Algérie : la société civile s’insurge contre les expulsions de migrants
Plusieurs organisations algériennes de défense des droits de l’homme se sont fédérées pour lancer une pétition dénonçant les « arrestations arbitraires, suivies d’expulsions collectives et massives » ciblant, depuis le début de l’année 2018 « l’ensemble des migrant(es) originaires d’Afrique subsaharienne ».
La pétition, signée par des dizaines de militants et activistes de la société civile algérienne, précise que « les migrant(es) de diverses nationalités africaines, des Guinéens, Burkinabés, Béninois, Maliens, Ivoiriens, Sénégalais, Nigérians, Libériens, Camerounais ou Sierra-Léonais, sont refoulés aux frontières, sans aucune décision de justice, et au risque de leur vie. »
Officiellement, Alger a reconnu avoir reconduit près de 10 000 migrants clandestins dans leur pays d’origine depuis 2016. Saïd Salhi, de la Ligue algérienne des droits de l’homme, et qui parle « d’escalade en termes d’expulsions depuis les derniers mois », avance à Middle East Eye le chiffre de « 28 000 migrants déjà expulsés à la frontière avec le Niger ».
Les autorités algériennes insistent sur le fait que ces expulsions se déroulent « en concertation avec les gouvernements des pays concernés ».
Une donnée que contredit le texte de la pétition : « Il n’existe aucun accord de réadmission ou de demandes formulées par les gouvernements de ces pays pour d’éventuels retours de leurs ressortissants, plus de 1 500 migrant(es) ont déjà été expulsé(es) ces dernières semaines, lors d'opérations entachées d'abus et en flagrantes contradictions avec le droit international des droits humains. »
« Seul le Niger a été sollicité dès 2014 dans le cadre d'un accord ‘’opaque’’ avec le gouvernement algérien, pour le retour de ses ressortissant(es) dont la majorité sont des femmes et des enfants », lit-on encore dans cette pétition.
En octobre 2017, la section algérienne d'Amnesty International affirmait que les arrestations « se fondaient sur le profilage ethnique, car les policiers et les gendarmes ne cherchaient pas à savoir si les migrants séjournaient légalement en Algérie, ne vérifiant ni leurs passeports, ni d'autres papiers. Parmi les migrants arrêtés et expulsés, certains étaient sans papiers, mais d'autres avaient des visas en cours de validité ».
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De son côté, Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch avait déclaré à la même période que « rien ne justifie de regrouper des gens en fonction de leur couleur de peau, puis de les déporter en masse. L’autorité dont dispose un État pour contrôler ses frontières n’est pas un blanc-seing pour traiter ces personnes comme des criminels ou leur refuser le droit de séjour au motif de leur ethnicité. »
Les opérations d’expulsions se concluent généralement par l’abandon des migrants aux confins des frontières désertiques de l’Algérie avec le Niger, dans des conditions qualifiées de « catastrophiques » par des ONG algériennes et internationales.
Les autorités algériennes, de leur côté, justifient ces expulsions massives. L’actuel Premier ministre Ahmed Ouyahia, alors chef de cabinet de la présidence de la République, a affirmé en juillet 2017 que les migrants subsahariens sont « une source du trafic de drogue et de la criminalité » en Algérie.
En avril 2018, le directeur d'études chargé de la migration au ministère de l'Intérieur, Hacène Kacimi, a également déclaré à la radio publique que sur les cinq dernières années, 56 000 migrants subsahariens ont été condamnés pour crimes et délits. « Parmi eux, on trouve 30 000 Maliens et 20 000 Nigériens », évoquant dans la foulée « une montée en flèche des délits et des crimes commis à travers le territoire national ».
Le même responsable a tenu à répondre aux accusations des ONG de défense des droits de l’homme : « C’est l’Algérie qui est maltraitée avec cette campagne de dénigrement. Honte à ceux qui nous accusent de profilage ethnique. Nous avons été victimes de profilage ethnique pendant de longues années, car c’est un concept colonial. »
Dans une conférence de presse, quelques jours plus tard, le même responsable s’est offusqué des termes « déportation » et « rafles » utilisés : « Nous ne sommes pas des nazis ». D’ailleurs, la pétition citée plus haut appelle justement à « cesser de faire l'amalgame entre la lutte contre le trafic et le terrorisme, toute légitime quand il s’agit de la sécurité nationale, et à l’obligation du respect des droits des réfugié(es) et des migrant(es) travailleurs ».
Fin avril, c’est le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, qui a annoncé un chiffre difficile à vérifier de manière indépendante en parlant de « plus de 500 tentatives journalières d’entrées illégales des migrants sur le territoire par les frontières-Sud ».
La rhétorique officielle, très ombrageuse sur le propos - l’Algérie étant un pays aux engagements africains ancrés dans son histoire - convoque souvent l'argument du complot : « Ce ne sont pas les migrants qui nous font peur, mais on a peur de ceux qui les instrumentalisent », affirme le département de l’Intérieur.
Médias et officiels insinuent souvent que les vagues de migrations vers l’Algérie feraient partie « d’un complot visant à ‘’noyer’’ l’Algérie par six millions de clandestins d’origine africaine afin de provoquer la déstabilisation du pays ».
Aux yeux des ONG, ce genre de discours ne fait que fausser le débat. L’urgence, selon les signataires de la pétition, est de « mettre en place un cadre légal national en respect des droits des travailleurs migrants et une loi d'asile à même de permettre l'accès au statut de réfugié, et de leur protection à toutes formes d'abus ou d'exploitation ».
Amnesty International rappelle que « bien qu'elle soit partie à la Convention relative au statut des réfugiés, l'Algérie ne dispose pas d'une loi sur le droit d'asile et n'offre pas de protection suffisante aux réfugiés et demandeurs d'asile enregistrés auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Malgré le nombre important de travailleurs migrants dans le pays, elle ne dispose pas d'un cadre légal clair les concernant, et la loi n° 08-11 de 2008 considère l’entrée illégale sur le territoire comme une infraction pénale passible d'une peine maximale de cinq ans d'emprisonnement ».
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