De la culture américaine du viol à l’occupation, la violence contre les femmes est universelle
À la suite des allégations de viol à l’encontre de Harvey Weinstein, un grand nombre d’Américaines ont déclaré qu’elles avaient elles aussi subi une forme de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle ou de viol, à un moment ou à un autre de leur vie.
Nous ne sommes pas en sécurité. L’agresseur, le prédateur, est partout, en position de pouvoir sur nous
Le hashtag #MeToo (« moi aussi ») figurent dans les sujets tendances sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes partageant un message simple ou choisissant de raconter l’agression qu’elles ont subie. Le but de la campagne n’est pas de donner des détails – moi, par exemple, j’ai seulement posté #MeToo – l’objectif est plutôt de montrer à quel point la violence sexuelle est omniprésente.
Les secrets les moins bien gardés de l’Amérique
Cette campagne simple montre en effet ce que nous savions déjà, l’un des secrets de polichinelle de l’Amérique, le fait que nous vivons dans une culture du viol. Le harcèlement sexuel des femmes est omniprésent, nous en sommes témoins ou en faisons l’expérience chaque jour.
Nous avons un président qui, lorsqu’il était candidat, a été pris à se vanter d’être un prédateur sexuel qui n’a jamais eu à rendre de comptes, et qui a quand même été élu président des États-Unis.
Il ne sait pas résister aux belles femmes, comme il l’a formulé une fois. Mais ce ne sont pas seulement les « belles femmes » qui sont agressées, quelle que soit la définition de la beauté. Il y a aussi des femmes « laides », des jeunes filles maigres, des vieilles femmes costaudes, toutes les femmes.
Et pourtant, quand nous analysons la situation des femmes aux États-Unis, nous les voyons émancipées, libres, puissantes, parce que nous nous concentrons uniquement sur le micro-environnement, à savoir les facteurs qui impactent un champ restreint, une image décontextualisée : peuvent-elles porter ce qu’elles veulent, conduire une voiture, voyager seules, sans la « permission » d’un mari, travaillent-elles hors de la maison, etc.
La réponse est oui, c’est le cas, et donc, malgré le macro-environnement d’extrême violence sexuelle, de culture omniprésente du viol, nous les voyons comme « libérées », sans remarquer que la culture globale dans laquelle elles évoluent dispose d’un système méthodique de marginalisation genrée, qui fait contrepoids à ces « libertés ».
Les Américaines vivent dans la crainte justifiée d’une agression, d’un viol, et pour les millions d’entre nous qui ont été agressées, même si nous en réprimons le souvenir lui-même, dans notre quotidien, nous vivons toujours avec cette expérience, ainsi qu’avec la « leçon » que celle-ci doit nous apprendre.
Nous ne sommes pas en sécurité. L’agresseur, le prédateur, est partout, en position de pouvoir sur nous. Nous avons intériorisé ce message, avec tout son poids oppressant et la myriade de limitations qu’il nous impose.
Khalida Jarrar, une députée palestinienne de Ramallah, s’exprime lors d’un entretien avec Reuters sur sa tente de solidarité érigée devant le siège du Parlement palestinien à Ramallah, en Cisjordanie, en août 2014 (Reuters)
Les femmes arabes
Et pourtant, la culture occidentale – y compris la majorité des femmes occidentales – regarde les femmes arabes, et estime qu’il est important de leur dire qu’elles (les femmes arabes) sont opprimées, que la culture arabe est antiféministe et qu’elles doivent être sauvées.
Mais tout comme nous devons examiner le macro-environnement des femmes occidentales, il nous incombe de regarder le contexte plus large pour les femmes arabes.
Aujourd’hui, quand on imagine un leadership palestinien fort, ce genre de leadership qui peut nous sortir du bourbier mortel dans lequel nous nous sommes embourbés depuis trop longtemps, les noms qui viennent à l’esprit sont surtout des femmes, pour la plupart assez jeunes.
Parmi elles figurent Khalida Jarrar en Palestine, et Noura Erakat à Washington DC, toutes deux militantes des droits de l’homme et avocates, ou encore Ahed Tamimi, une adolescente dont le courage face aux soldats d’occupation israéliens et son analyse claire et précise de la vie en Palestine ont fait d’elle un modèle pour de nombreux jeunes Palestiniens.
Les défis des femmes arabes sont dus à l’hyper militarisme de la région, un hyper militarisme aggravé par l’intervention américaine et l’occupation israélienne
Il y a aussi Dima Khalidi, fondatrice et directrice du cabinet juridique Palestine Legal, basé à Chicago, qui défend les activistes pour la justice palestinienne, Izzadine Mustafa à New York et Haneen Maikey en Palestine, deux activistes queer qui savent que la justice en matière de genre ne peut pas exister dans l’abstrait, mais doit advenir dans un contexte décolonial, et beaucoup, beaucoup d’autres.
