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Guerre Israël-Palestine : pour la presse occidentale, le contexte est sacro-saint… sauf lorsqu’il s’agit des Palestiniens

La présentation de ce conflit par les médias en Occident est bien trop familière : Israël est en guerre, sa violence représente des représailles légitimes, tandis que la violence des Palestiniens est barbare et insensée
Un membre des forces de sécurité palestiniennes porte une enfant blessée par des frappes aériennes israéliennes vers l’hôpital al-Chifa, à Gaza, le 11 octobre 2023 (AFP)

Il y a quelques années, j’ai examiné environ deux années de couverture des tueries et décès israéliens et palestiniens par le New York Times et le Chicago Tribune.

Ce que j’ai découvert ne surprendra guère quiconque connaît la littérature académique, qui montre une uniformité remarquable

Les journaux couvraient les décès israéliens plus fréquemment que les décès palestiniens et en les mettant davantage en avant, bien qu’il y ait eu bien plus de décès palestiniens au cours de cette période d’étude de presque deux ans.

En outre, ces articles avaient davantage tendance à citer des Israéliens, indépendamment du fait que, pour un jour spécifique, les victimes annoncées étaient des Palestiniens, des Israéliens ou les deux. 

Surtout, les deux journaux étaient particulièrement susceptibles de fournir un motif explicite à la violence des Israéliens, à présenter la violence palestinienne comme du terrorisme et à ignorer le contexte sociopolitique plus large qui motive ce conflit. 

Les reportages sur les victimes associées à la plus récente flambée de violence, qui a commencé par une attaque surprise du Hamas contre Israël le 7 octobre, semblent suivre le même scénario. 

Les événements sont toujours en cours, et il faudra des semaines, voire des mois, avant que les chercheurs puissent procéder à un examen empirique et systématique de la couverture médiatique occidentale.

Des preuves anecdotiques (reposant sur des analyses préliminaires des articles figurant dans les bases de données d’archives) suggèrent que peu de choses ont changé depuis mon étude du New York Times et du Chicago Tribune.

Le contexte est crucial

Les médias mainstream occidentaux (parmi lesquels The New York Times, CNNThe GuardianBBCUSA Today et bien d’autres) privilégient les perspectives israéliennes ; soulignent les victimes israéliennes et leur humanité aux dépens des victimes palestiniennes et de leur humanité ; méprisent les voix palestiniennes et leurs doléances ; et négligent le contexte général du conflit.

Une personne qui suit exclusivement les organes de presse mainstream occidentaux pourrait être tentée de conclure que les Palestiniens sont prédisposés à la violence, qu’à leur réveil, ils décident de tuer

Le plus évident peut-être, c’est que cette couverture médiatique présente la violence israélienne comme un acte de guerre de représailles et toute la violence palestinienne, y compris la violence dirigée contre l’armée israélienne, comme du terrorisme.

Plusieurs articles de presse comparent l’attaque du Hamas le 7 octobre aux attentats du 11 septembre 2001 par al-Qaïda à New York et Washington, tandis que de nombreux organes de presse utilisent le qualificatif « 11 septembre israélien » dans leurs unes.

Les implications de cette présentation sont claires : Israël est en guerre, sa violence est légitime et il s’agit de représailles, tandis que la violence palestinienne est barbare et insensée. 

Le manque de contexte est particulièrement crucial. Une personne qui suit exclusivement les organes de presse mainstream occidentaux pourrait être tentée de conclure que les Palestiniens sont prédisposés à la violence, qu’à leur réveil, ils décident de tuer. 

Comme bien d’autres professeurs en journalisme et médias, j’ai souvent enseigné aux étudiants, arabes et américains, l’importance du contexte dans la rédaction de tout article d’information et en particulier des articles qui impliquent des histoires et des événements à plusieurs niveaux. 

Car sans contexte, la signification vitale peut-être perdue.

La responsabilité sociale journalistique

Fait intéressant, quand j’explique à mes étudiants l’importance du contexte, je compte quasiment exclusivement sur les manuels de journalisme et textes universitaires occidentaux. En effet, il faut reconnaître à la tradition journalistique occidentale le mérite d’avoir fait éclore la notion de responsabilité sociale journalistique, qui met en avant l’absolue nécessité du contexte pour la compréhension. 

