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Imam Iquioussen : une expulsion, un mystère et une énigme

Comment l’expulsion d’un imam marocain jugé dangereux par la France s’est transformée en un imbroglio judiciaire et administratif doublé d’un mystère et d’une énigme
L'imam marocain Hassan Iquioussen, disparu en France et sous le coup d’un arrêté d’expulsion signé par les autorités françaises, est désormais visé par un mandat d’arrêt européen (AFP/Olivier Chassignole)
L'imam marocain Hassan Iquioussen, disparu en France et sous le coup d’un arrêté d’expulsion signé par les autorités françaises, est désormais visé par un mandat d’arrêt européen (AFP/Olivier Chassignole)

Où est Hassan Iquioussen ? Depuis la décision du Conseil d’État autorisant son expulsion, l’imam marocain est introuvable. La police chargée de le reconduire à la frontière le 30 août ne l’a pas trouvé chez lui, à Lourches, une localité du Nord de la France.

Il est caché quelque part. En Belgique, ont suggéré les autorités françaises. Ou peut-être ailleurs, comme spéculent certains observateurs. Dans un État musulman qui lui permet de rester hors de portée d’un mandat d’arrêt européen.

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Cet imbroglio est le fruit du zèle du ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, dont les visées présidentielles ne sont plus un secret pour personne, et qui veut couper l’herbe sous le pied de l’extrême droite en matière de lutte contre ce qu’on appelle en France le « séparatisme ».

Et quoi de mieux pour attirer les foules et les applaudissements que de taper sur des musulmans taxés d’extrémistes, même s’ils n’ont jamais été accusés d’un quelconque crime et ne sont visés par aucune procédure pénale.

En demandant et en obtenant auprès de la justice administrative française, au grand dam des experts en droit des étrangers, l’expulsion de l’imam Iquioussen, accusé d’avoir émis dans le passé des « propos antisémites » et d’être un « promoteur de la haine », Darmanin a certes gagné une bataille judiciaire qui ouvre la porte à d’autres reconduites à la frontière, mais il a perdu celle de l’image.

La Belgique, une étape ?

La fuite de l’imam tourne en ridicule le ministre de l’Intérieur, incapable de se saisir d’un religieux présenté dans toute la France comme un dangereux propagandiste.

Mais où est-il ? Cet imam sunnite, qui n’est pas chiite ismaélien et n’a donc aucune vocation à rester occulté, est pourtant caché quelque part. En France ou ailleurs. C’est le grand mystère, doublé d’une énigme administrative.

On croyait dans un premier temps que M. Iquioussen aurait trouvé refuge en Belgique, où réside une très importante communauté musulmane qui professe le même madhab (doctrine) que lui, et possède surtout la même nationalité.

La Belgique est un territoire exigu qui n’est pas une destination idéale pour ceux qui ont maille à partir avec les autorités françaises

Même s’il est né en France, l’imam est de nationalité marocaine, par choix propre. À sa majorité, il a opté pour la nationalité de ses parents. Une décision qu’il a regrettée par la suite et qu’il n’a pu inverser.

Le royaume de Belgique reste une sérieuse probabilité. Lourches n’est qu’à 26 kilomètres de la frontière belge. Mais il serait plus facile à Iquioussen de se fondre dans la foule de la communauté marocaine de France, particulièrement celle qui vient du Souss, région du Sud du Maroc dont est originaire sa famille, que de le faire en Belgique, dont la population musulmane provient généralement du Nord du Maroc. 

Et puis la Belgique est un territoire exigu qui n’est pas une destination idéale pour ceux qui ont maille à partir avec les autorités françaises. État voisin de l’Hexagone, avec lequel elle maintient de fortes relations, dans tous les domaines, la Belgique a activé toutes ses ressources policières pour retrouver Iquioussen.

En fait, l’hypothèse la plus plausible laisse à penser que la Belgique n’aura été qu’une étape pour l’imam. Il aurait utilisé cette destination pour s’envoler vers un pays qui n’est pas, à proprement parler, un ami de la France. 

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On montre du doigt la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan. Le président turc est un détracteur de la politique musulmane de Paris et il ne se retient jamais quand il s’agit de donner des leçons de tolérance religieuse aux responsables français.

M. Iquioussen ne serait pas le premier fugitif à trouver refuge en Turquie. Encore que, à ses risques et périls. Proche des Frères musulmans, mouvance dont est issu l’imam, Erdoğan est capable de sacrifier ses amis et même sa généreuse politique d’accueil de tous les persécutés musulmans de la planète pour se rabibocher avec des régimes qui ont fait de la lutte anti-islam politique un étendard.

On a eu récemment quelques exemples de douloureux reniements turcs pour complaire à l’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi : des journalistes et des opposants Frères musulmans égyptiens réfugiés en Turquie se sont vus contraints de cesser leurs activités pour ne pas entraver la réconciliation turco-égyptienne

Au mystère de la disparation du prédicateur, il faut ajouter un autre élément, la position énigmatique du Maroc dans cette affaire.

Dans un premier temps, le Maroc a remis au ministère français de l’Intérieur, le 1er août et sans aucune difficulté, un laissez-passer consulaire pour permettre l’expulsion de Hassan Iquioussen.

Le royaume s’est précipité alors que la première procédure de Darmanin auprès du juge des référés du tribunal administratif de Paris n’était pas encore achevée et qu’il y avait toujours la possibilité que l’affaire, comme cela a été le cas, se termine au Conseil d’État.

