence de Madrid, il participe aux négociations – et, depuis 1995, en qualité de négociateur en chef palestinien. Il a démissionné à plusieurs reprises, mais sa démission n’a jamais été acceptée par le président Abbas.
Le leadership palestinien doit s’imposer des changements radicaux s’il espère se montrer à la hauteur des difficultés à venir. La cause, et les sacrifices consentis en son nom par des millions de Palestiniens, méritent beaucoup plus que ce que les dirigeants actuels ont accompli ou ne pourront jamais offrir.
Malgré la tradition du Moyen-Orient, de respecter les anciens et tenir en haute estime ceux qui, dans le passé, ont fait pour la cause d’énormes sacrifices, il arrive un moment où ils doivent prendre leur retraite avec grâce ou être renvoyés par le peuple palestinien.
Il est vrai que la tâche à laquelle sont confrontés les dirigeants palestiniens, jeunes ou vieux, expérimentés ou non, est énorme. Ils sont confrontés à un ennemi très organisé et stratège, qui en plus d’un siècle leur a volé leur patrie, tout fait pour la garder et, à terme, a la ferme intention de tous les en expulser. Qu’on ne se méprenne pas sur l’objectif ultime d’Israël.
Il est temps que les Palestiniens disent haut et fort que le leadership actuel fait partie du problème. Ils agissent en grande partie comme si la Palestine avait été libérée, comme un État en bonne et due forme, avec ses ministres, ses ministères et ses pièges du pouvoir. Or, en réalité, même Abbas a besoin d’une autorisation d’Israël pour se déplacer d’une ville à l'autre et le Premier ministre palestinien risque toujours d’être arrêté par l’armée israélienne en Cisjordanie pour un excès de vitesse.
Jeu à deux mi-temps
Mais les dirigeants palestiniens ont fait leurs plus grandes erreurs de jugement lors des négociations avec Israël, sous la direction d’Erekat – dont les concessions trop généreuses ont été dénoncées par Al Jazeera dans les journaux palestiniens –, notamment lorsqu’a été offert à Israël, sur un plateau, le « plus grand Jérusalem de l’histoire ».
Si Abbas a choisi de négocier avec Israël, c’est uniquement comme moyen de parvenir à la paix. Mais il a sous-estimé le parti pris de l’Amérique en faveur d’Israël, quelles que soient les administrations successives. Abbas avait-il vraiment besoin que Trump vende la mèche pour qu’Abbas comprenne que l’impartialité des États-Unis n’est qu’un simulacre ?
Même lorsqu’il a eu l’occasion de faire réellement pression sur Israël – comme avec l’arrêt de la Cour internationale de justice sur le mur de séparation et le rapport Goldstone –, Abbas et son équipe, n’en ont pas profité. Aucune de ces deux opportunités n’a été utilisée à bon escient.
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Les dirigeants sont responsables de la décision de ne pas avoir tiré le meilleur parti du rapport et de la pensée dominante selon laquelle Israël serait d’une certaine manière, obligée de faire des concessions. Ils se sont lourdement trompés.
Le célèbre dirigeant de Liverpool, Bill Shankly, a déclaré : « Certains pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je suis très déçu de cette attitude. Je peux vous assurer que l’enjeu est bien plus important que ça ».
Pour le peuple palestinien, la Palestine est bien plus qu’une question de vie et de mort et il veut voir ses dirigeants mettre la barre très haut. Ils pourraient prendre exemple sur un autre célèbre entraîneur de football anglais, Bill Nicholson, un ancien dirigeant de Tottenham, qui a déclaré : « Il est préférable d’échouer en ayant visé haut que de réussir en ayant visé bas. Et nous, les Spurs, avons placé la barre très haut, si haut en fait que même l’échec aura pour nous saveur de gloire ».
La lutte palestinienne contre le sionisme dure depuis longtemps. Selon une expression très répandue dans le football, il s’agit d’un « jeu à deux mi-temps ».
Si les Palestiniens considèrent les 70 dernières années comme la première mi-temps de la rencontre, c’est Israël qui a marqué le plus grand nombre de buts. Et s’ils veulent avoir une chance de retourner la situation dans les 70 prochaines années, en marquant le but de la victoire en fin de match, ils ont besoin d’une nouvelle équipe, une dream team dynamique, réactive, fertile en idées neuves et qui œuvre à développer une nouvelle stratégie de libération, comme jamais les dirigeants actuels n’en ont élaborée.
Il faut parfois être cruel pour faire du bien. Obtenir la libération exige d’urgence de souffler le coup de sifflet final et de se préparer à une fameuse contre-attaque.
- Kamel Hawwash est un professeur britannico-palestinien d’ingénierie à l’Université de Birmingham et un militant de longue date pour la justice, en particulier pour le peuple palestinien. Il est vice-président du British Palestinian Policy Council (BPPC) et membre du Comité exécutif de la Campagne de solidarité avec la Palestine (PSC). Hawwash apparaît régulièrement dans les médias comme commentateur sur les questions du Moyen-Orient. Il dirige le blog www.kamelhawwash.com. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @kamelhawwash. Il a rédigé cet article à titre personnel.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le président Abbas préside une réunion du Comité exécutif de l’OLP au siège de l’Autorité palestinienne à Ramallah, en septembre 2017 (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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