Étant donné son rôle central dans la tradition journalistique occidentale, il est étrange que le contexte soit pratiquement totalement ignoré dans la couverture occidentale mainstream du conflit israélo-palestinien, un point que les spécialistes des médias ont répété au fil des décennies. Marda Dunsky de l’Université de Northwestern a fait valoir autrefois que le manque de contexte dans la couverture américaine du conflit représentait un type de « biais implicite dans l’absent ». 

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La couverture depuis le 7 octobre ignore une fois de plus l’historique et le contexte vitaux. 

Pour les néophytes, les articles occidentaux mainstream ont rarement mentionné l’occupation israélienne des territoires palestiniens et évoqué encore plus rarement le fait que l’occupation est illégale au regard du droit international. 

Dans une base de données, qui compte plusieurs centaines d’articles de la presse mainstream occidentale publiés depuis le 7 octobre, l’occupation est à peine mentionnée et j’ai identifié à peine trois références à son caractère illégal.

Par ailleurs, la couverture occidentale évite largement la brutalité quotidienne que l’occupation inflige aux vies et communautés palestiniennes, ainsi que les sombres réalités associées à la vie à Gaza. La bande de Gaza est sous blocus illégal depuis 2006, et ses habitants n’ont presque aucun accès à de l’eau potable. Elle a été décrite à maintes reprises par Human Rights Watch et d’autres organisations de défense des droits de l’homme comme la plus grande « prison à ciel ouvert » au monde. 

Les récents articles de la presse occidentale ignorent en outre le traitement inhumain des captifs palestiniens, dont plus d’un millier de Palestiniens placés, sans être inculpés, en détention administrative

B’Tselem, la plus grande organisation de défense des droits de l’homme israélienne, qualifie le traitement des détenus Palestiniens de « torture », faisant remarquer que leur traitement est « cruel, inhumain et dégradant » et une « atteinte flagrante au droit international ». 

Une légitimation subtile des attaques

Même le contexte essentiel des derniers mois est largement négligé par la couverture occidentale des événements en cours, malgré son lien direct avec la récente flambée de violence.

Parmi les faits ignorés par la presse occidentale, il y a eu les incursions récentes et répétées à la mosquée al-Aqsa par des colons israéliens ; les crachats d’Israéliens sur des fidèles chrétiens palestiniens à Jérusalem-Est occupée ; des éventuels crimes de guerre en Cisjordanie ; l’expansion illégale des colonies israéliennes sur des terres palestiniennes ; l’actuel programme israélien de démolition illégale de maisons palestiniennes ; un tas d’attaques terroristes menées par des colons israéliens contre des villages palestiniens ; et l’effacement de la Palestine par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou sur une nouvelle carte du Moyen-Orient présentée le mois dernier à l’ONU. 

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Le fait qu’Israël est en train de pratiquer un nettoyage ethnique et un apartheid contre les Palestiniens n’est même pas un point controversé. Amnesty International, Human Rights Watch et B’Tselem en ont toutes trois apporté les preuves, tout comme de nombreux chercheurs et analystes. 

Cependant, la couverture de presse mainstream occidentale évite généralement ces termes clés. 

Plus que tout autre chose peut-être, l’humanité palestinienne est minimisée par la presse mainstream occidentale. 

Bien que les journaux mainstream aient produit des reportages sur les bombardements d’Israël et les victimes palestiniennes qu’ils ont provoquées, ces articles ont tendance à minimiser la gravité des attaques en les légitimant subtilement en comptant vivement sur des sources israéliennes et en insistant sur le fil conducteur du « terrorisme palestinien ». 

Par exemple, un article du 10 octobre publié dans USA Today était titré « un bombardement israélien tue des centaines de personnes », soulignant ainsi les pertes en vies palestiniennes. 

Plus que tout autre chose peut-être, l’humanité palestinienne est minimisée par la presse mainstream

Cependant, la première source citée dans cet article est l’armée israélienne, mentionnée dans la deuxième phrase de l’article. 