La France, chasse gardée du contre-espionnage marocain

Quand il s’agit de cas sensibles, le Maroc prend son temps avant de délivrer un laisser-passer. Celui-ci n’est jamais automatique, nécessite quelques lentes vérifications et enfin l’approbation de Rabat – un assentiment incertain en ces temps de crise de refus de visas français à des pans entiers de la société marocaine.

La France refuse d’accorder son précieux sésame non seulement à des cas douteux qui risquent de disparaître dans la nature une fois descendus de l’avion, mais également et surtout à des catégories sociales qui ne sont pas disposées à quitter définitivement leur pays.

Comme c’est le cas de ces notabilités et de ces hommes d’affaires qui passent leurs vacances dans l’Hexagone, ou de celui de ces professeurs d’université, conférenciers et congressistes conviés par leurs collègues ou par des institutions françaises pour assister à des colloques. Même d’anciens ministres, qui croyaient le visa français acquis pour la vie, ont été éconduits récemment.

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Mais rapidement, le Maroc s’est ravisé et a suspendu le laissez-passer, en faisant mine de demander à Paris un « complément d’information », alors que l’unique utilité d’un laissez-passer, qui reconnaît explicitement la nationalité de l’intéressé, est de lui permettre de regagner son pays, qu’il soit expulsé ou en cas de perte ou de vol de son passeport.

S’il y a un État qui n’a pas besoin de ce « complément d’information » sur Hassan Iquioussen ou sur tout autre sujet de sa majesté chérifienne, c’est bien le Maroc.

La France est la chasse gardée de la DGED (Direction générale des études et de la documentation, contre-espionnage marocain). L’Hexagone intéresse aussi, et beaucoup, l’autre grande centrale d’intelligence, la DST (Direction générale de la surveillance du territoire), même si théoriquement cette dernière n’a pas le droit d’opérer à l’étranger.

Avant même Pegasus, le logiciel espion israélien, ces deux puissantes polices politiques surveillaient et contrôlaient les mouvements des ressortissants marocains en France. Les nationaux et les binationaux.

Tout ce qui se dit ou se médit dans les mosquées françaises, en particulier celles qui sont dirigées par des Marocains, termine toujours dans l’escarcelle des rapports remis quasi quotidiennement dans les très nombreux consulats généraux du Maroc

Tout ce qui se dit ou se médit dans les mosquées françaises, en particulier celles qui sont dirigées par des Marocains, termine toujours dans l’escarcelle des rapports remis quasi quotidiennement par des agents, des mouchards ou des collaborateurs occasionnels à leurs référents dans les très nombreux consulats généraux – seize au total ! – du Maroc.

D’où une nécessaire double question. Le Maroc considère-t-il Hassan Iquioussen comme un citoyen marocain ? Et si oui, pourquoi retarde-t-il son expulsion ? Car sans laissez-passer marocain, point de reconduite à la frontière.

Étant donné que le droit à l’information n’est pas la vertu première de l’administration marocaine, deux conjectures peuvent expliquer cette énigme.

La première est que le consulat marocain qui a expédié le laissez-passer, probablement celui de Lille dont dépend Lourches, s’est précipité en ne donnant pas suffisamment de temps à Rabat pour monnayer cette sensible expulsion en ces temps de grave crise diplomatique franco-marocaine.

Un « proche » de l’ambassade ?

La deuxième est plus complexe. Comme on l’a su dans l’affaire Samuel Paty, ce professeur décapité par un Tchétchène en 2020, l’un des impliqués dans cette tragédie, le Franco-Marocain Abdelhakim Sefrioui, était connu, selon la presse française, « pour sa proximité avec l’ambassade du Maroc à Paris ». Pour ne pas dire autre chose.

Le démenti simultané et instantané publié en harmonie dans la presse marocaine a fait sourire ceux qui connaissent le mode de fonctionnement des services de renseignement marocains.

L’imam Iquioussen serait-il également un « proche » de l’ambassade ? Il est difficile d’être catégorique tant le monde des renseignements est esquivant.

Tout comme Sefrioui, ce religieux ne s’est jamais attaqué dans ses prêches au régime marocain, considéré pourtant comme impie par nombre de « frères » d’Iquioussen. Et apparemment, les autorités marocaines n’ont jamais considéré le prédicateur comme un élément nocif, voire dangereux.

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Dans le monde trouble et hétéroclite des mosquées françaises, qu’elles soient marocaines, algériennes, turques ou autre, il est impossible pour les États d’origine des fidèles de s’informer convenablement sur leur état d’esprit à l’intérieur de ces lieux fermés sans une quelconque complicité qui peut être celle d’un simple fidèle, ou mieux encore celle de l’imam ou du responsable de l’association qui gère la mosquée.

Dans cette pratique, le Maroc a une avance sur ses rivaux. Les pressions exercées aux frontières sur des imams ou des citoyens, lors du retour estival au bled, fait des merveilles sur les récalcitrants et ceux qui veulent rester en dehors de ce monde interlope.

Le refus de l’imam de rejoindre le Maroc ne signifie pas qu’il soit en délicatesse avec son pays d’origine. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il serait accueilli à bras ouverts.

Hassan Iquioussen sait que le Maroc, où il n’a jamais vécu, est un État policier dans toute sa splendeur.

Il risque de ne pas être autorisé à prêcher dans une mosquée sans le blanc-seing du ministère des Habous et des Affaires islamiques. Ses mouvements seront étroitement surveillés et ses activités dirigées aux musulmans de France seront entravées par les autorités en cas de réconciliation franco-marocaine.

Une prison donc. Ce qui explique qu’il ait préféré disparaître dans la nature.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Ali Lmrabet is a Moroccan journalist and the Maghreb correspondent for the Spanish daily El Mundo.
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