En effet, ce que tous ces activistes et organisateurs ont en commun est une compréhension essentielle du contexte plus large de l’oppression.
Évidemment, nous avons nos défis, ils sont immenses, mais dans l’ensemble, nos défis ne peuvent être définis uniquement ou même principalement par le conservatisme de notre culture.
Dans l’ensemble, les défis des femmes arabes sont dus à l’hyper militarisme de la région, un hyper militarisme aggravé par l’intervention américaine et l’occupation israélienne. Et pourtant, nous sommes tous entraînés à ne regarder que le micro-environnement, pas la vue d’ensemble.
Environnement politique et social
Quand les Occidentaux regardent une Arabe, une musulmane, ils voient une femme voilée, une femme dans un tchador, et ils voient l’oppression. Ils ne regardent pas le contexte général, l’environnement social et politique global dans lequel évolue la femme voilée.
Tout comme lorsque nous regardons une femme occidentale à l’université, ou un acteur à Hollywood, ou une gymnaste olympique, nous voyons l’émancipation, plutôt que l’environnement social global dans lequel cette femme occidentale survit, que ce soit la culture du viol à Hollywood, dans le sport, ou sur les campus universitaires à travers le pays.
Et pourtant, si nous regardons qui prive les Palestiniennes de leurs droits humains les plus élémentaires, nous réalisons que ce n’est pas le « fondamentalisme islamique ». En regardant Malak Mattar, par exemple, la jeune peintre extrêmement talentueuse qui vit dans la bande de Gaza, on apprend qu’elle avait droit à une bourse d’études, mais Israël ne l’a pas autorisée à quitter la bande de Gaza.
Deux ans plus tôt, une autre brillante adolescente, Amal Ashour, a également passé ses examens et avait obtenu une bourse pour une université située en Cisjordanie, mais Israël lui a refusé la permission de quitter la bande de Gaza parce que l’éducation ne constitue pas une exception humanitaire au siège imposé sur Gaza.
Israël estime que les universités de Cisjordanie sont des lieux propices au militantisme et n’autorisent donc pas les étudiants de la bande de Gaza à y étudier. En discutant de la situation de Mattar et d’Ashour avec un groupe de féministes blanches ici aux États-Unis, l’une d’elles a observé avec justesse « ce sont des prisonnières politiques ».
En effet, elles le sont, et leur geôlier est Israël, non les valeurs conservatrices arabes.
Guerre, occupation et société hyper militarisée
Si nous voulons bien comprendre une situation d’injustice, il nous incombe de regarder le méta-contexte, pas seulement le micro-environnement. Oui, nous pouvons blâmer le Hamas pour avoir marginalisé les femmes dans la bande de Gaza. Mais ce n’est pas le Hamas qui refuse à Malak Mattar la possibilité d’étudier à l’étranger, ce n’est pas le Hamas qui a interdit à Amal Ashour de quitter la bande de Gaza.
Aujourd’hui, dans le monde arabe, la situation des femmes est extrêmement difficile. Mais si nous voulons aider, nous devons aborder la situation générale, le macro-environnement, et ce macro-environnement est le contexte politique dans lequel nous vivons, celui de la guerre, de l’occupation, d’une société hypermilitarisée.
Dans le cas des Palestiniennes, c’est le sionisme, avec ses ramifications qui affectent chaque aspect de la vie de chaque Palestinien, qui est coupable
Parce que voilées ou non, laïques ou religieuses, même si nous avions le soutien total de notre propre communauté, nos droits sont toujours violés par Israël, ses bailleurs de fonds et ses alliés politiques.
Tout comme le moment #MeToo donnera l’occasion de réfléchir et de traiter efficacement le climat général de violence sexuelle aux États-Unis, les cas individuels d’oppression des femmes dans la région arabe devraient permettre d’examiner l’environnement plus large de l’oppression.
Dans le cas des Palestiniennes, c’est le sionisme, avec ses ramifications qui affectent chaque aspect de la vie de chaque Palestinien, qui est coupable.
- Nada Elia est une écrivaine et commentatrice politique issue de la diaspora palestinienne. Elle travaille actuellement sur son deuxième livre, Who You Callin’ “Demographic Threat” ? Notes from the Global Intifada. Professeur (retraitée) d’études sur le genre et la mondialisation, elle est membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (USACBI).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Une activiste (à droite) parle à un soldat israélien lors d’affrontements dans le village de Nabi Saleh, en Cisjordanie, près de Ramallah, le 11 décembre 2011 (Reuters/Darren Whiteside)
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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