L’information fournie par l’armée soulignait le fait que « des militants du Hamas étaient rentrés dans une barrière et avaient lancé une invasion qui a fait plus d’un millier de morts ou de kidnappés côté israélien ». 

La première mention des victimes palestiniennes intervient dans la quatrième phrase de l’article et est attribuée à un lieutenant-colonel israélien qui « a déclaré que les corps de 1 500 militants [palestiniens] avaient été découverts dans le sud d’Israël ». 

Dans l’ensemble, la couverture compte quatre sources israéliennes contre seulement deux sources palestiniennes. 

La déshumanisation des Palestiniens

En outre, de manière cohérente avec la couverture passée associée aux précédentes vagues de violences dans ce conflit, une bien plus grande attention est accordée au deuil, à la tristesse et à la peur des Israéliens que des Palestiniens. Lorsqu’on aura du recul sur les analyses empiriques, il ne fait absolument aucun doute qu’il y aura bien plus d’images des Israéliens que des Palestiniens, malgré un bilan palestinien qui sera inéluctablement bien plus lourd. 

Le compte Instagram de CNN, suivi par près de 20 millions de personnes, fournit un exemple utile. 

Entre le 7 octobre et le 10 octobre, le compte a diffusé un total de 23 publications à propos d’Israël et de la Palestine. Près de la quasi-totalité d’entre elles étaient centrées sur Israël et mettaient en lumière la légitime défense israélienne, les victimes israéliennes ou la violence palestinienne, comme l’indique clairement le texte des miniatures. 

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Parmi les textes directeurs des miniatures : « Scènes horribles dans une ville en Israël » ; « Des militants du Hamas jettent une grenade dans un abri anti-aérien » ; « Un journaliste s’abrite dans un aéroport israélien » ; « Une vidéo semble montrer une femme israélienne prise en otage » ; « Une mère israélienne dont le fils a disparu envoie un message au Hamas » ; « Des militants de Gaza attaquent un festival de musique et prennent des otages » ; « L’expérience éprouvante des festivaliers qui ont fui l’attaque » ; « Blinken : les États-Unis vérifient les informations concernant des Américains décédés et portés disparus en Israël » ; « Un homme affirme qu’une vidéo montre le Hamas enlever sa famille » ; « Une roquette logée dans le plafond d’un immeuble d’habitation israélien » ; « Comment fonctionne le dôme de fer israélien » ; « Netanyahou indique que les représailles à Gaza ne sont que le début » ; « Le dôme de fer intercepte une attaque de missiles » ; « Des familles d’Américains disparus partagent leurs derniers messages » ; « Les origines du Hamas et ses liens avec l’Iran » ; « Clarissa Ward de CNN se protège des roquettes à proximité ».

Seules trois des vingt-trois publications Instagram de CNN abordent la violence perpétrée par les Israéliens à Gaza : « Une tour de Gaza s’effondre après une explosion » ; « Nouvelles explosions constatées à Gaza » ; et « Une frappe aérienne israélienne touche un camp de réfugiés à Gaza ».

CNN n’est pas la seule à pratiquer cette sorte d’asymétrie. Des scénarios quasi identiques sont suivis sur les réseaux de télévision occidentaux, dans les journaux et sur les réseaux sociaux aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde occidental. 

Dans les meilleurs des cas, les nouveaux consommateurs se voient proposer une sorte d’équilibre malavisé ; on leur suggère apparemment que la violence en Israël et en Palestine est essentiellement du coup pour coup. 

Toutefois, si le contexte nous apprend quoi que ce soit, c’est qu’il n’y a absolument pas de coup pour coup dans ce conflit. 

Il y a un occupant et un occupé. Il y a un État d’apartheid d’un côté, et un peuple sans État de l’autre. Il y a l’auteur d’un nettoyage ethnique et un peuple qui subit le nettoyage ethnique. Il y a clairement un agresseur et une victime.

Reste à espérer que le journalisme occidental mainstream corrigera cela un jour. L’humanité palestinienne en dépend.

- Mohamad Elmasry est professeur d’études des médias au Doha Institute for Graduate Studies.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Mohamad Elmasry is Professor of Media Studies at the Doha Institute for Graduate Studies.
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